mercredi 28 décembre 2022

Regarder : l'avenir du passé

 
Hercule et Omphale / Maison du Prince de Montenegro / Pompei / 1er s. après J.-C.
 
Notre halte était minutée. Arrivés à Bologne (trafic intense, pluie menaçante, artères aveuglantes) nous avons miraculeusement trouvé une place à l'extérieur des murs, nous nous sommes enfilés sous la porte Castiglione et empressés de parcourir les longues arcades qui allaient nous mener à notre but. La ville n'a pas tardé à nous emporter dans ce tourbillon qu'elle seule sait impulser. Lumières, décorations, livraisons, cabanes de marchés, tout semblait nous happer, mais stoïquement, nous avons filé droit. Nous savions qu'elles nous attendaient, ces exquises présences de l'Antiquité, elles nous attendaient au moins aussi intensément que nous les avions espérées. Rendez-vous avait été pris, nous avions traversé les Alpes, elles s'étaient déplacées depuis la Campanie et il s'agissait de ne pas nous manquer.
 
Admète et Alceste / Maison du Poète tragique / Pompéi / 1er s. apr. J.-C.
 
Ce genre de situation implique toujours un moment précis qu'il faut rapidement identifier : celui où l'on opère un changement intérieur, quittant le stress visant l'efficacité pour céder au relâchement permettant de converser. Trouver le bon ancrage intérieur, la manière adéquate de dialoguer. Quelques explorations sont nécessaires dans la pénombre, quelques pas et quelques accommodations, avant de parvenir à focaliser.
 
Maison de l'Eros puni / paroi Nord / Pompéi / 1er s. apr. J.-C.
 
Il y a dans la peinture de Pompei quelque chose qu'il trouve infiniment attristant. Quelque chose de perdu, qui n'existera plus. Ces espaces, ces figures le laissent à la fois attendri et démuni. Pour moi, ce n'est pas tout à fait la même chose. Ces fresques relèvent certes d'une évidente mélancolie, une nostalgie de quelque chose que seuls les rêves peuvent venir nous rappeler, mais je ne ressens nullement un sentiment de perte, rien de définitif, ni de brisé. C'est comme si ces dessins, dans leur délicatesse, venaient me parler de quelque chose qui a été, et qui, malgré les apparences, reste encore bien ancré quelque part en moi. Quelque chose que la mémoire, l'imaginaire peuvent encore me rendre.
Les noms mêmes me laissent pensive : la domus du Poète tragique, la maison du Bracelet d'or, ou celle de l'Amour puni ou encore celle des chastes Amants... Il y a dans la manière de restituer la perspective, les incarnats et les drapés un je ne sais quoi que l'inconscient rattache à des expériences passées. Ce que la raison pure qualifierait de maladresses vient nous parler d'une autre réalité, évanescente, immémoriale. On bascule dans une dimension différente, où un autre monde a ses raisons.

 Maison de l'Eros puni (détail servante) / paroi Sud / Pompéi / 1er s. apr. J.-C.
 
La fin de cette année approchait. Dans les rues et dans notre programme, tout nous appelait à la stimulation et, d'une certaine manière, à l'extériorité. Mais les peintures qui précédaient l'an 79 apr. J.-C. n'avaient-elles pas fait le voyage pour nous livrer ce simple message : peut-on se projeter dans l'avenir sans être en paix avec son passé ?


I pittori di Pompei / Museo archeologico / Bologna jusqu'au 19 mars 2023

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