vendredi 17 juin 2022

Vivre : côté lac

 
 

Nos matins commencent très - parfois beaucoup trop - tôt. Nous croisons au passage à niveau le train des premiers pendulaires, le train des nettoyeurs et des livreurs. Il nous indique précisément qu'il est cinq heures vingt-neuf : le village se tire péniblement du sommeil. Quelques lumières sont déjà allumées dans l'école primaire. Un camping-car allemand se prépare à rejoindre le Sud après une halte salutaire. Une conductrice fonce et bâille à s'en décrocher la mâchoire. Un homme considère rêveusement ses salades, semblerait vouloir rester accroché à son arrosoir. A travers les vitrages du restaurant de la plage, une femme s'active à accomplir la première partie de sa triple journée. On entend deux coqs en stéréo s'adonner à des vocalises face aux rives désertées.
 

Sur la passerelle, je reconnais quelques arbres amis, des individus très estimables que je fréquente depuis près de quinze ans, qui résistent aux érosions des rives, aux espiègleries des rongeurs, aux lubies de la météo laquelle, prodigue en averses, les inonda l'an dernier, et aujourd'hui les menace de canicule alors que le printemps n'est pas encore achevé.


Sur le chemin, le chien vagabonde et ainsi en va-t-il de mes pensées. Ma gorge se noue à la vue d'un papillon que la nuit a condamné. Une idée de lettre survient pour une belle âme dont j'aimerais me rapprocher, puis une réponse fugace, presque volatile, à des questions qui m'ont longtemps taraudée. "Ouvre grand ton cœur" me souffle une voix. "Écoute le langage du vent, écoute ses sagesses. Prends soin d'observer la vie, ses chausse-trappes et toutes ses largesses".

Sur le chemin du retour, Messire Soleil nous salue de loin. Il fait le pitre, le saltimbanque, entame des facéties que personne ne perçoit, tant de gens occupés à s'affairer, obnubilés par l'heure, par les tâches de leur journée. J'établis mentalement une liste que de toute manière je ne suivrai pas. J'entends la passerelle gémir à notre passage. J'évite de justesse une libellule immobile, qu'y a-t-il donc, libellule, qui te retient de voler ? Soudain, branle-bas le combat : un castor de belle taille se rue sous nos pieds et glisse entre les joncs pour aller se baigner.

 
Un nouveau jour commence. C'est beau, c'est émouvant, une naissance de jour, c'est un peu comme une maternité sans murs et sans infirmières.  L'air de rien, notre journée a commencé il y a plus de deux heures. La faim commence à nous tenailler. Il est grand temps de regagner nos Pénates : monter dévorer des tartines comme on dévore la vie, plonger une cuillère décomplexée dans une confiture divine concoctée cette année (cerises, citron et myrtilles, une tuerie). Juste avant d'emprunter le petit chemin enchanté, lancer un dernier regard à une douce présence, le pêcheur qui, là-bas, se penche, et d'un geste ample ramène ses filets.


4 commentaires:

  1. A vous lire, j’étais à vos côtés. Sublime début de journée à déguster sans modération. Cela vaut tous les cadeaux d’anniversaire du monde.
    PS: je goûterais volontiers votre confiture.
    Pour ce qui est des heures souterraines, je ne l’ai pas lu. Par contre, j’avais vu une très bonne adaptation sur Arte.

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    1. - Pour la confiture : les fruits, c'est 50-50. Les cerises, plutôt noires et bien sucrées. Le citron : du zeste, bio, naturellement, point trop n'en faut. J'avais oublié la touche de vanille : un quart de tige suffit. Perso, je mixe très modérément, les divers ingrédients doivent se mélanger, mais aussi garder leur touche d'authenticité.
      - J'avais aussi vu l'adaptation des HS sur Arte : parfaite et parfaitement interprétée. (J'ai trouvé en revanche les Gratitudes un peu fades, comme un air de déjà vu déjà lu, entre Tatiana de Rosnay et Anna Gavalda, un peu comme La carte postale tant primée que personnellement j'ai trouvée écrite de manière trop conventionnelle. Mais je sais, cela a plu à beaucoup de gens... je suis sans doute difficile...)
      - Oui, ces matins sont merveilleux. surtout quand l'insolent castor, dévoreur de troncs, l'animal, croise notre chemin! :)
      Belle soirée à vous.

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  2. Quand j’ai lu ce billet, j’ai immédiatement pensé à la chanson de Simon & Garfunkel :
    Morning has broken
    Like the first morning
    Blackbird has spoken
    Like the first bird
    Praise for the singing
    Praise for the morning
    Praise for them springing
    Fresh from the world

    J’avais oublié depuis longtemps la fraicheur et la joie de vivre que m’avais procuré cette chanson, et voilà qu’au détour d’une requête sur internet je retrouve exactement cette impression de beauté et de fraicheur que j’avais éprouvé à l’époque en entendant cette chanson.

    Gaspard

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    1. Je comprends cette histoire de chanson, qui remonte tout à coup. Je crois bien que ce matin-là, je fredonnais quelque chose des Beatles :
      Little darling, the smiles returning to their faces
      Little darling, it seems like years since it’s been here
      Here comes the sun
      Here comes the sun, and I say
      It’s all right
      It’s all right.Tout est bien. Chanson d'apaisement et de plénitude. Les chansons nous ramènent en ces vécus du passé où tout était aussi bien. Merci pour le passage et belle soirée.

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