Jean Gautherin / Le Paradis perdu (détail) / Glyptothek / CPH
Chaque matin, nous
traversions un carrefour à impressionnante circulation cycliste pour aller
rejoindre un petit café, aménagé dans ce qui avait dû être anciennement une
épicerie de quartier.
Là, se croisait une
clientèle variée : des gens pressés qui emportaient vite fait leur
coffee-to-go, des accros à la nicotine sirotant leur boisson chaude sur la
terrasse enneigée, des ouvriers saisissant leur journal et leurs tartines au
pain de seigle pour rejoindre le sous-sol. A l’intérieur, certains se
déchaussaient avant de se pencher sur leur tablette tout en dévorant des
céréales au yogourt et au miel. Dans cet espace exigu qui pouvait accueillir
une douzaine de personnes tout au plus, il régnait un silence respectueux fait
de mille petits bruits et paroles prononcées en sourdine, cette manière d’être
ensemble séparément qui caractérise le savoir vivre au Nord.
Dans le petit box,
deux serveuses se relayaient. L’une avait le minois couvert de taches de
rousseur et un sourire espiègle. Elle préparait des espressos que n’eut
pas reniés un barista napolitain et ses œufs à la coque tendaient à être
quasiment durs. L’autre tournait vers les clients de grands yeux angoissés.
Elle apportait immanquablement des œufs cassés et s’excusait longuement malgré
nos protestations it's ok it's ok. Quand nous avions achevé de les manger, nous entendions le
petit « dling » de la minuterie et, désireuse rectifier sa première
livraison, elle venait alors nous apporter des œufs parfaits, au jaune dense et
coulant. Le dernier jour, elle nous a demandé de quel pays nous venions. Quand
nous lui avons répondu Switzerland, elle a pris un air peiné et nous
avons presque eu envie de la consoler, en lui disant que ce n’était pas si
grave.
Aux parois, étaient
accrochés les journaux, des photos de paysages urbains, des transats qui
attendaient des jours meilleurs. Je me disais que j’aurais pu passer la journée
dans ce lieu accueillant et paisible, où se diffusait une musique jazzy, aussi
légère que le café était corsé. Je rêvais de m’asseoir sur les coussins,
d’ouvrir un calepin ou un livre et de rester là, à me sentir vivre, tout
simplement, laissant dehors les flocons s’acharner contre les vitres. Oui. C’était
tous les matins la même chose, je vivais comme un arrachement à devoir quitter
le petit café, ses habitués, ses œufs à densité variable et toutes les vestes
matelassées suspendues sous son comptoir surchargé.
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Il y a des lieux comme celui-là, où on aimerait s'arrêter, c'est vrai. Ton texte, fort bien écrit et très rythmé, nous fait ressentir ce lieu comme étant paisible, une sorte de parenthèse dans le quotidien des gens, une halte dans leur course.
RépondreSupprimerJ'aime aussi ces lieux un peu insolites, qui ne sont pas inscrits forcément dans les guides touristiques mais qui nous font découvrir les gens d'une ville et non pas uniquement les touristes désireux de tout voir en peu de temps.
Je me rappelle d'un de ces lieux à Turin, une petite boulangerie dont l'extérieur ne payait pas de mine du tout. A l'intérieur, des meubles disparates, comme les clients également. Un excellent café, un croissant fabuleux et des jus d'orange frais pressés à damner un saint. Et surtout, surtout, cette ambiance si particulière de gens qui ne se connaissent pas mais qui se croisent tous les jours.
J'aime cette narration qui me rappelle tant de souvenirs. Bon lundi au soleil!
J'aime beaucoup ton récit moi aussi, tu as le don pour décrire les ambiances particulières des lieux.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup aussi la correspondance subtile entre ton texte et ton illustration...
« Cette manière d’être ensemble séparément » tout à fait bien vu !
Bises admiratives
¸¸.•*¨*• ☆
Oh merci, chère Célestine! Je suis très touchée. Gautherin, que je ne connaissais pas, a su très bien exprimer la tristesse et le désarroi devant le paradis perdu, sa sculpture est remplie de délicatesse (il faudra que je fasse une recherche sur ce sculpteur, décidément!). Belle soirée et doux rêves.D.
Supprimer^^
SupprimerPrécieux, ton commentaire, chère Dédé : c'est vrai qu'ils n'y avait que des "locaux" dans ce petit endroit merveilleux, hors circuit touristique. Voir du pays, ce n'est pas seulement visiter des lieux mentionnés par les guides, c'est aussi et surtout observer la vie des gens, s'imprégner des atmosphères, s'y fondre autant que possible. ça me réjouit que tu aies apprécié Turin, une ville atypique, le Nord du Sud. Certains la trouvent austère, mais elle présente tellement de facettes, et elle est riche de tellement de cultures! Toute belle soirée à toi! D
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