lundi 7 avril 2025

Regarder : dialogues

 


Portrait de jeune femme / Maximilien Luce / 1893 / Ass. Amis du Petit-Palais / Genève
 
L'autre jour, à la Fondation de l'Hermitage, mon regard a été happé par cette jeune personne portraiturée en 1893 par Maximilien Luce. Il y avait quelque chose de si vif dans le regard de cette jeune femme, de si contemporain dans son visage, on l'aurait crue vivante, présente, prête à parler, à converser, à interpeler. Le peintre avait su capter les jeux de la  lumière pour donner vie à son modèle, à tel point que cent trente-deux ans plus tard on pouvait l'imaginer s'interroger à propos de biodiversité, de solidarités, de l'avenir de la planète. La belle jeune fille aux cheveux blonds vénitiens semblait prête à sortir du tableau pour venir échanger sur tout ce qui la préoccupait. Ses yeux pensifs et déterminés  disaient combien elle appartenait au monde et combien le monde l'habitait.


dimanche 6 avril 2025

Vivre : vivre intensément

 
Les Roches Vertes / Gustave Loiseau / Ass. Amis du Petit-Palais / Genève
 
Il fait si beau. Les chants sont si purs. Tout invite à la détente. Là, sur les pavés, un homme s'est rêveusement allongé pour boire sa limonade. Ici, trois Coréens émerveillés lancent des œillades sur le marché. La vie palpite de partout. Les clients se pressent pour obtenir un fromage directement livré des Alpes. Leurs mains se tendent vers les tranches ténues. La vie court le long des rues, se déverse sous les arcades. C'est une journée de printemps, heureuse et belle, et c'est un jour pour envisager la mort. Quelle idée, mais quelle idée quand on y pense de consacrer des heures de brouillard et de novembre à ceux qui ne sont plus ou à nos pauvres restes quand nous aurons disparu. C'est aujourd'hui, dans la lumière vive, qu'il s'agit de nous concevoir mortels, d'oser en parler, alors que nous sommes entièrement en vie et que cette vie est belle. C'est en savourant le printemps, en savourant ces moments, que nous pouvons accueillir la mort et donner sens à nos êtres vivants.
 
 

samedi 5 avril 2025

Vivre : la prodigieuse banalité de nos journées

 

 
Tous les matins, l'heure d'été nous arrache de plus en plus tôt à nos couches pour nous conduire là-haut où nous attendent les appels de la lumière et des oiseaux. Un chamois - toujours le même? - nous coupe la route, vaguement contrarié. Un pic assidu tambourine. Un géant se languit et dit son chagrin d'arbre meurtri. Au-dessus de nos têtes ça piaille et ça crie.
 

 

 
 
Nous nous hâtons. Nous courons. Nous tenons absolument à le surprendre, notre trésor orange. Le soleil surgit subitement comme un loir insomniaque. Il se roule en boule. Il jaunit, il blanchit, il rougit. Il explose. Nous profitons de ces dernières heures et de ces derniers jours de transparence. Bientôt, nous affronterons ici des murs de frondaisons exubérantes. Le cœur nous pince de cet dernier adieu à l'hiver, toujours trop doux toujours trop court.
 

Tous les après-midi, la forêt par petites touches reverdit. Elle a les timidités d'une jeune fille qui rosit. Elle nous donne à voir les tapis d'ail des ours qui nous offrent à déjeuner, des bouquets d'anémones qui saupoudrent les bosquets.
 
Du matin au soir, nous vivons au rythme du végétal et, quand il nous arrive de nous rendre en ville, nous nous sentons déphasés, agressés, perdus, de gros patauds qui ne maîtrisent ni les codes ni les usages. Nous posons des regards navrés sur les façades qui ne cessent de se dresser : comment les gens peuvent-ils se caser dans des rues aux monotones visions, qui n'offrent que grisailles à leurs enfants ? Vite, nous faisons nos courses, visitons nos expositions, et puis nous remontons rejoindre les délirantes primevères incendiées par les derniers rayons.
 
 

vendredi 4 avril 2025

Vivre : Still life/ 164

 

 
La nature se refait une beauté : tout scintille, reverdit, appelle l'harmonie. Face à cette remise à l'ordre, la maison ne veut pas être en reste : 
elle réclame des soins, aspire à l'éclat, ne supporte aucune impureté. Repeindre, donc, réarranger, élaguer, mais avant tout : dépoussiérer. 

jeudi 3 avril 2025

Habiter : dans la maison vide

 
Château de Govone / Piémont
 
Ainsi donc les habitants du grand appartement - le plus haut, le plus grand du village - ont décidé de s'en aller au bout de même pas deux ans ? L'agent immobilier discutait à haute voix de la valeur du logement - large vue, baies vitrées, 250 mètres carrés - avec la femme bien décidée à l'inonder de multiples arguments. Il y a des maisons comme ça, qui ne parviennent pas à se fidéliser leurs habitants, comme certains magasins dans des rues pourtant bien fréquentées, leurs clients. 
Ce lieu avait connu depuis le début une série de difficultés : les premiers à s'en porter acquéreurs s'étaient vite désistés - une affaire de répartition du terrain dans la copropriété qui avait mal tourné - les seconds étaient allés jusqu'au bout du projet, mais leur mariage, lui, n'avait pas résisté : au bout de deux ans, elle était partie, avec leur bébé, et le logement était finalement resté vide pendant quelques années. S'étaient ensuite succédé quelques locataires - une famille d'expatriés, un naturopathe réputé - qui, curieusement eux aussi, avaient jeté l'éponge au bout d'une ou deux années - étonnant comme un logement peut être une affaire de chiffres, qui ne concernent pas seulement des francs ou des mètres carrés, des chiffres comme des cycles qui ne cessent de rempiler. Enfin, dernièrement, le bel appartement a été racheté par "des gens très bien sous tous rapports, le mari occupant une fonction de directeur". Et voici l'espace malaimé, mal compris, mal occupé à nouveau proposé. 
Trouvera-t-il un jour chaussure à son pied, des habitants à demeure, qui sait ? Les choses pour lui se sont mal engagées, mais peut-être quelqu'un saura-t-il un jour comprendre cet endroit, le bichonner, mettre en lumière ses attraits, le valoriser, bref : tout simplement l'apprécier. Y a-t-il au monde chose plus triste qu'un lieu - comme un être - qui n'a jamais été aimé ?
 

