mardi 4 mai 2021

Vivre : détournement majeur

 
L'émotion / Jean Alexandre Pézieux / MBA / Lyon
 
Dans le fond, cette période où l'on est tous invités (et souvent contraints) à rentrer chez soi va totalement à l'encontre de toutes les injonctions reçues depuis des lustres. Pendant si longtemps, nous avons été distraits, détournés de notre vérité pour aller chercher les stimulations et les réponses à l'extérieur. Pendant si longtemps, les ressources ne pouvaient, ne devaient se trouver qu'au dehors.

(On nous avait assuré que notre valeur dépendait du nombre d'appréciations positives que l'on était aptes à recevoir de toutes parts, du nombre d'"amis" que l'on savait se "faire" et des "contacts" dont on pouvait se prévaloir. On nous avait appris à nous méfier de nos propres capacités à peser et raisonner. Il nous a fallu convenir ces derniers temps qu'il y avait quelque chose d'erroné dans cette obstination à confondre vie sociale et dispersion, connexions virtuelles et connexion réelle, vie intérieure et passéisme).  
 
Pas étonnant que tant de gens se retrouvent désaxés, perdus, déprimés. Il s'agirait d'apprendre maintenant quelque chose de totalement nouveau. Nous qui étions sans cesse attirés par une force centrifuge, nous voici obligés de nous réorienter vers notre noyau intérieur. Oui : que nous ayons recouru à toutes les diverses possibilités, aux apéros visio et autres jeux de société, que nous ayons zoomé, skypé ou pas, d'une manière ou d'une autre, il nous a bien fallu opérer un retour à soi.

Qui suis-je ? Sur quoi puis-je compter quand je ne me tourne pas vers ailleurs pour recevoir des solutions et des injonctions ? Qu'est-ce qui m'appartient en propre quand je me retrouve seul/e face à une journée, à un arbre, à des heures en nombre démesuré ? Qui suis-je face à ce miroir où personne ne vient me secourir, m'encourager, me valider, m'approuver ? Qui ? 
 
La réponse est simple (bien que floue dans une certaine mesure) : "moi". Et, au bout du compte, à chacun de savoir si ce cheminement ardu, essentiel, se révèle déprimant ou pas. A chacun de savoir s'il veut (après cette pause sociétale qui finira bien par se terminer) aller vers les autres avec de nouvelles demandes visant à être comblées ou avec la confiance d'avoir quelque chose à partager, quelque chose qui pourrait s'appeler équitable humanité.  



4 commentaires:

  1. Il est vrai que peu à peu s'est installée de manière sournoise et envahissante la « tyrannie du paraître ». C'est toujours la même chose, comme on dit chez les hommes, qui est-ce qui a la plus grosse ! ;-)
    On constate souvent que c'est au cœur de l'épreuve, petite ou grande, que le plus souvent on se tourne vers l'intérieur de soi pour se poser les questions essentielles.
    Au niveau du désir effréné de posséder toujours plus, tout apparaît dérisoire quand le risque est de devoir rendre sa propre vie…
    Comme tu dis c'est un cheminement ardu, probablement inévitable (sauf à souhaiter vivre sous l'anesthésie du paraître), mais qui comporte l'avantage de déboucher sur une revalidation de sa propre personne selon quelque chose qui est quand même plus proche de « qui on est, vraiment ».
    En ce sens je ne peux que rendre un hommage appuyé au déroulement de ma propre vie et sans doute de ce que j'ai su en faire « malgré tout » !…
    Mais ceux qui nous ressemblent sont une majorité silencieuse allant croissant…

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    1. J'adore l'expression "savoir faire quelque chose de sa vie "malgré tout". C'est très positif, ce que tu dis en considérant ton parcours.
      Et, en élargissant le focus, je pense à l'humanité toute entière : combien de personnes, défavorisées, d'une manière ou d'une autre, l'argent, la santé, les droits fondamentaux, la marge de manoeuvre géopolitique, combien de personnes luttent, tous les jours et peuvent finalement se dire fiers de ce qu'ils ont fait "malgré tout" ? des lumignons qui s'allument un peu partout... de l'espoir dispersé sur la terre...
      J'aime aussi ton idée d'une majorité silencieuse allant croissant : combien de temps encore va-t-on accepter qu'on nous parle comme à des imbéciles, destinés à penser et à agir comme des benêts ?
      Cela étant dit, je te souhaite une douce, une éclairante soirée.

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  2. Belle approche. En effet, depuis longtemps, plusieurs décennies en tout cas, mais avec de plus en plus de pression et à coup de développement technologique, cette société occidentale, nous a bien fait sentir que nous ne sommes rien sans clics, sans mise en scène de soi, sans sponsors, sans reconnaissance numérique : « je suis beau/belle, heureux/heureuse et jeune (bien entendu) » voici la pour la mise en scène ; et le nombre de clics, de followers pour la reconnaissance. D’abord le selfie, mais ce n’était plus suffisant, après FB (pour les intimes bien sûr), Facebook pour les autres, et ainsi de suite. Instagram et demain encore une autre plateforme. Peu importe, car tout est en fait identique (à part l’emballage numérique), ou plus exactement mobilise les mêmes « ressorts » : plus j’ai de clics, plus je suis aimé, plus je me sens vivre. Alors certes, la situation actuelle, qui laissera des traces, a débuté par une remise en cause, le retour sur soi, mais seulement d’un côté, de l’autre, les reconnaissances numériques devenaient en plus en plus importantes, devaient remplacer les relations personnelles, physiques. Et c’est là que le système a touché le « mur de verre ». Aucune application, aucun Zoom, skype ou app ne peut remplacer deux choses essentielles : à savoir le retour sur soi « qui suis-je maintenant », et les relations humaines, non capitalisables.

    Voilà ce que je mets en discussion



    Gaspard

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    1. Tellement d'accord avec ce que vous dites. Bien sûr, l'être humain est sociable par nature et par besoin. Bien sûr, le regard de l'autre compte. Bien sûr, nous serions moins stimulés sans cette appartenance sociale. Mais... comme vous le dites, on est en train de vivre des excès qui nous rendent à la fois plus fragiles et plus absents à nous-mêmes. Il est tout à fait possible de concilier les deux aspects, de nous connecter sans se mettre en état de dépendance. On peut se garder humains et uniques et bénéficier des apports technologiques. On peut trouver un équilibre. Peut-être que ce que nous sommes en train de vivre depuis... quoi, déjà quinze mois nous invite à repenser tout cela. A nous aimer peut-être un peu plus nous-mêmes pour avoir moins besoin de nous sentir aimés de l'extérieur.
      Bonne journée, cher Gaspard.

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