Silhouette massive
enveloppée dans un jean délavé, un T-shirt gondolant sur ses chairs rebondies,
il est passé nous voir avant la commande, s’enquérant d’éventuelles intolérances ou allergies. Il est repassé en fin de partie pour un débriefing. Il s’est
appliqué à passer de table en table. Il écoutait, il relançait, il assumait son
rôle de maître des lieux. Arrivé à notre table, nous aurions voulu lui dire
combien il nous avait comblés, avec tous ces accords parfaits, toutes ces subtilités. Mais un regard à son regard
suffisait pour voir qu’il était crevé. Nous l’avons laissé repartir vers une
autre tablée, écouter tous ces gens qui avaient tant de remarques à lui
débiter, écouter leurs verdicts, leurs appréciations.
En le regardant
quitter la salle pour une heure de repos bien méritée avant le rush du soir, j’ai pensé à ce stress bien particulier, qui provient de devoir sans cesse être en forme. Devoir créer, devoir toujours se donner. Se renouveler. Gérer et développer son affaire. Assurer sa promotion, soigner son image. Devoir plaire et être approuvé. Être évalué. Faire l'objet de critiques provenant de tous côtés, et surtout de la part de ceux qui se sentent autorisés à vous tancer en échange de quelques billets.
Se sentir attendu au tournant. Se sentir vulnérable et éprouver, dans sa fragilité, un terrible besoin d'approbation et de valorisation. Sans compter la peur d’être déclassé. La peur de perdre ce qu'on a patiemment gagné.
Se sentir attendu au tournant. Se sentir vulnérable et éprouver, dans sa fragilité, un terrible besoin d'approbation et de valorisation. Sans compter la peur d’être déclassé. La peur de perdre ce qu'on a patiemment gagné.
Oui, son pas lourd
qui quittait la scène disait le prix à payer, parmi tous les types de stress qu’on peut
avoir à expérimenter, le prix élevé pour être un chef étoilé.
Je viens de terminer cette BD. Elle montre l'autre face, celle de l'évaluation, à travers les yeux d'Emmanuelle Maisonneuve, première femme à avoir intégré l'équipe du Michelin. Le stress des uns, le stress des autres... Pas vraiment fan de guides ou d'attributions stellaires (à vrai dire pas fan du tout), je constate que les belles expériences peuvent énormément différer entre elles : depuis le charme d'une petite osteria dans un coin perdu, un plat de pâtes faites maison, un vin de la région, une ambiance bon enfant, jusqu'à la maestria d'un chef délirant qui fait de votre repas un enchantement, un théâtre, un éblouissement. Un point commun entre elles cependant : l'amour du travail bien fait, tellement bien fait que l'effort ne se voit pas.On a les papilles réjouies et l'estomac ravi. On sort heureux et comblé avec des étoiles, oui, mais dans les yeux.
Avec Kan Takahama et Julia Pavlowitch / Les Arènes BD / 2018
Avec Kan Takahama et Julia Pavlowitch / Les Arènes BD / 2018
Coucou ma Dad. J'avoue, un de mes petits plaisirs, ce sont les bonnes tables. Mais je peux aussi bien passer d'un restaurant étoilé à une petite auberge de montagne avec les macaronis du chalet dans l'assiette et un bon verre de vin.
RépondreSupprimerCe que je trouve insupportable dans cette course à la reconnaissance, c'est que de parfaits petits imbéciles se permettent des jugements à l'emporte-pièce sur des sites comme tripadvisor... J'avais vu un reportage d'un cuisinier dans son restaurant en France qui était tombé en grave dépression car un type inconnu n'arrêtait pas de le pourrir sur ce genre de sites alors que les autres commentaires étaient très bons.
Nous sommes dans une société qui juge, et les jugements peuvent faire énormément de mal surtout quand ils sont donnés par Monsieur et Madame tout le monde qui n'ont aucune légitimité en la matière...
Et quand on voit les émissions à la télévision dans lesquelles on joue à se donner des notes (la plus belle robe de mariée, le meilleur dîner à la maison, la plus belle coupe de cheveux, etc...), on ne peut que craindre que nos jeunes générations ne sachent plus ce qu'est un vrai jugement, donné avec intelligence...
Bises alpines.
Tout à fait d'accord. Sauf pour les émissions de télé : je ne les regarde jamais, trop stupides. Là, DG (dont tu as probablement goûté la cuisine, puisqu'il est de ton coin) je l'ai trouvé vraiment fatigué. Compétent, sympa et fatigué. On sentait toute la pression subie (même si c'est une force de la nature, mais la nature aussi peut en arriver à s'épuiser). bon vendredi, chère Dédé!
RépondreSupprimer