lundi 13 juin 2022

Vivre : shopping et shopping

  
Il buon governo (mercato) / A. Lorenzetti / Palazzo communale / Siena
 
Pour éviter d'entrer à Florence en voiture (une calamité qu'on ne peut souhaiter ni aux malheureux locaux que la canicule et les particules fines menacent d'exterminer ni aux pauvres touristes pris dans les embouteillages et menacés d'amendes salées) nous laissions notre véhicule dans une allée ombragée, traversant ensuite une place animée au cœur d'un faubourg où se tenait tous les matins un marché. Là, à quelques kilomètres du Palazzo Vecchio, se déroulait une véritable vie de quartier. Un petit kiosque servait des espressos et des brioches à quelques habitués, des maraîchers offraient des tomates au cageot, des produits horticoles approchant le kilomètre zéro. Une femme maghrébine proposait des nuisettes et des soutien-gorges à trois euros. Un homme exhibait rideaux et tapis de bain pour trois fois rien. Vivant, coloré, c'était un lieu où des plaisanteries fusaient, où des gens s'embrassaient. C'était un lieu où l'on se sentait bien (si je n'avais eu des objectifs programmés depuis longtemps, j'y aurais volontiers passé la journée, allant de terrasse en épicerie, devisant avec un boucher ou avec une fleuriste, échangeant avec quelques chiens ou leurs propriétaires diserts). De l'autre côté de la place, nous nous procurions tous les matins chez un tabaccaio quatre billets de bus, empruntant une ligne sympathique qui nous déposait en une dizaine de minutes au cœur de la cité.

Dans la ville des Médicis, depuis toujours, quelques fléaux, souvent liés au tourisme, sévissent et ont repris de plus belle après l'accalmie Covid. La plaie entre toutes reste la circulation, objet de toutes les incivilités et de toutes les absurdités. Pollution sonore, pollution atmosphérique, encrassement des bâtiments, risques d'accidents, motifs à hurlements, tout ce qui est motorisé est source de tensions. Florence est sans doute la ville italienne par excellence qui n'a jamais su - ou pu ou osé - régler la question (même si officiellement le trafic y est strictement limité). Généralement, les nantis esquivent le problème en prenant un taxi. Cette année pourtant, une nouveauté : le nombre de voitures noires à vitres teintées, souvent des limousines avec chauffeur loués pour la journée, qui stationnaient devant toutes les boutiques de luxe. Il était courant de voir les conducteurs épuisés par la chaleur inhabituelle tomber la veste devant le xième magasin (à noter : la ville étant relativement petite, ces enseignes réputées, Guccci, Ferragamo, Dolce Gabbana, et cetera, se trouvent toutes dans un périmètre restreint, celui de la via dè Tornabuoi). Mais il faut croire que les clients exténués par leurs séances d'essayage avaient absolument besoin  de ces véhicules, dont souvent on laissait tourner le moteur, afin qu'ils trouvent une climatisation adéquate à chaque fois qu'ils rentraient y poser leurs postérieurs éprouvés. Une chose frappait : la différence de tenue entre clients et employés. A l'intérieur, il n'était pas rare de voir des personnages en T-shirt décontracté et tongs kaki dégainer avec désinvolture leur carte de crédit, tandis que l'homme qui les attendait sur le trottoir arborait un costard cravate et l'attitude servile de celui qui tient à faire convenablement son métier.  

2 commentaires:

  1. Suite de ce magnifique reportage dépaysant. C'est bien agréable.
    Il semblerait qu'on ne s'ennuie ni dans la journée, ni le soir ni la nuit…

    Pour m'illustrer ton billet, i'ai regardé sur Google un certain nombre de photos des monuments de Florence avec plein de touristes autour. J'ai observé que les trois quarts des touristes en question avaient les yeux rivés sur leur Smartphone et ne regardaient rien autour deux « en vrai »…
    Tout ça pour ça ! ?
    Le frelon asiatique c'est rien du tout comme fléau par rapport à l'invasion touristique.

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    1. :) tu connais un endroit sur t erre où les trois quart des gens n'ont pas les yeux rivés sur leur Smartphone ? :)
      Le tourisme, où que ce soit sur la planète, est-il un fléau ou une ouverture ? Le fléau, ce serait toujours les autres et l'ouverture, l'expérience que l'on est en train de vivre ?
      Je serais pour instituer un permis de touriste (un peu comme pour la conduite : passer le code, apprendre à respecter certaines règles fondamentales, même si ça n'élimine pas les chauffards, ça peut aider à vivre cette expérience d'ailleurs avec un peu d'harmonie. Ce n'est pas parce qu'on paie une nuitée ou une entrée qu'on peut tout se permettre. Les espaces et les gens qui nous accueillent ont droit à des égards (en toute réciprocité, du reste).
      Pour me protéger, j'adopte l'esquive : les périodes et les horaires de faible affluence, le détour par certains itinéraires moins empruntés, les monuments et les villes considérés comme "mineurs". A la chartreuse de Galluzzo, nous étions trois visiteurs et deux guides. Au couvent de San Marco entre 12 et 13 heures, nous faisions partie des rares personnes à admirer les cellules de Fra Angelico. Visiter, ça demande un peu de créativité. Au fond de la librairie Feltrinelli, en plein centre, il y avait une cafétéria proposant d'excellentes pâtes et où il était possible de consulter les livres en attendant d'être servi. Si on achetait un livre en sortant, c'était après en avoir lu un bon passage et l'avoir adopté.
      Cela dit, le billet traitait du shopping comme révélateur de ces mondes qui se croisent sans jamais se rencontrer... bref, de plus en plus, une métaphore de notre société...
      toute belle soirée à toi.

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