jeudi 23 septembre 2021

Vivre : une fille, une femme

 
Pietà (détail) / Girolamo di Benvenuto / Pinacothèque / Sienne
 
Elle servait les repas en se montrant très appliquée, cette fille que la vie avait sans doute méchamment écorchée. Elle souriait, docile, dans ce bistrot "voué à la réinsertion", immergé dans la verdure, à deux pas du grand hôpital décati où l'on soignait les éraflures de l'âme. A un homme arrogant, elle a dit : "Nessun problema". A un autre client aussi. Et c'est quand on lui a demandé si on pouvait modifier notre commande et qu'elle a prononcé pour la troisième fois : "Aucun problème", qu'on a soudain compris ce qui motivait sa présence en ce lieu : elle était quelqu'un à qui on avait appris à répondre calmement et immanquablement qu'il n'y avait aucun souci, quels qu'aient pu être les échos à l'intérieur de son être, et les remous, et les peines, et les ennuis.

 
Couronnement de la Vierge (détail) / Il Beccafumi / Pinacothèque / Sienne

Très mince sans frôler la maigreur, élégante sans aucun ornement, tresse dorée flottant sur des épaules sans âge, sac à dos et souliers de marcheuse aguerrie, elle descendait en ce dimanche matin la rue qui menait aux collines. Elle semblait sourire, mais dans les faits, elle ne souriait pas. Elle écarquillait seulement des yeux émerveillés sur tout ce qu'elle trouvait sur son passage, soucieuse du moindre détail : heurtoirs, arcs gothiques, portes anciennes, couleurs caressées par la lumière. Là où d'autres auraient poursuivi un but et suivi un chemin, elle était son chemin, présente à toute découverte, admettant d'être séduite, prête à être stupéfaite. Absorbée, elle devenait aussi flamboyante que tout ce qu'elle découvrait.

2 commentaires:

  1. Que d’empathie dans ce billet!
    Une alchimie entre la personne observée et la personne observatrice, comme une reconnaissance!
    Cette même reconnaissance entre l’autrice et la lectrice que je suis à l’instar de ce qui se passe avec certains livres, certaines œuvres.
    Ma première réaction à vous lire tout à fait instinctive.
    Ici un bel été indien. Un bel automne à venir.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'empathie fait partie intégrante de la vie, que l'on visite un lieu, ou que l'on pénètre dans un livre (vous avez pleinement raison de souligner le lien). Sans elle, les relations deviendraient stériles, on ramènerait tout à soi, on ne serait pas ouvert à des découvertes. On finirait par s'assécher ou s'ennuyer.
      Les bons lecteurs je crois sont ceux qui sont à même de se décentrer pour aller vers les textes. Ne pas attendre de miroir, de réponse toute faite. Faire un pas vers les personnages (et vers leur auteur) pour mieux les comprendre et les connaître.
      Certains jours, nous sommes de bons lecteurs, ouverts, et certains autres nous nous montrons plus "égoïstes", attendant du texte qu'il réponde à nos besoins. Cette forme d'avidité semble liée aussi à l'attitude consumériste qui régit notre monde kleenex. Je jette sitôt que je ne trouve pas ce qui me convient. Je ne prends pas le temps de comprendre l'oeuvre et son contexte. C'est pour cela que j'aime tant les émissions comme Boomerang, ou Par les temps qui courent, ou L'Heure bleue : on prend le temps de s'approcher pour mieux s'approprier.
      Merci pour ce précieux commentaire. Ici aussi : Merveilleuses et douces journées. Le lac, quitté par les touristes, se montre limpide et apte à la baignade. De quoi gagner en sérénité. Belle soirée.

      Supprimer