lundi 11 juin 2018

Lire : en toute liberté




Certo, il cuore, chi gli dà retta, ha sempre qualche cosa da dire su quello che sarà. Ma che sa il cuore? Appena un poco di quello che è già accaduto. (Certes, le cœur, pour qui l’écoute, a toujours quelque chose à dire sur ce qui sera. Mais que peut savoir le cœur? A peine un peu de ce qui s’est déjà passé).
A. Manzoni / I promessi sposi / VIII, cité en exergue.
 Il est certain que, comme présageant sa mort prochaine et celle de ses parents, Micol répétait continuellement également à Malnate que son avenir démocratique et social la laissait totalement indifférente, qu'elle abhorrait l'avenir en soi, lui préférant de beaucoup "le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui" et plus encore le passé, le cher, le doux, le charitable passé. Et comme ce n'était là, je le sais, que des mots, les habituels mots trompeurs et désespérés que seul un véritable baiser eût empêcher de proférer, que justement de ces mots et non d'autres soit scellé ici le peu de chose que le cœur a été capable de se rappeler. (Fin du livre)

Giorgio Bassani (1916-2000) a construit toute son œuvre autour de Ferrare, durant les années d’exclusion et de fascisme. Le Jardin des Finzi-Contini, publié en 1961, raconte une histoire d’amour impossible sur fond de lois raciales, juste avant que n’éclate la guerre.

Ce livre, trouvé à la librairie Payot-Coutance un après-midi après les cours, a marqué toute mon adolescence. Je l’ai lu, relu, acheté, racheté, vanté, offert, recommandé, je l’ai passionnément aimé. Fort heureusement, je n’ai jamais eu à l’étudier. J'ai pu me permettre de l'aborder de manière libre, sautant parfois de longs passages, le relisant en commençant par le milieu, pointant un chapitre par-ci un chapitre par-là. Naviguant d’un point à un autre, je reconstruisais à chaque fois l’histoire sous un angle différent. Naturellement, je l’ai aussi lu du début à la fin, d’un trait, et cette fois-là a été comme une première fois. Un jour, j'ai délaissé l'exemplaire Folio avec la photographie de Dominique Sanda en couverture pour l'édition de poche italienne et un nouveau récit s'est imposé à moi.

Ce roman m’a appris une chose essentielle : la liberté du lecteur. Le fait que chaque lecture reconstruit un ouvrage et que personne ne peut se mêler d’entrer dans la relation très personnelle entre un livre et son récepteur.
Plus tard, à l’université, je me suis bien gardée de choisir des séminaires portant sur des écrivains admirés. Analyser m’a toujours semblé incompatible avec une relation d’émotion, littéraire ou autre. Décortiquer et savourer, c'est comme l'huile et l'eau, et l'émulsion ne prend pas. Personne ne lit jamais le même livre et personne surtout ne relit jamais le même livre. Les expériences se suivent et ne se ressemblent pas.

(Et ne parlons pas de la liberté de l'auteur : investigations faites, Bassani a constitué son récit à partir de pièces détachées, empruntées à son entourage, mais ça, ça  c'est encore une autre histoire).

La première fois que je suis allée à Ferrare, sur les traces de mes protagonistes, c'était en août (durant une période de ma vie j'aimais organiser des voyages dans le sillage d'un livre adoré). Je me souviens : la ville était déserte, les rues pétrifiées de chaleur. Je pédalais sur le corso Ercole I d'Este, sur le corso della Giovecca, comme si je retrouvais un paysage ami, les noms et les espaces m'étaient connus, je m'attendais sans cesse à voir surgir une personne familière. Le soir venu, je me suis assise à une terrasse pour relire quelques chapitres in situ. Attablés derrière moi, deux jeunes Français médusés et déçus par cette Italie provinciale s'écriaient : "y a rien à voir dans cette ville, y a que des vieux et des putes".



2 commentaires:

  1. Ah les Français médusés!! :-) Et bien je ne connais pas cet auteur ni ce livre et je ne me rappelle pas d'être passée à Ferrare. Donc je suis en retard pour bien des choses.
    J'aime bien cette idée de voyage dans les traces d'un livre. Mais dis donc, tu n'as jamais songé toi-même à publier? car je trouve que ton écriture est belle et pleine d'intelligence et tu aurais des tas de choses à raconter. Et promis, je ne décortiquerai pas passages après passages. Je garderai l'émotion intacte. ;-)

    Quand j'ai passé ma maturité de français, je suis tombée sur Cocteau: "les enfants terribles". Et je n'avais pas aimé ce livre, n'y trouvant rien d'intéressant. Pourtant, j'ai fait une analyse de texte qui a beaucoup plu. Et je n'ai plus jamais relu ce livre, ni d'ailleurs autre chose de Cocteau. Pourtant, je trouve qu'analyser un texte n'est pas incompatible avec l'émotion qu'il a générée. J'ai passionnément aimé "l'œuvre au noir" de Yourcenar et passionnément analysé le texte. Idem pour Baudelaire et pour d'autres.

    Bises alpines en plein déluge (le ciel nous tombe littéralement sur la tête en ce moment).

    RépondreSupprimer
  2. Oh merci pour le compliment. Écrire est surtout pour moi un besoin,un besoin depuis l'enfance.
    Quant à concilier amour d'un texte (ou d'une oeuvre d'art en général) et analyse, c est personnel, bien sûr. Mais pour moi ça ne joue que dans un sens : une analyse peut parvenir à me faire aimer un texte avec lequel je n'ai aucune affinité. Tandis que l'obligation de décortiquer et de rationaliser est incompatible avec la magie et le mystère de l'émotion. En histoire de l'art c'était encore plus fort. Ah il y aurait beaucoup à dire sur notre relation au Beau!
    Ce temps humide commence à être pesant. Belle soirée quand même chère Dede!

    RépondreSupprimer