mercredi 2 avril 2025

Vivre / Habiter : un rêve

 
Paesaggio siciliano / Giovanni Lombardo Calamia / GAM / Palermo
 
 
Fichtre! que la maison perdue entre les sapins face aux montagnes était belle! (et datant de 1791, s'il vous plait!) Pour un peu j'aurais craqué... un zéro de moins et je n'aurais guère hésité... bien sûr : ni eau courante, ni électricité, ni accès direct motorisé, mais... quand on aime on ne s'attache pas à de petits détails comme ça. Tout à coup, j'ai senti mon instinct de bricoleuse se réveiller, j'ai invoqué ma grand-mère paysanne qui avait élevé ses cinq enfants sans aucune commodité, et les uns après les autres, mille détails sont venus me parler des possibilités de réduire mon train de vie à l'essentiel : toilettes sèches, énergie photovoltaïque, poêle à bois, bombonne de gaz et même Fabienne Verdier avec sa toilette a minima : 
Mais finalement, je préférais utiliser la bassine et la Thermos dans ma chambre où je me lavais le bout du nez et ce qui faut quand il faut. C'est en Chine que j'ai appris à me débrouiller : vous trempez votre petite serviette dans de l'eau très chaude, vous l'essorez, puis vous vous la passez sur tout le corps ; nul besoin de se sécher : vous êtes sec en quelques secondes. [Passagère du silence, p.55, Albin Michel, Paris, 2003]
Évidemment, la partie sage et raisonnable qui tient trop souvent les rênes en moi a exigé une feuille pour l'élaboration de deux colonnes : avantages / inconvénients et l'une est nettement plus longue que l'autre. Mais depuis deux jours je retourne voir l'annonce, et les photos, et je ne peux me résoudre à abandonner. Il y a en moi une solide montagnarde qui ne demande qu'à s'évader (et soupire en découvrant que l'annonce n'a pas encore été supprimée).



mardi 1 avril 2025

Vivre : saisons belles qui passent

 
Il Giudizio finale / Buonamico Buffalmacco / Camposanto / Pisa
 
Elle pleure, elle a l'âme chagrine. On tente  de l'apaiser : puisque rien n'est figé, rien n'est voué à durer, pourquoi l'amitié devrait-elle rester pétrifiée ? Comme un oiseau, un papillon posés sur une branche, comme une inspiration que rien ne peut retenir, les sentiments vont et viennent au gré des circonstances. Les attachements sont appelés à se délier sans qu'on en porte la responsabilité. La durabilité n'est pas forcément gage de qualité. Accepter d'en avoir le cœur éraflé. Laisser les oiseaux, les papillons s'envoler. Laisser les saisons passer. Et se réjouir d'offrir ailleurs la place ainsi libérée. 

lundi 31 mars 2025

Vivre : les sept temps du silence

 
 
 
ces derniers temps, de plus en plus besoin de lieux calmes,
de personnes calmes, de trilles, de clapotis, de formes simples.
me font fuir les salles où l'on mange en hurlant pour ne tenir que
des propos inconsistants, les décibels qui augmentent, l'indifférence
progressive à ce qui entre dans les ventres, le brouhaha poussant 
à se rencontrer pour mieux s'entrechoquer, le mépris du silence,
me manquent les soupirs et les trêves, les suspensions et les pauses


dimanche 30 mars 2025

Lire / Voir : cicatriser

 
 
Le mot islandais ör signifie "cicatrices". Il n'est ni féminin ni masculin, mais d'un troisième genre qu'on appelle neutre. Ör est identique au singulier et au pluriel : une ou plusieurs cicatrices. Le terme s'applique au corps humain, mais aussi à un pays, ou un paysage, malmené par la construction d'un barrage ou par une guerre. Nous sommes tous porteurs d'une cicatrice à la naissance : notre nombril - qui constitue pour certains le centre de l'univers. Au fil des années s'y ajoutent d'autres cicatrices. Le héros de Ör, Jonas Ebeneser, en a sept, chiffre assez proche de la moyenne. Ör dit que nous avons regardé dans les yeux, affronté la bête sauvage, et survécu. [Note de l'auteur, p.197]
En sortant de la projection, j'ai pesté contre ma politesse, qui m'a fait applaudir un film d'une confondante banalité, qui m'a obligée à rester jusqu'à la fin des échanges - des questions convenues, dégoulinantes de glucose savamment enveloppé, des réponses sans véritable intérêt. Je m'en suis voulu de ne pas m'être sauvée discrètement dans la pénombre, fuyant une séance dont les 93 minutes m'avaient paru une éternité. La cinéaste avait dit : c'est son premier roman à être adapté, la romancière a aimé. Il est permis d'en douter.
Il faut admettre que l'hôtel retenu était un bâtiment d'une classe folle et d'un grand intérêt historique. Il faut relever aussi que la jeune actrice, Lorena Handschin, illuminait l'écran. Elle prononçait au milieu du film un monologue sobre sur les meurtrissures de la guerre qui donnait du relief à une suite de dialogues d'une effarante platitude. Mais je n'avais retrouvé dans le long-métrage ni l'humour percutant ni la capacité d'évocation ni la perspicacité propre à Auður Ava Ólafsdóttir. Alors, je suis entrée dans la providentielle librairie La forme d'un livre pour me procurer le texte original et l'explorer.
Ör est un roman datant de 2016 dont la version française des éditions Zulma est sortie en 2017. Du début à la fin de son récit, l'écrivaine utilise le phénomène de la cicatrisation comme fil rouge. On pourrait dire que le thème principal est celui de la réparation. Comment peut-on se reconstruire après une chute, un traumatisme, une catastrophe, tant sur le plan individuel qu'écologique ou social ? Quels cheminements parcourir, quels fonds toucher, pour pouvoir parvenir à émerger ?
L'histoire, c'est celle d'un homme en crise, un bricoleur sensible et déphasé, déterminé à en finir avec une vie où tout semble se désagréger. Son mariage au long cours s'est détricoté, sa mère à la mémoire trouée vivote dans un EHPAD, sa fille adorée est partie vivre ailleurs et il apprend de son épouse qu'il n'en est pas le père biologique. Ces trois femmes sont les trois Guðrún de sa vie et, sans elles, il ne ressent plus le goût de continuer.
En songeant au suicide, il voudrait ménager sa fille, seule personne susceptible de trouver son cadavre. Alors, il pointe un endroit, quelque part sur la planète, un lieu où un conflit vient tout juste de se terminer. Il échafaude des plans pour sa dernière semaine et, comme il est très habile de ses mains, il pense en dernière minute à emporter sa vieille caisse à outils, à l'appui de son projet.
Il arrive dans un lieu où tout est détruit. Tout n'est que gravats, sauf l'hôtel Silence où il a réservé une chambre. A ce point, bien sûr, on est tenté de se dire que l'histoire est prévisible : face aux destructions massives, aux atrocités, face aux besoins vitaux qui émergent de tous côtés, le mal de vivre n'a plus sa place. Ou plutôt : sera remis à sa place et les aptitudes manuelles de Jonas Ebeneser sollicitées de tous côtés. C'est là qu'intervient le talent d'Auður Ava Ólafsdóttir pour évoquer la souffrance avec pudeur, les aléas de l'existence avec poésie et les méandres de la reconstruction avec humour.
- C'est un manuel de conversation pour apprendre la langue, ça peut vous intéresser. Je vous le recommande. [...]
Un des derniers chapitres a pour titre : "Objets qu'on perd parfois", la liste en est fort longue :
Imperméable
Gants
Parapluie
Lunettes
Alliance
Passeport
Stylo
Tournevis

