mardi 2 juillet 2024

Vivre : still life / 148

 

 
Il y avait de la magie dans l'air, ce matin-là. On éprouvait un je-ne-sais-quoi, un va-savoir-quoi qui emportait toutes les probables sources de tension ou d'hésitation. Durant les heures magiques, on respire autrement, on marche autrement, on accomplit tous les gestes avec plus d'assurance. Tout devient évident. 
 
J'avais emmené le chien le long d'étroites ruelles jonchées de vélos et d'affiches décollées. Je l'avais longuement cajolé tandis que nous attendions que R. sorte d'un petit musée. Il faisait encore frais. Sur la place, une chienne noire courait furieusement après sa balle corail. Le rouge et le noir s'emballaient dans la poussière estivale.  Il soufflait un vent doux, presque timoré qui effleurait les cheveux et les vêtements légers.

Un saxophoniste très blond est venu s'installer sous les murs du Palais. Il s'est mis à jouer. De son corps émanait un souffle puissant. Il y avait dans son jazz quelque chose d'envoûtant. Il est rare qu'un corps et un instrument s'expriment de concert aussi harmonieusement. Quand R. nous a rejoints, midi sonnait. On a décidé de s'attabler devant le musicien pour mieux savourer. Les passants défilaient. Ils marquaient presque tous un arrêt. Les piécettes carillonnaient.

L'homme et son instrument jouaient comme s'ils avaient tout leur temps. On ne parlait pas. Ou très peu. On écoutait. On regardait. On était dans un mélange de grâce et d'émerveillement. Une fille un peu ronde s'est approchée du chien en demandant si elle pouvait le caresser. Le chien a approuvé. C'était une fille timide, ça se voyait que la demande lui avait coûté. Puis, elle s'est relevée, soulagée d'avoir osé. La musique continuait de nous bercer. Elle nous a bercés longtemps. L'ombre tremblait. Le soleil grignotait. Il a mordu notre table juste au moment où le musicien a rangé son instrument. Alors on s'est levés, comblés.

Ils sont somme toute assez rares, les moments où la vie se soulève comme un ballon d'enfant, où l'on voudrait suspendre le temps, parce que ce n'est pas vrai qu'on ne reconnait le bonheur qu'au bruit qu'il fait en partant. Alors, en rentrant, je lui ai offert ce minuscule coffret pour qu'il y glisse un mot, un seul, en guise de symbole. Pour plus tard. Pour quand ce serait nécessaire. Pour garder quelque part un peu de cette plénitude avec tout ce qu'elle recelait de mystère.

 

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