mercredi 9 janvier 2019

Vivre : la cliente blonde


La déploration du Christ (détail) / Bronzino / MBAA / Besançon


C’est un petit salon franchisé, au cœur d'une ville étrangère. L'autre jour, j’en ai franchi le seuil pour la troisième fois (si cela continue, je vais finir par me fidéliser).
Le salon est accueillant : on vous y offre un café excellent. Comme il applique des forfaits raisonnables, on y trouve des grand-mères, des étudiantes, des employées qui passent à la pause déjeuner. On est loin ici du confort cosy des espaces détente. Pas de décorations classieuses avec miroirs énormes et meubles clinquants. Pas de visagistes ni de relookings en tous genres. La responsable est une femme dans la quarantaine, filiforme, portant son maquillage impeccable comme un masque, adoptant un ton vif pour exiger de ses trois employées que les choses retrouvent constamment leur place.
L’autre jour, avec la plus jeune, elle démêlait la chevelure d’une sexagénaire blonde, venue pour une teinture avec une repousse de six centimètres. Les cheveux étaient fins, emmêlés. Les deux femmes debout mettaient du temps à progresser, mèche par mèche, défaisant les nœuds un à un, veillant à ne pas faire mal.
Elles avançaient patiemment dans leur tâche : un jeune homme est venu pour une coupe, puis il est reparti tout sourire. Une étudiante attendait que son roux prenne un sirotant un thé. Une jeune mère pâle a demandé qu’on rafraîchisse son look qui en avait bien besoin.
La femme blonde, assise à mes côtés, s'est mise à parler, dessous sa longue frange. Elle parlait de son AVC, elle parlait d’apnée du sommeil. Elle parlait de sa dernière hospitalisation. Elle parlait de gens de son entourage qui avaient succombé. La responsable écoutait, relançait, conseillait. Sous son fond de teint épais, sous ses dehors pointus, on sentait une personne qui avait une réelle vocation pour son métier : savoir couper, savoir dégrader, certes, mais surtout savoir écouter et exprimer de l'empathie. Je l’avais déjà entendue prêter une oreille attentive et tenir des propos rassurants à quelques habituées.
Je suis sortie du salon ravie. Une jeune coiffeuse avait tout compris et raccourci ma coupe d’un centimètre en se taisant : elle n’avait pas plus envie que moi de papoter et je lui en savais gré. Ces dernières années, j'ai pris l’habitude de confier ma tête à des coiffeurs inconnus aux quatre coins de l’Europe, au hasard des déplacements. Je redoute depuis l’enfance ce moment toujours un peu risqué, ce passage obligé. Pourtant, ce salon des plus conventionnels révélait une autre dimension. C’était l’espace où l’on venait confier non seulement sa tête, mais aussi une part de soi. Qui pouvait être pour certaines l’espace du lâcher-prise, du laisser-faire, de la confiance récupérée. Un espace de parole dont on avait le plus grand besoin, d'où l'on pouvait sortir fière, soulagée, se redécouvrant blonde et lisse dans les vitrages. Loin des doutes qui vous nouent l'estomac, loin des perfusions et des centres de rééducation.

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