Sois-même ne figure pas sur la liste. [p.176]
Il est courant d'être déçus par l'adaptation cinématographique d'un livre aimé. Ici, ce film trop joliment ficelé m'a permis d'aller rejoindre un roman incitant à méditer sur les voies de la guérison et dont les titres des courts chapitres sont à eux seuls des invitations à voyager (ce sont des vers de poètes ou de philosophes, comme Nietzsche, Leonard Cohen, Garcia Lorca, Jónas Þorbjarnarson ou même un extrait de l'épitre aux Corinthiens) : 
Les plaies se referment plus ou moins vite et les cicatrices se forment par couches, certaines plus profondes que d'autres // C'est sous son aile que tu chercheras asile // Il y a tant de voix dans le monde et aucune n'est dépourvue de sens // Peu d'hommes tuent la plupart se contentent de mourir // Et puis le silence éclate comme une montagne // Je compte les pas entre toi et moi //...
 
 

samedi 29 mars 2025

Vivre : délices du Piémont

 

ces deux dernier jours j'ai rencontré : deux jolies poules rousses invitant à dialoguer,
une chambre divine générant des rêves d'une infinie légèreté, un cerisier du Japon
qui pleurait des larmes douces en infinité et un jus de fruits frais qui ravissait le gosier.
il y avait aussi des noisettes comme des bulles naviguant dans leur univers plastifié
et trois moutons tout ronds flottant comme de gros nuages sur leur prairie parsemée.
c'étaient de petites caresses que la vie - qui peut parfois être très crasse - sait prodiguer
 

vendredi 28 mars 2025

Vivre : élucidations

 
de même que trop souvent, ici, on nage en plein brouillard
les éléments nous permettent aussi de faire toute la lumière
 
 
 

jeudi 27 mars 2025

Vivre : confiance en soi

 
Sainte Madeleine / Famille Memmi / Musée du Petit-Palais / Avignon
 
Elle existe, on la porte en soi
et pourtant elle nous lâche 
- la vache -
parfois.
Comment faire
comment garder 
toujours bien ancrée
la foi en nos plans B ?
 
 

mercredi 26 mars 2025

Vivre : sa meilleure ennemie

 
Autoportrait avec Vittoria della Rovere / Camilla Guerrieri / Gallerie Uffizi / Firenze
 
 
A force de tant lire et tant vouloir progresser 
(tous ces effort pour s'améliorer, se réinventer) 
elle décèle dans son miroir les lueurs de l'hostilité.
 

mardi 25 mars 2025

Vivre : certains soirs, les couchers

 

après tant et tant de jours
des heures et des heures à s'interroger
la réponse finit par arriver
 

lundi 24 mars 2025

Voyager : monoculture

 
 
Il faisait frais ou bien il pleuvait. Et quand il faisait beau, il ventait. Une météo fantasque qu'ici on connaît et qu'on a appris à affronter avec écharpes, coupe-vents et bonnets. Mais là-bas, la ville paraissait démunie. Elle affichait le visage froissé de ceux qui ont vécu trop de mauvaises nuitées. Elle ressemblait à une fêtarde qui a trop fêté et se retrouve dégrisée. Elle devenait blafarde, comme sous le coup d'une insulte dont elle ne savait se remettre. Sur les trottoirs dépeuplés, les SDF contrariés fixaient leurs sacs entassés. Un homme sans âge devant les Halles se tenait immobile, tout désorienté. Il a dit non à ma main tendue. Face à tant d'adversité, pas question ce jour-là de quémander, ni d'accepter la moindre monnaie. 
Il fallait bien le reconnaître : en dépit des terres fertiles et des nobles vignobles recouvrant les collines, le territoire dépendait essentiellement de cette monoculture qu'on appelle le tourisme. Et là, les étrangers, découragés par plusieurs semaines de pluviométrie démesurée, semblaient avoir déserté la cité et toutes ses beautés. Le temps n'était pas à la fête. La vendeuse de la chocolaterie nous a lancé en frissonnant : je suis née ici, mais jamais je n'ai vu un pareil printemps
Et pourtant... que les pierres étaient belles! Il y avait d'intenses moments d'ensoleillement, de cette lumière vive qu'on ne trouve que là-bas et qu'il s'agit d'attraper au vol. Des instants magiques à capter comme des lucioles. Alors on s'est posés sur des terrasses et enivrés de Viognier, on a dévalisé des librairies agréablement calmes et visité des musées désertés, on a échangé avec des gardiens disponibles et des promeneurs enchantés. On profitait de cette période unique où tout semble être ailleurs, alors qu'en réalité le présent recèle tout le nécessaire au bonheur.

