mardi 17 décembre 2024

Voyager : à contre-courant

 
 via Santo Spirito / Florence
 
Tu non sei nel traffico. Tu sei il traffico. 
(Tu n'es pas pris dans le trafic. Tu ES le trafic) 
 
En découvrant ce graffiti sur un mur de la ville, tandis que les conducteurs de taxis, de trottinettes, de voitures et de bus klaxonnaient, s'invectivaient, s'impatientaient, se bloquaient les uns les autres avec une belle dextérité, je me suis dit que cette ville merveilleuse, crasseuse, chaotique, sublime, bruyante, vulgaire et classieuse, devait être l'antichambre de l'enfer pour ses habitants plusieurs mois par année. Le surtourisme y est régulièrement dénoncé et il l'a été encore avec force en novembre dernier. Les locaux n'en peuvent plus. Même la basse saison connaît des pics d'intensité. Le centre se vide de ses habitants. Les  étudiants natifs se découragent et partent poursuivre leur formation dans des centres urbains plus abordables, comme Padoue ou Turin. Il y a non seulement les nuisances sonores et atmosphériques, mais également les conséquences financières : le coût d'un sandwich atteint des montants que leurs bourses ne leur permettent pas. Mais apparemment ces ras-le-bol répétés restent lettre morte. On leur oppose à chaque fois le droit sacro-saint du libéralisme à se développer et on brandit la menace de places de travail supprimées. Il en va ainsi un peu partout en Europe, dont les "solutions" trouvées par les principales villes ressemblent davantage à des supra solutions qu'à des moyens efficaces de faire face, en ces places où les extrêmes se côtoient et où l'argent finit par exclure avec férocité. 
 
 
Giuseppe presenta al faraone il padre e i fratelli / Francesco Granacci / Gallerie degli Uffizi
 
Et pourtant... l'éblouissante galerie des Offices... les églises de la Renaissance... Giotto, Masaccio, Botticelli...l'art sous toutes ses formes... les échos de l'Histoire... l'éclat de la lune taquinant l'Arno dans le noir... Car c'est le soir - pas la nuit - le soir quand la plupart des gens s'apprêtent à s'attabler que la ville s'apaise, acquiert une épaisseur et une présence particulières. C'est le soir que s'allument mille lumières. Les carrousels ralentissent leur allure. Les gens fatigués s'empressent de rentrer. Alors des musiciens s'installent et entament leurs mélodies. Ainsi la piazza Santa Trinità devient un lieu où se donnent des concerts à ciel ouvert. Les passants ralentissent, les conversations se suspendent tandis que leur parviennent des notes de Verdi, Haendel ou de Morricone. Un apaisement recueilli occupe peu à peu l'espace, déferle sur les façades, pleut sur les statues, ruisselle sur les pavés. On dirait que la ville redevient elle-même, hors du temps, des modes et des saccages.
 



Ponte Santa Trinità
 
Avec le temps, on finit par tirer des leçons. On met au point une méthode destinée à survivre aux marées et aux débordements. On contourne. On esquive. On zigzague. On va à contre-courant. On se met à contre-temps. On opère des détours. On repère les lieux magiques que les guides ignorent. On s'en va débusquer le calme là où il a su se terrer. Enfin... enfin... grâce à ces techniques, on jouit  avec délices de la ville des Médicis.

Giuseppe presenta al faraone il padre e i fratelli / Francesco Granacci / Gallerie degli Uffizi (détail)

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