samedi 9 juillet 2022

Regarder : extraordinaires images ordinaires

 
Spilimbergo / 2008 / Bernard Plossu / précédé Fresson
 
Cordonata du château de Corchiano / François-Marius Granet / lavis et rehauts d'encre brune
 

 
Au musée Granet, se tient l'exposition Italia discreta. Trois salles en enfilade sont consacrées au travail du photographe Bernard Plossu, des clichés provenant de divers périples à travers la péninsule, mis en regard avec une soixantaine d'esquisses que le peintre aixois François-Marius Granet a réalisées durant ses voyages en Italie entre 1802 et 1824.
Les œuvres exposées permettent d'identifier les liens entre leurs parcours effectués à presque deux siècles de distance et mettent en lumière leurs regards respectifs, soutenus par des techniques très diverses (tirage selon la méthode Fresson** pour le premier, lavis et aquarelle pour le second).

Au cours de la visite, je me suis sentie très vite happée par les clichés tirés au charbon. J'ai été frappée par le pouvoir d'évocation de ces images et leur capacité d'envoûtement. Dans la pénombre feutrée, des brassées de souvenirs, des bribes de conversations, des frissonnements ont surgi de manière inattendue.


 Isola della Capraia / 2014
 
Une nouvelle fois, cette réalité très simple s'est imposée : les photographies n'ont guère besoin d'être précises, ni franchement esthétiques ni parfaitement cadrées pour entrer en dialogue avec leur récepteur. La perfection en photographie peut souvent confiner à l'ennui le plus profond. Les couleurs un brin ternies, des échappées sur une place ordinaire, d'apparentes maladresses peuvent, par le lien direct entre l’œil et le cerveau, solliciter directement la mémoire, inviter à quantités d'associations. L'émotion émerge. Les réminiscences affleurent. Peu à peu, le mental laisse place au corps et à une infinités de perceptions. 

 Lucca, 2009

J'ai quitté à pas lents les lieux silencieux, des lieux qui m'avaient ramenée à toutes sortes de passés, enfance souveraine, genoux écorchés, grandes espérances, retrouvailles exaltées, évasions de vacances et séparations déchirantes en fin de saison.
 
 
  
 
 
** Bernard Plossu, photographe de voyage, célèbre pour ses clichés utilisant de façon quasi exclusive le noir et blanc, a également expérimenté la couleur au gré de ses recherches à travers ce procédé pigmentaire particulier, le tirage Fresson, découvert en 1967.
Ces tirages mats au charbon, mis au point en 1952, donnent un rendu délavé, granuleux, doux et presque onirique à ses photographies. L’exposition présente une vingtaine de tirages Fresson, quasiment inédits.

 

2 commentaires:

  1. Qu'il y ait de la fascination à regarder les créations issues de l'atelier Fresson, je le conçois aisément. J'ai ressenti quelque chose de semblable avec des tirages noirs et blancs selon la méthode ancienne au collodion humide. Un de mes proches, photographe professionnel, fait des portraits forcément uniques par cette méthode sur plaques de verre. Il a fait le mien ! mais il faut des mois pour commencer à maîtriser la méthode..
    C'est proprement fascinant cette impression de revenir presque deux siècles en arrière : attendre le photographe parti enduire sa plaque de la mixture secrète. Poser looonguement (pas question de sourire) sans bouger assis sur une chaise comportant un système de maintien de la nuque bien droite, avec devant soi l'énorme appareil en bois avec chambre à soufflet et le traditionnel tissu noir sous lequel le photographe fait ses réglages. Après il se précipite, car il doit développer la plaque immédiatement et là aussi il existe des secrets des dieux ! On voit le résultat quelques minutes après… et si c'est raté (trop ceci ou pas assez cela) on recommence…
    Fallait être vachement patient à l'époque ! On est à des années-lumière du selfie d'aujourd'hui ! Mais quelle beauté dans le résultat, parfois. (Moi je me trouve raté, mais il paraît que non…).

    Cependant peut-on encore parler de photographies avec le procédé Fresson ? Il s'agit plutôt d'œuvres d'art sur des supports multicouches fabriqués dans des ateliers mystérieux !
    C'est tellement unique, singulier, aléatoire et non dupliquable. Qui plus est avec plein de secrets de fabrication jalousement gardés… et avec des post traitement interminables . Même celui qui pratique dans le secret des dieux ne sait quel sera le résultat final et s'il sera « montrable »…
    Mais c'est vrai que dans le résultat, si c'est réussi, il y a de la fascination… même à les regarder sur l'écran de mon ordinateur !
    Merci pour ce petit reportage.

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    1. Tu as raison de relever deux points importants : la complexité de la technique (en effet, rien à voir avec le numérique classique, encore moins le selfie, on est à... des années lumière...) et aussi la part de mystère des gens (la dynastie Fresson par exemple) qui pratique ce procédé.
      Photographie ou oeuvres d'art ? Tu poses une excellente question. On se trouve à la limite, sans doute, vu le nombre d'artistes contemporains qui ont recouru à l'atelier Fresson.
      FAscination, oui, car on se sent emporté dans un univers onirique, presque irréel, ailleurs que dans le temps présent. J'ai adoré cette expérience.
      PS : tu nous montreras un jour ton portrait ? peut-être ? je me réjouis d'avance de le lire ce futur billet!!!

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