dimanche 23 mars 2025

Voyager : welcome / 3

 

Le  matin, après avoir suivi ses berges avec le chien, dans le grondement des moteurs pressés de s'en aller tournoyer de Gard en Gard, nous remontions au bord des hautes fenêtres pour mordre dans quelques tartines. Je ne connais rien de meilleur que la confiture qui dégouline entre les doigts tandis qu'un fleuve lent et enjôleur vous enveloppe de sa douceur. Je dégustais le paysage.
 
 
Dans la grande salle où nous étions seuls, nous entendions l'homme grommeler dans sa cuisine. L'homme avait mille raisons de grommeler : la météo qui avait fait fuir les visiteurs, l'exigeante bâtisse qui réclamait encore et toujours des efforts, trop de taxes, trop de choses à faire. Il préparait en grommelant des fruits d'une délicatesse exquise que nous savourions en cherchant sur le grand tableau de Meissonnier la fenêtre qui nous inondait de soleil matinal. Où qu'il se dirigeât, notre regard se perdait toujours dans les eaux tranquilles.
 
 
Le matin, le soir, le midi, le fleuve était toujours là, qui se laissait admirer, longer, effleurer. Immanquablement l'homme finissait toujours par grommeler que le Meissonnier, il aurait fallu le restaurer. Mais trop de choses à quoi penser, trop de travail. L'homme ne voyait plus ni les rives, ni le fleuve, ni la douceur des pastels. Son regard bleu allait se perdre dans ses abîmes, attiré dans son univers intranquille. Il était comme emmuré dans la Tour de Philippe le Bel. Il était seul.

samedi 22 mars 2025

Vivre : loin des exhibitions

 
La Vierge et l'enfant (détail) /Taddeo di Bartolo / Petit-Palais / Avignon

Si tu ne peux être une étoile au firmament, sois une lampe dans ta maison.
Proverbe arabe

ce n'est pas une question de moyenne ni de médiocrité, 
il s'agirait encore moins de fadeur ou de banalité,
mais plutôt de pudeur, d'élégance, de retenue, d'intériorité,
a-t-on jamais dans le monde eu à ce point besoin de sobriété?
 
 

lundi 17 mars 2025

Voyager : vers le Sud


Ugo Rondinone / Arken Museum / Ishøj
 
 
Histoire de ne pas le perdre, c'est dans la direction opposée qu'on va se diriger.
 
 
 
 

dimanche 16 mars 2025

Lire : un Juste, juste un homme

 

 
J'ai toujours éprouvé autant de douleur que de motivation à lire Primo Levi. Entamer un de ses livres signifie pour moi entreprendre un voyage au long cours, avec des arrêts, de retours en arrière, des reprises, des passages survolés pour parvenir à arpenter le texte comme on escalade une montagne ardue. Je n'ai jamais pu en faire des lectures linéaires, si ce n'est peut-être en lisant "Si c'est un homme", son œuvre la plus connue. La lecture de "La Trève" a été un véritable parcours du combattant. "Le système périodique" m'a fascinée par ses tissages de connaissances chimiques et de réalité humaine entremêlés (paru en 1967, c'est un livre très particulier. Primo Levi, chimiste de formation, intitule chacun des 21 textes, indépendants les uns des autres, du nom d'un élément chimique, lequel, par ses propriétés, est au centre de chacune des histoires. J’appréhendais de le lire, car, à l’école, la chimie était ma bête noire. L’auteur ne souhaitait pas répéter dans ce livre des éléments autobiographiques qu’il avait déjà racontés précédemment. Toutefois, les chapitres se déroulent en ordre chronologique et se réfèrent à un moment donné de son existence.)
 
Inutile de dire que le livre "Lilith" n'a pas échappé à des difficultés de lecture. Cette entreprise a duré plusieurs semaines (et je pressens qu'il me faudra encore pas mal de relectures pour en faire le tour). C'est un recueil de 36 nouvelles de thématiques très différentes, publiées pour la plupart dans le quotidien turinois La Stampa entre 1975 et 1981. Il est divisé en trois parties : le passé, le plus souvent concentrationnaire; l'avenir, étrange, entre science-fiction et métaphysique; et le présent, source de réflexions sur l'être humain en société). Le style de Primo Levi est vif, incisif. Il est capable de résumer une situation ou un être en quelques traits, deux ou trois adjectifs, une image et on saisit rapidement de quoi il en retourne. Impossible bien entendu d'en faire un compte-rendu exhaustif et encore moins de le résumer. Je me contenterai aujourd'hui de parler d'un des récits les plus marquants : "Le retour de Lorenzo".
 
Lorenzo était un maçon employé dans une entreprise italienne qui œuvrait au sein d'Auschwitz. Même s'il ne s'était pas porté volontaire pour ce travail, ce n'était pas un déporté. C'était un civil et il "jouissait" au sein de l'univers concentrationnaire de certains  privilèges, comme celui d'avoir droit à du courrier, des rations plus abondantes, des colis, des jours de congé et une solde en marks. Dans le système très hiérarchisé du camp, ces privilèges procuraient un pouvoir certain à ceux qui en bénéficiaient. Mais Lorenzo Perrone n'était pas homme à en user et encore moins à en abuser.
 
Primo Levi parle de lui dans le chapitre 12 de "Si c'est un homme", un livre écrit dès son retour de déportation, entre décembre 1945 et 1947, alors que le maçon était encore vivant. Il s'exprime avec pudeur et reconnaissance à son propos :
A supposer qu’il y ait un sens à vouloir expliquer pourquoi ce fut justement moi, parmi des milliers d’autres êtres équivalents, qui pus résister à l’épreuve, je crois que c’est justement à Lorenzo que je dois d’être encore vivant aujourd’hui, non pas tant pour son aide matérielle que pour m’avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et facile d’être bon, qu’il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie n’avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose d’indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant. [...]

