Y a-t-il un mot plus vide, plus exaspérant, plus inutile que le mot "bonheur" quand on cherche à l'encager? Il appartient tellement à l'expérience - et à l'expérience seule - qu'il ne supporte aucune définition. "A la recherche du bonheur" apparaît comme la plus vaine des expressions. "Comment faire pour être heureux" la plus inféconde des questions.
Un soir, tout récemment, j'avais écrit dans mon journal ces quelques lignes. Mais pourquoi donc avais-je pris la peine d'écrire à ce sujet, à quoi bon ? Tout simplement parce que ce jour-là, j'avais été heureuse, apparemment sans raison. Un bonheur inattendu, léger, souverain s'était emparé de moi depuis le matin et n'entendait pas me lâcher. J'aimais tout de cette - pourtant banale - journée : la ronde des nuages, la manière désinvolte qu'avait le ciel de rosir par moments de ça de là en suivant les crêtes du Jura, le clapotis du Léman sur ses rives délaissées, la vitalité du chien et même la légère douleur que me procurait ma chaussure gauche en comprimant l'un de mes orteils. J'aimais être présente à la vie, à ma vie. Tout ce qui la veille pouvait m'avoir contrariée - telle facture inopinée, tel souvenir surgi et pas vraiment agréable à considérer - tout cela m'était apparu d'une terrible insignifiance. Il n'existait au monde que mon plaisir de sentir tous les os de mon squelette miraculeusement accordés, de découvrir la buée de mon souffle s'évaporer en direction des cumulus pervenche et la suite des instants déroulés l'un après l'autre qui m'enchantaient.
Le bonheur appelle à être ressenti, jamais à être défini. Le bonheur est un oiseau qui ne se laisse pas attraper. Une bulle légère qu'un rien peut faire éclater. Dès lors... ne restait qu'à vivre et savourer...
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