Chiostro di San Martino / Napoli
Je
suis rentrée ici fourbue, en déficit de sommeil. J’ai déposé mes bagages dans des
effluves de glycine et de lilas. J’ai pris note du silence, de son immensité,
de sa densité (c’est à peine si les flots touristiques près du lac, si les
oiseaux nichés dans la forêt parvenaient à l’entamer, ce silence dur comme du
roc qui est mon lot quotidien).
J’ai commencé par expirer. Longuement. Pour me sentir ici. Et puis je me suis assoupie.
J’ai commencé par expirer. Longuement. Pour me sentir ici. Et puis je me suis assoupie.
A
mon réveil, j’ai repensé à là-bas.
(durant
ces cinq jours, la ville m’avait tellement happée que je n’ai jamais eu un seul
moment pour griffonner la moindre remarque, pour rassembler quelques pensées. J'usais toute mon énergie à scruter, observer, me repérer, me protéger, admirer, esquiver).
Aucun écrit, donc, là-bas où les cris, les pollutions de toutes sortes, les
vociférations tournoyaient dans l’air vicié. Là-bas, où je me disais que tant de choses allaient à l’encontre du bon sens, de la cohérence, de
l’apaisement auxquels j’aspire. Tout ce chaos, pensais-je, n’était que folie. Le
chaos ne pouvant générer que davantage de chaos dans une spirale infinie de
misère, de violence, de crasse et de totale incurie. Je constatais des entorses à toutes les
règles, des manquements de toutes sortes. Je me désolais de voir bien public dénaturé, méprisé. Et mes oreilles pestaient contre tous les coups qui agressaient mes nuits : coups de klaxons , coups de freins, et même durant une soirée agitée les coups tout court pour
de stupides paris.
Et
puis, ici, tout doucement, au fil des évocations, tandis que j'émergeais dans la pénombre de ma chambre, j’ai senti monter en moi le sentiment d'un manque, et une infinie mélancolie.
Car
là-bas…
…tous
les jours à l’aube un oiseau – un seul – se mettait à chanter sur l’unique
arbre du quartier, et ce chant était comme le premier chant du monde
…tous
les matins le marchand d’en face me proposait les oranges de son jardin –
fidèle à son poste, comme tous les négociants du quartier – de sept à vingt et
une heures, sous son arcade, à s’affairer
…
la femme édentée du bar dès le deuxième jour me mettait de côté les treccine
sucrées dont elle nous avait devinés friands
…le
serveur d’Amici miei nous conseillait
sur la carte des bouteilles aux prix les plus modérés et, devant notre refus de
dessert, souriait de nous avoir si bien rassasiés
…
notre chauffeur sur la costiera avait
la dignité des gens qui savent faire face à l’adversité – et la ponctualité d’un
réveil helvétique
…
la pauvreté avait sa dignité, n’était pas une fatalité, mais une donne avec
laquelle composer et lutter
… dans
ce vieux quartier, je n’ai pas vu d’écriteaux en russe, en anglais, en japonais
pour attirer la clientèle, là-bas on était ce qu’on était, pas question de racoler.
…il
y avait de ces petites fraises minuscules, qu’on retrouvait dans bon nombre de
pâtisseries, et sur les marchés, que certains emportaient en pots pour qu'elles fleurissent leurs balcons
…en cette veille de Pâques, dans la basilique de San Lorenzo Maggiore, les voix des enfants, emmenés par trois minuscules sœurs philippines, évoquaient la compassion la plus pure tandis que des mères assises près de l'autel nourrissaient avec naturel leurs bébés
…la
Beauté cachée, négligée, souillée, banalisée, faisait des manières pour se dévoiler, puis vous cueillait par surprise, avec une négligence étudiée
Alors,
dans cette torpeur que dégage la fatigue du voyage en train de
s’évaporer, quelque chose comme de la tendresse, comme un immense élan du cœur,
a jailli sous mes paupières. J'ai tendu la main et senti sous mon annulaire des larmes
de nostalgie couler. Couler pour une ville qui n’est même pas mon genre, mais
que je me suis surprise à viscéralement aimer.
Oh comme ton texte correspond bien à cet état d'esprit flottant entre ici et là-bas...
RépondreSupprimerJ'aurais pu écrire chaque ligne ! (certes moins bien que toi)
Mais j'aurais pu.
Merci Dad
¸¸.•*¨*• ☆
Etat d'esprit flottant, c'est exactement ça... c'est la dernière partie du voyage, celle du retour, quand on se trouve dans les deux lieux en même temps... Quant à mieux ou moins bien, de grâce, pas de ça entre nous! l'essentiel est de transmettre ces petites tranches de notre vie qui la font belle et digne d'être vécue. J'aime l'idée de savoir que j'ai été comprise, surtout par toi. bises D.
SupprimerCoucou. Quel beau texte dans lequel on devine ta fatigue mais ta soif de découvertes dans le respect des gens de là-bas. Il n'y a rien de pire pour moi que les touristes qui ne savent pas rester humbles et qui ne comprennent rien à rien.
RépondreSupprimerLa nostalgie du voyage, je l'ai ressentie quand je suis revenue de mon périple que je raconte sur mon blog en janvier et février. Il m'a fallu du temps pour atterrir, pour revenir à la réalité helvétique et tourner une page sur un pays qui m'avait enchantée et effrayée aussi.
Il y aura d'autres voyages. Ici ou ailleurs, dans le bruit ou le silence. Ce que tu décris est tellement vivant, tellement simple et si beau. J'ai l'impression de sentir les effluves des oranges et des fraises, et de voir le sourire des Napolitains.
Je pars presque là-bas dans trois jours. J'ai besoin de changement, d'évasion, d'autres choses.
Je vous raconterai à mon retour.
Bises alpines.
Tu pars là-bas? Quelle chance! je me réjouis d'avance de te lire à ton retour! Tu largues donc les amarres, tu laisses derrière toi le boulot (un autre type de chaos) et tu t'en vas au Sud? Je te sens déjà déjà trépigner d'impatience! Belle soirée, chère Dédé!
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