Mais Lorenzo était un homme ; son humanité était pure et intacte, ce monde de négation lui était étranger. C’est à Lorenzo que je dois de ne pas avoir oublié que j'étais un homme moi aussi. » "Si c'est un homme", fin du chapitre 12
Quant à la nouvelle dont je parle ici, elle a été écrite bien après la mort de Lorenzo. Primo Levi est resté en contact avec lui jusqu'à son décès en 1952, tentant vainement de le sauver de la maladie et du mal de vivre qui s'était emparé de lui à son retour. Voulant honorer son ami, il a donné son prénom à ses deux enfants, appelant sa fille Anna Lorenza et son fils Renzo. Car Lorenzo lui avait, comme l'écrivain l'a répété à plusieurs reprises, sauvé la vie dans des circonstances extrêmes. Il lui avait cédé une partie de sa nourriture, avait fait parvenir du courrier à sa famille, lui avait remis un vieux chandail à porter sous sa veste de prisonnier. 
 
Mais, par-dessus tout, le maçon piémontais, fruste, plutôt caractériel et quasi illettré, n'avait jamais agi de manière intéressée. Il prenait des risques et faisait le bien en toute simplicité. Dans un univers où la bestialité, la violence, la haine, mille dangers, la mort guettaient les êtres, il avait représenté une figure de toute noblesse. L'écrivain à un certain moment utilise l'image de Don Quichotte pour l'évoquer. Il était grand, n'avait pas peur, il faisait ce qu'il avait à faire sans jamais s'en vanter.
Cette nouvelle d'une dizaine de pages est de toute beauté. Toute l'intelligence et toute la finesse descriptive de Primo Levi s'y révèlent. Un texte auquel on reviendra dans les moments où l'on tend à désespérer de l'humanité. 
Je le vis arriver un matin, enveloppé dans sa petite cape gris-vert, au milieu de la neige dans le chantier dévasté par les bombardements nocturnes. Il avançait de son long pas régulier et lent. Il me tendis la gamelle qui était tordue et cabossée, et me dit que la soupe était un peu sale. Je lui demandai une explication, mais il hocha la tête et s'en alla, et je ne le revis qu'un an plus tard, en Italie. Dans la soupe, en effet, il y avait de la terre et de petits cailloux, et ce n'est qu'un an après que, presque en manière d'excuse, il me raconta que  ce matin-là, tandis qu'il faisait sa tournée de restes, son camp avait subi une attaque aérienne. Une bombe était tombée près de lui et avait explosé dans la terre molle; la gamelle avait été ensevelie, et lui, avait eu un tympan percé, mais il avait la soupe à porter, et il était allé travailler quand même. [p.89]
Il tomba malade; grâce à des amis médecins, je pus le faire hospitaliser, mais on ne lui donnait pas de vin et il s'enfuit. Il était déterminé et cohérent dans son refus de la vie. Il fut retrouvé moribond quelques jours plus tard, et mourut à l'hôpital dans la solitude. Lui qui n'était pas un déporté, il était mort du mal des déportés. [p.92]
 

samedi 15 mars 2025

Vivre : l'entre-deux

 

 
tout le charme de mars : cueillir des brins d'ail des ours tandis que les  flocons voltigent
 
 

vendredi 14 mars 2025

Voir : résister, par-delà les angélismes et l'effroi

 

 
  « Lorsque nous sommes militants pour la paix, nous sommes considérés comme des grands naïfs. Or depuis le début, avec ''Les Guerrières de la Paix'', nous affirmons que la paix est un combat qui nécessite du courage et qui est peut-être, dans le contexte actuel, la position la plus radicale qui soit »
 
« A l’heure où chaque personne est sommée de faire bloc avec les siens, où la moindre nuance est suspecte et apparaît comme une trahison, ce combat pour la paix demande beaucoup de courage »
 Hanna Assouline
 
Le hasard a permis que je visionne à quelques jours de distance "No other Land", dont je viens de parler, et "Résister pour la paix" réalisé par Hanna Assouline et Sonia Terrab, accessible actuellement sur la plateforme France TV. Ce documentaire, sorti en novembre 2024, montre lui aussi une facette relativement occultée par les différents médias : celle des militant/es qui veulent continuer à croire en une paix possible. Sans être des naïfs, ni des faibles - pas question de céder aux nombreuses tentatives d'intimidation - ces personnes déterminées continuent tant en Israël qu'en territoires occupés à scander que la paix est la seule voie possible.
 
Il se trouve que la veille de l’attaque du Hamas, les deux réalisatrices étaient présentes en Israël et en Cisjordanie avec une délégation de trente femmes activistes pour filmer leur combat (certaines images de cette rencontre sont inclues au reportage en tant qu'archives). Le lendemain, de retour en France, elles se réveillaient en découvrant leur monde violemment ébranlé. Un an après les événements et les atrocités commises à la chaîne, elles ont décidé de dresser un état des lieux, montrer ce qui se vit sur place, comment on survit à l'horreur et comment on lui fait face.
 
Tout au long du documentaire on est marqués par une évidence : toutes ces voix, on a peu ou pas l'occasion de les entendre. Les news ne les montrent pas ou balaient leur existence d'un trait : ce seraient des mouvements ultra minoritaires, sans grand pouvoir ni importance. Mais ce qui frappe aussi, c'est que tous les problèmes en jeu sont évoqués : les appels à la haine et les menaces, les doutes et la souffrance, le découragement qui guette et pourtant : tous les gens interrogés expriment leur volonté d'aller de l'avant. Ils s'activent, chacun à leur manière.
 
Parmi les personnes interviewées dans "Résister pour la paix", il y a Yonatan Zeigen, à qui le journal The Guardian a consacré un article le 7 octobre 2024 (lire ICI). Il est le fils de Vivian Silver, militante assassinée dans sa maison au Kibboutz Be'eri. Cet article présente la position d'un homme  profondément touché et aussi profondément convaincu tandis qu'il déploie ses idées : il parle en tant que père, travailleur social et médiateur.

