mardi 15 août 2017

Lire : questions de sensations


Le garçon au gilet rouge (détail) / Cézanne / Fondation Bührle


Rediffusions estivales à la Compagnie des auteurs. 
Rolande Causse, amie et auteure de Conversations avec Nathalie Sarraute, parle des expositions qu’elles visitaient ensemble. NS s’intéressait énormément à  la peinture. Elle fréquentait beaucoup les musées, la National Gallery, le Louvre, les musées russes. Elle admirait entre autres, Cézanne et les Cubistes.

La question de la sensation…oui  et de casser les lignes aussi. Chez Cézanne, surtout, dans beaucoup de tableaux, les lignes, les routes, les chemins bifurquent. Les maisons dansent d’une certaine manière.
Et Nathalie ce qu’elle voulait c’était aller sous les mots, casser les mots, voir ce qu’ils avaient avant qu’on les prononce, ce qu’il y avait après. Tout ce qui les entourait. Et c’était ça, si vous voulez, ce rapport qu’elle avait avec la peinture du fin XIXème, XXème siècle.
Mathieu Garrigou-Lagrange demande : Parce que les mots, c’étaient des sensations ?
Les mots, ce sont des êtres vivants, disait-elle, mais des êtres vivants  qui comme tous les êtres vivants laissent une trace, avant de venir et laissent une trace avant qu’ils disparaissent.Elle disait que les mots n’étaient pas capables de tout dire. Elle fait le procès de la langue .Et à partir de là elle cherchait, elle, à les ouvrir. A partir de là elle cherchait la sensation, les sensations, qu’il y avait chez chacun de nous avant de les dire, et qui restaient peut-être après. Et ces sensations, c’était cela qu’elle voulait écrire.
Mathieu Garrigou-Lagrange : Et vous lui avez posé la question de savoir : "Quand est-ce qu’on sait qu’on a terminé de travailler sur un texte" ? 
Ah oui, ça c’était une très belle journée. Moi j’écris des romans, des poésies et il y a des moments où on ne sait pas quand on a fini d’écrire. Je crois que c’est la question que se posent tous les écrivains. Nous étions suffisamment amies, suffisamment dans le creux de la littérature, dans la profondeur, pour que je lui pose la question. Et elle m’a dit : Rolande, c’est le moment où quand on reprend un texte, on le modifie et on se dit que ça ne va pas du tout : Là, on l’abime et là, il est terminé.


Là, on l’abime et là, il est terminé. Sentir cela. Savoir quand les textes, comme n'importe quelle chose, sont terminés.
 La subtilité, la sensibilité qu'il faut pour sentir cela!

Rolande Causse, Conversations avec Nathalie Sarraute, Seuil, 2016

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