Depuis
pas mal de temps déjà, j’ai perdu le goût de faire les soldes. Toutes ces
marchandises entassées, en attente de preneur, toutes ces offres racoleuses, toutes ces
affaires à faire ont le don de m’affliger et de me lasser. J'en viens rapidement à me demander : pour une judicieuse acquisition, combien de dilapidations?
Donc, à Besançon, l'autre jour, je me coulais dans les rues piétonnes en admirant l'élégance superbe des façades, happée par des détails architecturaux, la variété des lucarnes ou l'harmonie de trumeaux.
Je ne sais comment j'en suis arrivée à porter le regard sur certaines vitrines et, de fil en aiguille, à me demander si tout compte fait je ne me trouvais pas dans l'impérieuse nécessité de dénicher un top noir pour mes soirées. J'ai donc délaissé insidieusement la majesté des pierres de taille pour un vêtement qui soit à la mienne (de taille).
Ce faisant, entrant, sortant de boutiques, j'ai senti remonter des émotions fortes, des souvenirs de l'été 2009. A la fin du mois de juin, j'avais pris un jour de congé et je me baladais dans les rues de Strasbourg envahies de touristes. Au centre ville, les soldes battaient leur plein. On voyait les passants décontractés - des mères avec leur fille, des amies, des familles - transporter des sacs bariolés et arborer en souriant leurs achats. La noble cour du lycée Fustel-de-Coulanges, écrasée de soleil, se préparait à une longue somnolence estivale. Un jeune enseignant avait enfourché son vélo et lancé à un dernier groupe d'étudiants : allez, passez un bon été !
L'année 2008-2009 avait été terriblement chargée pour moi. J'occupais un poste fixe exigeant jusqu'à la maltraitance. Par ailleurs, j'avais accepté d'animer à Genève un atelier destiné à des femmes en réinsertion professionnelle. Deux fois par semaine, je me levais aux aurores pour faire de longs trajets et j'avais dû prendre deux semaines sur mes vacances pour honorer ce contrat. De plus, notre nouvelle maison, dans laquelle nous venions d'emménager, n'en finissait pas de réclamer des travaux de finition, et la ronde des artisans semblait ne jamais devoir s'achever (pas plus que les casse-tête financiers). J'avais passé une année la tête sous l'eau et je ressentais un pénible besoin de reprendre souffle, sans parvenir à le satisfaire. Mon cœur qui battait la breloque me rappelait tous les soirs que ce rythme n'était pas le mien.
A Strasbourg, cette année-là, tandis que les vitrines appelaient à consommer et que les enseignants regardaient partir leurs élèves vers de belles vacances, j'aurais donné n'importe quoi pour pouvoir moi aussi flâner au hasard, me choisir un nouveau maillot de bain, avoir des congés devant moi, des perspectives de rivages bleus et de lectures enchantées. Je m'étais sentie submergée par une vague énorme de frustration, d'envie, d'aspiration à jouir de la vie.
Cette vague - la même intense, forte vague - je l'ai retrouvée à Besançon, tandis que j'entrais dans une énième boutique. Et là, tout à coup, sans protester, laissant de côté mes convictions, j'ai décidé de m'accorder ma compensation. J'ai entrepris de savourer le bonheur sans pareil de déambuler, de me chercher un petit je-ne-sais-quoi, en profitant d'une réduction de je ne sais combien, le bonheur de passer de magasin en magasin. Ensuite, installée sur une élégante terrasse, dans la lumière incandescente de cette magnifique journée, j'ai savouré la revanche de profiter - enfin - des soldes de juin.
Au fond, les traversées du désert étant inévitables, n'est-ce pas seulement au moment où l'on se donne à soi-même une douce quittance, qu'on peut enfin tourner la page ?
Au fond, les traversées du désert étant inévitables, n'est-ce pas seulement au moment où l'on se donne à soi-même une douce quittance, qu'on peut enfin tourner la page ?
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