"Les gens meurent à cause de la guerre, donc si nous voulons vivre, nous avons besoin de paix. Il n'y a pas de mur assez haut pour assurer la sécurité des Israéliens, pas de violence qui libérera les Palestiniens. La seule façon de parvenir à la sécurité et à la libération est de transformer votre ennemi en votre partenaire."
 
Un article à lire et à relire (on se dit qu'il vaut mieux reprendre et méditer les compte-rendus inspirants plutôt que d'avaler des infos au kilomètre qui au bout du compte n'apportent que du vent).

jeudi 13 mars 2025

Vivre : mes essentiels

 

tous les jours, immanquablement, retrouver les nuages,
le lac, le Jura son enneigement, la paix qui s'en dégage,
tous les soirs, le jour qui ploie dans la danse des nuages, 
la vagabonde nuit qui plonge, ronde, console et les soulage

mercredi 12 mars 2025

Vivre : la nature, les oiseaux

 
Arearea no varua ino /Paul Gauguin / Glyptoteket / Copenhague
 
Le premier sens de la maladie : mesurer l'immense privilège d'être en vie 

mardi 11 mars 2025

Vivre : deux centimètres et c'est tout

 
Portrait de Robert Hirschprung / Julius Paulsen / Fondation Hirschprung / Copenhague
 
Il est vrai que certain/es y vont pour papoter, échanger des nouveautés ou carrément ragoter. D'autres pour s'épancher et même pour se faire chouchouter. D'autres encore pour se tenir à la page, pour se sentir en sortant allégé/es de quelques années. Lui, quand je l'ai complimenté, il a sobrement répondu : "je l'ai choisie parce qu'elle se tait".
 
 

lundi 10 mars 2025

Vivre : sans objection

 
Couronnement de la vierge / Maestro della Croce di Mombaroccio / Galleria Nazionale Marche / Urbino
 
 
Pourquoi faire passer le devoir en premier alors que ta priorité c'est toi ? 
Tu ne peux rien faire pour les autres sans récolter l'énergie que tu te dois.
 

dimanche 9 mars 2025

Vivre : cette poudre d'or entre tes doigts

 
Nature morte / Odilon Redon / Ordrupgaard Museum / dk
 
Durant toute la semaine qui vient de s'écouler, il a fait une météo d'une délicatesse exquise. Le soleil nous attendait dès le matin, il était présent toute la journée et nous offrait au soir de ses plus époustouflants couchers. J'étais comblée. Je passais mes après-midi à rien faire - rien, mais vraiment rien - si ce n'est jouir de ces moments bénis. Ni trop chaudes, ni trop froides, ni trop pressées, ni trop bruyantes, les heures s’égrenaient, sereines et parfaites. Sur le chemin, il y avait très peu de bruit, on se serait cru au mois d'août quand tout devient soudainement désert. Seuls les oiseaux semblaient à la fête. Ce temps miraculeux, suspendu, était un temps des vacances. Je me suis sentie en congé, chez moi, dans le silence de journées douces et souvent solitaires. J'ai voulu chercher une photographie qui montre les rives bleutées, le soleil en train de basculer, les évanescences du Jura. Impossible de trouver une image qui illustre cela : le bonheur d'être en vie. La seule image qui pouvait refléter cette joie lente, cette détente, c'est cette nature morte d'Odilon Redon. Le monde était Still, le monde était ocre, le monde était simple. Un peu comme dans cette peinture sans prétention, mais avec grand pouvoir d'évocation.
 

samedi 8 mars 2025

Vivre : éclats du matin

 
chapelle latérale /église san Pietro / Cherasco
 
Un soleil, un écureuil, un lac, cinq chevreuils. Un chien qui court, tout à ses ébats.
Des tulipes orange qui chantent leur joie. Une journée, une simple journée à vivre. 
Tout est là.
 

vendredi 7 mars 2025

Voir : le courage de documenter

 

 
Visionné hier soir le documentaire "No other Land" qui, après avoir reçu le Prix du meilleur documentaire à la Berlinale 2024, vient de se voir décerner l'Oscar du meilleur documentaire dimanche soir.  
Tourné entre 2019 et 2023, avec de faibles moyens - mini caméra ou smartphone - par une petite équipe d'activistes palestiniens et israéliens, le film montre, avec l'ajout de  quelques images d'archives, le quotidien des habitants dans les hameaux de Masafer Yatta, en Cisjordanie. Suite à la décision de la Cour suprême israélienne de convertir cette région en zone de tir 918, soit un terrain d'exercice militaire, les maisons palestiniennes, les écoles, les espaces collectifs sont détruits, et les habitants contraints à quitter peu à peu les lieux à la faveur de l'implantation progressive de colonies juives. 
Dans ce rapport de force totalement inégal, où ceux  qui oppriment sont ceux qui détiennent les armes et édictent les lois, quelques familles palestiniennes - comme celle de Basel Adra, l'un des deux cinéastes - tentent de résister tant bien que mal. A chaque destruction de leur maison, ils s'efforcent de reconstruire. Certaines bâtisses ont été détruites jusqu'à 12 fois. Cette situation est connue sur le plan international depuis longtemps. Tony Blair s'est rendu en son temps sur les  lieux pour une visite qui a duré sept minutes. Quelques activistes étrangers viennent parfois et s'efforcent de rendre compte des faits. Mais pour les personnes concernées, comment se faire entendre et comment faire reconnaître leurs droits ?
Les images maladroites laissent sans voix. C'est justement leur maladresse qui nous rend les situations si proches. Quand Basel Adra est poursuivi par des soldats et menacé sans lâcher son appareil, les spectateurs le suivent dans sa course éperdue. Quand une mère invoque l'aide de Dieu en veillant sur un de ses fils devenu grabataire après un affrontement avec l'armée  on se sent gagné par l'impuissance et on se demande où les êtres filmés trouvent la force de survivre et de lutter. 
Mais peut-être que, pour eux comme pour nous, l'essentiel est de ne pas lâcher. Leur combat courageux leur appartient, et, en ce qui nous concerne, on se dit qu'il faut regarder, qu'il faut oser savoir et s'informer (même si certains soirs, découragés par la pluie de nouvelles alarmantes, on serait tentés  de zapper). Que dire face à un contexte si difficile? Peut-être, puisqu'il s'agit d'ouvrir son regard et de tendre l'oreille, peut-on se référer au discours pondéré et déterminé que tient Didier Fassin : "Le consentement à l’écrasement de Gaza a créé une immense béance dans l’ordre moral du monde ».
Car c'est bien de cela qu'il s'agit quand on regarde les images de "No other Land" : on se retrouve plus que secoué, on est profondément indigné par un monde qui échappe à toutes les règles morales élémentaires et on n'a nulle envie de "choisir son camp" comme trop de voix nous y invitent (notons que le maire de Berlin, Kai Wegner, a critiqué l'an dernier la remise du prix de la Berlinale en disant qu'il "n'y avait pas de place dans sa ville pour l'antisémitisme"). Choisir son camp, comme s'il y avait d'un côté les Justes, les Tenants de la Vérité, les Civilisés dans leur bon droit et de l'autre les Méchants, les Dangereux, ceux qu'on peut aisément éliminer ou chasser. Comment peut-on nous faire croire à des vérités aussi binaires ? se résoudre à choisir son camp équivaudrait à baisser les bras et les yeux en laissant faire. Or, tout l'art du documentaire consiste à montrer des réalités humaines qui échappent à l'anonymat des chiffres et à l'afflux de nouvelles banalisées. Il doit permettre aux spectateurs de se forger une opinion personnelle, loin des bien-pensances de toutes sortes et des discours calibrés.
 

