lundi 11 juillet 2022

Vivre : l'envol

 
La vie (détail) / Pablo Picasso / The Cleveland Museum of Art / Cleveland / USA
 
Objectif atteint : A. et T. se sont vus attribuer un studio dans une ville, un nœud ferroviaire mettant les principales destinations du pays et toutes les chances de trouver du travail à leur portée. Ils ont emmené une pile de linges et de draps et plusieurs recettes de pâtes simples et efficaces. Ils auront passé un peu plus de trois semaines ici.
Parmi les articles consultés sur la toile, beaucoup sont consacrés aux familles qui ouvrent leur porte à des réfugiés. Certains soulignent l'aspect positif, enrichissant et humain de l'expérience, d'autres mettent en avant les difficultés de communication, l'abandon de la part des services officiels censés encadrer, les difficultés matérielles et le risque de burn out pour certaines personnes trop impliquées.
Que dire ? Tout est vrai. Rien n'est vrai. La réalité est sans doute flexible, oscille probablement autour d'une moyenne, un mélange d'efforts et de satisfactions, de profond découragement compensé par de lacérantes émotions.
Il est une chose qu'il s'agit de ne pas oublier : les réfugiés ne sont pas "des réfugiés". Être réfugié n'est pas une identité. Les gens arrivent avec leur histoire, leurs bagages, leurs capacités et leurs failles. Il en va de même pour les gens qui accueillent : ils le font avec leur propre histoire, leurs motivations et leurs élans, leurs faiblesses et leurs énergies. La rencontre entre ces personnalités fait partie intégrante de l'expérience, de sa réussite et de son potentiel enrichissement.
A. et T. avaient fui leur pays depuis le 26 février. Ils ont connu la vie dans un hôtel de Madrid, puis ils ont résidé à Nanterre pendant quelques semaines. Finalement, le dix juin, ils ont franchi la frontière suisse où ils ont été hébergés dans un centre pour requérants en attendant qu'il soit décidé de leur attribution cantonale (presque tous les requérants sont aimantés par les villes de Zurich et de Genève, mais tous les cantons doivent participer solidairement à leur accueil). Tous les soirs, nous les entendions parler longuement avec leurs parents. Ces parents semblaient désireux de les savoir en sécurité, mais incapables de leur communiquer un autre message que : restez à l'abri. "Restez à l'abri" est un conseil infiniment sage quand on est soumis aux bombes et à l'insécurité. "Restez à l'abri" est une injonction qui ne sert à rien, quand il s'agit de trouver sa place dans une nouvelle langue, un nouveau pays, une nouvelle société. 
A. et T. devront donc apprendre à nager, évoluer entre leurs anciens rêves et une imparfaite réalité. Électrons libres pendant de longues semaines, ils devront atterrir sur la planète Exil, après avoir longuement attendu, redouté et tenté de maintenir à flot leur espérances bouleversées.
Quant à nous, il semblerait que les autorités aient prévu un défraiement de 140 euros pour cette expérience. Le moment venu, je me réjouis de les ajouter au mandat mensuel en faveur de "Save the children", une institution qui accomplit des miracles à la frontière polonaise, ouvrant des classes de fortune, soutenant l'enfance abandonnée.

5 commentaires:

  1. Depuis longtemps, depuis la dernière guerre mondiale, l’Europe de l’ouest n’a été touché que marginalement par des guerres, comme celles des Balkans notamment. En vacances sur la côte croate, j’ai fait la connaissance d’un homme, celui qui louait l’appartement dans lequel je vivais. Il avait été officié en Yougoslavie, avait fait l’école militaire à Belgrade avec des Serbes, des Slovènes, des Croates, bref des yougoslaves, sans tellement y prendre garde. Et puis, le nationalisme l’ayant emporté, ces officiers qui se connaissaient, se sont retrouvés à commander des troupes du camp adverse. Il me raconta que les canons de défense que Tito avait fait installer au bord de la mer avaient été démontés et retournés pour la défense de Split. Aujourd’hui, sa femme travaille dans une boulangerie, sa retraite à lui ne suffit pas… C’était la seule guerre qui directement déversa des flots de réfugiés meurtris dans les pays avoisinants et généra des assassinats de masse de civils.

