mercredi 3 décembre 2025

Ecouter : loin des rêves de pacotille

 

Quand le Book Club diffuse Dans la bibliothèque de, je manque rarement un épisode. J'aime ces portraits de personnalités du monde de la culture - des portrait chinois en vérité -, même si je dois admettre qu'ils me touchent de manière différente, et même que certains parfois m'indiffèrent. A d'autres moments, je me sens en connexion totale. C'était le cas vendredi dernier avec Florence Loiret Caille, une actrice qui trace son chemin loin des paillettes et des flashes, que j'apprécie encore plus depuis que je la connais un peu en tant que lectrice.
 
Parmi les cinq œuvres qu'elle a choisi de présenter, il y avait Quelques messages personnels, de Pierre Clementi. Un recueil de textes écrits suite à l'emprisonnement de celui-ci à Rome entre 1971 et 1973. Un livre réédité en 2005, mais pas forcément facile à trouver en librairie. L'invitée introduit sa lecture en relevant combien sont rares les acteurs qui ne font pas de compromissions avec le système. "A vrai dire, je n'en connais pas."  ajoute-t-elle en profitant d'évoquer ses  valeurs de manière indirecte. 
 
Avant de transcrire le passage lu par F. L.C., précisons que l'auteur de ce journal a été libéré au bout de 18 mois passés dans les prisons de Regina Coeli et Rebbibbia et expulsé d'Italie. Il avait été condamné pour détention de drogue - en quantité relativement faible - lors d'une perquisition à son domicile. Avec recul, il apparaît que le système judiciaire avait profité de ce procès très médiatisé afin qu'il ait fonction d'exemple. Libéré de cette expérience éprouvante pour insuffisance de preuves, Pierre Clementi n'a été innocenté que trois ans plus tard. 
 
La plupart des acteurs qui percent n'y résistent pas. Ils pénètrent dans l'Olympe, ils prennent place au rang des demi-dieux, ils croient eux-mêmes aux mythes qui les déifient et qu'ils alimentent, qu'ils reconduisent par le spectacle de leur vie publicitaire.
 
Ces idoles - je hais la chose et le mot - peuvent-elles susciter autre chose que des rêves de pacotille, des songes creux, désirs de luxe, d'ostentation, de vanité, de fric, qui intoxique les jeunes esprits bien plus clairement que toutes les drogues.
Le voilà, le véritable opium qui détourne les énergies de la voie créatrice, qui assèche les cœurs, qui mobilise les forces vivantes vers l'objectif mesquin et négatif de la "réussite individuelle".
 
Je crois qu'il est beaucoup plus important, pour celui qui est acteur, de devenir un homme véritablement, d'apprendre dans la simplicité de la vie quotidienne à communiquer avec  ses  frères, d'aider par son travail à mettre en lumière la part du monde qui est vérité et non celle qui est toc, préfabriquée, illusion. 

L'acteur est le représentant de l'inconscient collectif. Son travail permet à chacun de prendre conscience de son bonheur ou de son malheur, de tenter de perpétuer l'un ou de faire cesser l'autre pour retrouver le sentier de la joie. L'acteur peut être l'étincelle qui donne naissance à un foyer où chacun pourra puiser un peu de chaleur ou d'énergie pour continuer son voyage. 

Je pense que l'art doit être au service du peuple et c'est pourquoi il me semble qu'il est inconciliable avec le statut de l'idole, qui est au-dessus du peuple, qui le domine et qui l'humilie, qui se fait servir par lui.
Je vois l'artiste comme un ouvrier parmi les autres. Il doit accomplir sa tâche quotidienne de représenter les joies et les  souffrances avec sérieux et humilité. Il doit aussi ne pas cesser de chercher, de développer son expérience et ses connaissances et ne pas s'arrêter surtout aux buts et aux moyens que lui donnent le système. S'arrêter, c'est mourir. 
(en tendant l'oreille, on perçoit les petits sons d'approbation, de Marie Richeux, qui semble écouter avec délice le texte) 
(en écoutant, on visualise cette publicité horripilante, aux commentaires vains, matraquée ces dernières semaines, dans laquelle des acteurs hollywoodiens vantent la possession d'une montre  à couronne dorée, une de ces montres sans laquelle, après cinquante ans, tu peux être sûr d'avoir gâché ta vie, ah, ah!)

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