jeudi 6 mars 2025

Manger : minimalisme

 
Nature morte à la tourte entamée / Peter Claesz / Musée des Beaux-Arts / Besançon
 

Pourquoi cherches-tu l'art d'accommoder les restes ?
Quel besoin de recettes qui créeront d'autres restes ? 
Tu demandes des conseils, des trucs anti-gaspi ?
Congèle ou réchauffe. Pourquoi te compliquer la vie ?
 

mercredi 5 mars 2025

Vivre : elle et moi

 

 
Amazone blessée / Statue IIe siècle A.J.C. d'après original grec / MANN / Napoli
 
Pendant plus d'un mois, on a cohabité, elle et moi. Un jour sur deux, je suis partie avec elle au petit matin. Je prenais ma voiture et je fendais l'épais brouillard qui s'était installé en ce mois de février et ne voulait pas s'en aller. Souvent, s'il y avait un véhicule devant moi, il m'arrivait de perdre ses feux dans la blancheur. J'avais l'impression de risquer moi aussi de me perdre dans l'opacité farouche de la nuit.
Madame Z. nous recevait à six heures trente tapant. Elle levait ses yeux de ses papiers et ne manquait jamais de mentionner qu'elle était là depuis cinq heures trente et avait terminé la veille tard dans la soirée. Même si Madame Z. aime beaucoup parler, je n'ai jamais compris si elle fuit une sorte de solitude ou si tout simplement elle aime s'adonner à soigner. 
C'est long, un mois, quand on tiraillée entre une tendinite revêche et un chien heureux de folâtrer dans les forêts. C'est long de compter les comprimés pour ne pas en abuser.
La douleur a fini peu à peu par prendre le large. Je ne peux pas dire qu'elle me manque, mais si un jour je viens à l'oublier, elle se rappelle à moi et je me retrouve dans mes petits souliers. Je garderai toujours en mémoire ces petits matins blêmes où nous fendions le brouillard, elle et moi, comme un vieux couple mal assemblé, pour aller rencontrer notre thérapeute et voir comment tenter de nous séparer de façon civilisée. 

mardi 4 mars 2025

Vivre : matin tôt, promené le chien

 