    L’Europe sera de plus en plus confrontée aux flots de réfugiés cherchant une vie meilleures, ou fuyant les imbécilités des guerres géopolitiques et les massacres. La réalité d’aujourd’hui est mouvante, la stabilité exceptionnelle de notre région fait maintenant partie de l’histoire et l’avenir est difficilement décryptable. Il n’est simplement pas possible de repousser les réfugiés à la mer, de l’autre côté des barbelés, comme il n’est pas possible non plus d’accueillir tous les réfugiés et migrants. Je n’ai pas de solution, je ne peux que constater et me sentir impuissant car l’origine des migrations est multiple : sécheresses, pauvretés, exactions et répressions, guerres et massacres, exploitations économiques.

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  2. Oups... signé Gaspard

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    1. Pour répondre sur votre deuxième §, oui, je suis persuadée que nous serons de plus en plus confrontés à des flots de personnes cherchant un refuge ou une vie meilleure chez nous. On ne peut pas se voiler la face et demander simplement qu'ils soient refoulés. S'ils sont refoulés, ce sera vers qui ? vers quoi ? La baguette magique n'existe pas, mais je pense que nous pouvons tous faire qqch à notre niveau : cesser de consommer crétin et de gâcher les ressources de la planète. Reconnaître la valeur de ce que les pays pauvres exportent vers les pays riches et les indemniser de manière juste. J'ai vu un voisin se pavaner l'autre jour dans une voiture électrique deux fois trop grande pour lui et sa famille et jurer qu'elle était propre et ne polluait pas. Comme si la gestion des déchets nucléaires s'était miraculeusement sécurisée....On nous prend pour des demeurés... Des gens attendent que leur gouvernement maintiennent les prix des énergies bas, mais personne ne semble remettre en question son chauffage à 22 degrés et sa douche quotidienne de 10 minutes. Après moi le déluge... eh bien, oui, après moi, ça risque vraiment d'être le déluge! Bonne soirée (quand même!)

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  3. D'après des chiffres récents les déplacés ukrainiens sont de l'ordre de 6,3 millions dont 2,5 millions d'enfants. Je replace votre action remarquable envers eux dans ce contexte global. Combien de temps devons-t-il fuir leur pays ? Alors qu'on nous prédit une guerre en Ukraine de plusieurs années, la volonté des envahisseurs étant claire : la conquête totale de ce pays « qui leur appartient depuis toujours ».
    Quelle gestion humaine internationale de ces énormes flux de populations pourra exister, s'accroître, et pendant combien de temps ? Les opinions publiques sont tellement versatiles, et les gouvernants des démocraties tellement timorés face à la menace évidente d'une explosion internationale à partir de l'Europe en guerre.
    Alors on ne peut que modestement porter dans son cœur A. et T. que tu as fait entrer dans nos humanités troublées.

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    1. Quand on est estomaqués par ce qui est en train de se passer aux confins de notre continent, il n'y a rien de remarquable dans le fait d'apporter son aide. Certains le font par des dons, du bénévolat et certains qui ont une place pour les loger peuvent aussi ouvrir leur porte. Il faut pour cela disposer des énergies nécessaires (je ne nierais pas que l'investissement émotionnel, relationnel et physique est assez prenant). Ce que tu dis sur l'avenir de la situation est juste : on ne sait pas combien de temps cela va durer et à quel point cela va nous impacter. Je crois, comme je l'écrivais plus haut, que nous serons toujours plus confrontés à des personnes qui auront besoin de notre aide et que nous, pays riches, ne sommes pas toujours prêts à partager. Nos consommations excessives motivent les déséquilibres écologiques et économiques, mais nous ne voulons pas en assumer les conséquences. Alors qu'on s'achemine vers une crise de l'énergie, on préfère classer le nuclaire comme "propre" (je rêve!) plutôt que d'inviter les gens à diminuer de quelques minutes leurs douches et de quelques degrés leur chauffage.
      La misère et les migrants sont présents depuis longtemps dans le monde : Liban, Syrie, Mexique. Les situations de détresse sont multiples. Que faire ? Consommer moins, selon nos besoins, ne pas abuser des ressources de la planète, ne pas participer à la ronde folle des abus en tous genres. Ensuite, payer aux pays pauvres le juste prix pour leurs ressources. Nous devrions payer le sucre, le café, le cacao et toutes sortes de matières premières à leur juste valeur.
      Ce ne sont pas des solutions. mais on peut toujours commencer par là. Tout belle soirée à toi!

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