 
 dans le matin blafard, la respiration ajoute du brouillard au brouillard 

lundi 3 mars 2025

Voyager : un passant, un soir

 
façade de l'église de San Pietro / Cherasco
 
Durant les voyages, souvent, ce qui compte, ce sont de tout petits détails (comme ces coupelles turquoises insérées sur une façade toute de bric et de broc). On repense à cette église, édifiée au Moyen Âge grâce aux restes d'une autre construction religieuse, auxquels se sont ajoutés des récupérations du site romain de Pollentia, et d'autres éléments tirés de ça de là.
Les détails qui font les souvenirs de voyage peuvent aussi être faits d'interactions, de rencontres minimes, d'échanges de regards et de gestes. Il arrive qu'on parte pour visiter un monument exceptionnel et qu'on rentre avec l'image précise d'une femme ridée en train de vendre ses figues aux pieds de colonnades. Pendant que je prenais cette photo, voulant reculer, j'ai barré le passage à un passant et je me suis excusée. C'était un homme d'une soixantaine d'années, dont la silhouette trapue trahissait la lourde journée. Il s'est arrêté. Il avait besoin de parler. Il n'avait même pas besoin de savoir  si on le comprenait. Probablement que, rentrant chez lui, il avait déjà fait un détour par son bistrot coutumier. Mais peut-être que ce soir-là, au comptoir, trop de mots, de rages, de pensées lui étaient restées en travers du gosier.
Il s'est mis à raconter sa vie. Une vie de travail et une vie de misère. Sa naissance en Sardaigne, son apprentissage de soudeur. Les chantiers dès l'âge de seize ans. L'immigration intérieure dans ce Nord du Sud qui plait aux étrangers mais où les migrants ne sont pas toujours aimés. Il s'est mis à évoquer la crise politique et l'économie de son pays. Il égrainait des propos qui tenaient à la fois du comptoir et du bon sens. Il surfait entre la banalité et une sorte de lucidité désabusée. On sentait qu'il avait l'habitude de penser à ce qui l'entourait mais qu'il était dépassé par trop de pièces qu'il ne pouvait assembler. Le puzzle devant lui contenait manifestement trop d'éléments à organiser (en l'écoutant, on pensait : de plus en plus de gens, ici ou ailleurs, dont les mots s'effilochent au lieu de se tisser)
Sa retraite, si tout allait bien, il l'obtiendrait dans trois ans. A soixante-sept ans, si tout allait bien, il aurait le droit de toucher 1'100 euros par mois et avec ce montant, sa femme et lui devraient pouvoir vivre et payer leur loyer. Ses yeux étaient noirs et vitreux comme si aucune lueur ne pouvait les traverser. "Si tout allait bien" était une expression qui revenait comme une  ritournelle. C'était l'expression d'un avenir qu'on voudrait atteindre sans être certain d'y arriver. Il parlait du Covid et de l'Ukraine, Putin, Trump et tutti quanti, de tout ce qu'on nous cache et de tout ce qu'on nous dit. De ces jeunes qui se pavanent avec de grosses bagnoles à 45'000 euros, plus grandes que celles de leurs patrons, et comment ils pouvaient se les payer? (pendant qu'il s’interrogeait, effectivement pas mal de caisses surélevées passaient dans ce centre historique, de grosses caisses blanches qui semblaient érafler les murs quand elles les contournaient).
Il y avait quelque chose de noble et de fruste chez cet être totalement anonyme, une silhouette vouée à se perdre dans la nuit, une impuissance non dénuée de dignité, comme un sursaut, une volonté de résister à la fatalité. Trois ans encore sur les chantiers (il parlait de son travail et de ses cadences avec un précision étonnante, comment faire pour s'organiser, pour ne pas s'épuiser. Il parlait avec ses mains qui découpaient sa journée). Trois ans à tenir avant d'avoir le droit de s'arrêter.. S'arrêter... Se reposer... L'homme s'est tu. Il a voulu savoir d'où on venait, ce qu'on faisait. Puis il nous a salués et a disparu dans la rue qui bleuissait. 

dimanche 2 mars 2025

Vivre : tout se tait dans l'hiver

 

Silence dans la campagne.
Où sont passés les gens ?
Blottis sous leurs édredons
ou dévalant les montagnes.

samedi 1 mars 2025

Vivre : Vade retro!

 
aix-en-provence
 
On apprend tous les jours et dans tous les domaines. Question voiture, je connaissais le coup de la panne et celui du lapin. J'ignorais tout du coup du rétroviseur. Quand, sur l'autoroute, nous avons entendu un bruit sourd du côté droit de notre voiture, nous n'avons pas compris d'où il pouvait provenir. Pas de pont, pas de Tir, pas de probable chute de pierres. Quelques secondes plus tard, la voiture noire que nous venions de dépasser nous a fait un appel de phares. Nous nous sommes rangés sur le premier refuge d'urgence et avons vu se diriger vers nous un jeune noiraud d'une trentaine d'années. R. m'a dit de ne pas ouvrir ma portière. "Vous m'avez dépassé et vous êtes rabattus trop vite. Vous m'avez abimé mon rétroviseur. Regardez sur votre voiture l'impact" On voyait effectivement une tache noire sous la vitre arrière : le choc que nous venions de remarquer. Devant mon air sceptique, le mec s'est un peu démonté. Il n'avait pas trop l'air de croire à l'histoire qu'il voulait nous débiter. "Impossible" j'ai fait. Son rétro se trouvait à 30 cm au-dessus de la fameuse tache. J'ai remonté la vitre et on a démarré. 
J'ai trouvé ensuite sur le net plusieurs sites qui parlaient de ce coup du rétroviseur. Les gens - souvent des femmes seules, ou des étrangers désemparés - sont prêts à refiler 100 euros en dédommagement pour ce qui se révèle être une tache de gomme noire sur leur tôle (une pierre sans doute enrobée de caoutchouc que le conducteur dépassé balance à la va vite). L'arnaque a fait son come back en Sicile il y a quelques années. Elle a été relatée plus tard en Toscane et voici qu'hier on nous l'a présentée sur l'autoroute Savone-Turin. Je suppose qu'elle peut encore marcher si on est pris de court. 
J'ai repensé au mec, à son regard fixe, opaque, presque en détresse. Cette quasi naïveté. Tiens, rien que pour son histoire, il aurait mérité 10 euros. De quoi aller se boire un café.

vendredi 28 février 2025

Vivre : sur la bonne voie

 

 
Le soir tombe. Les oiseaux expirent.
Laisser se dérouler les heures.
Lentement sentir le lac s'assoupir.

 

jeudi 27 février 2025

Lire : quantité vs qualité

 

 
Liu Ye / Books on Books / Biennale Venise / 2017

Il y en a qui disent "50". Il y en a qui se proposent "100". On en voit même qui veulent atteindre les "300". On se demande : Pourquoi parler de ses projets de lecture en chiffres ? Où est le plaisir ? Quel est l'objectif ? Depuis quand la lecture est-elle soumise à un rendement annuel ? Intégrera-t-elle bientôt le CAC 40 ? En bout de course, où donc s'en iront ces lectures ? qui vont-elles enrichir ? Et si un livre, un seul, pouvait suffire ? Et si un seul livre pouvait vous donner l'envie de le lire et le relire ? Devrions-nous être navrés parce que ce livre nous aurait retardés ? Petits hamsters nous voici condamnés à consommer consommer consommer même ce qui pourrait nous inviter à grandir ou à penser...
 

mercredi 26 février 2025

Vivre : sortir de l'hiver

 
Los Santos Juanes / Rafael Moger / Museu de Mallorca / Palma
 
Prendre le temps de la lenteur. 
Oser s'adonner au bonheur 
du presque rien. Sur la table, un reste de pain. 
 

mardi 25 février 2025

Vivre : elle n'arrête pas, mille soucis et mille tracas

 
Statuette / Museo Archeologico / Taranto

 
Toujours en mouvement, toujours en retard, sans elle, c'est sûr, tout irait de travers. 
Petite souris remontée à tourner, elle a trouvé son identité dans son taux d'activité.