Plateforme10, le quartier des Arts lausannois à deux pas de la gare ferroviaire, a été inauguré il y a pas mal de temps déjà. Je me souviens que durant toutes les années où les travaux battaient leur plein, arrivant en ville, je lançais un regard dubitatif depuis mon wagon sur ces constructions qui semblaient devoir s'agglutiner le long des voies et dont les façades austères paraissaient vouées à s'écraser contre les élégants immeubles tout proches.
Pourquoi vouloir rassembler trois musées - Beaux-Arts, photographie et design - en un seul lieu ? me demandais-je. Pourquoi ne pas leur laisser à chacun leur individualité ? Il faut dire que j'avais entretenu un rapport affectueux avec l'ancienne demeure qui abritait le musée de l’Élysée, consacré à la photographie depuis 1985. Elle dominait un parc superbe qui descendait en pente douce vers le Léman. C'était un lieu paisible, inondé de lumière, sur lequel veillaient des arbres centenaires, un lieu où il faisait bon passer quelques heures en compagnie de tirages et d'artistes très divers.
Bref, je nourrissais de sérieux préjugés contre ce projet de plateforme trop uniformisateur à mon goût et il m'a fallu un temps fou pour accepter d'y mettre les pieds. Mais... sitôt que je suis arrivée sur le site la traditionnelle expression vaudoise m'est venue à l'esprit : j'ai été déçue en bien. L'esplanade était vaste. Les architectures épurées et les espaces convaincants. Les temps changent. La roue tourne. Je me suis laissée emporter et maintenant je m'y rends volontiers.
patins à glace / Bois de Boulogne / 1956
En ce moment, parallèlement à la rétrospective exceptionnelle consacrée au japonais Daido Moriyama (dont je n'ai pas encore parlé, mais ça viendra) un espace est dédié à Sabine Weiss. J'ai déjà parlé ICI et ICI de cette étonnante photographe, décédée en 2021 à l'âge de 97 ans. Peu avant sa mort, elle a décidé de remettre ses archives au musée Photo Élysée, qui en assume l'imposant héritage :
Le fonds d'archives de Sabine Weiss comprend l'ensemble de ses négatifs (200'000), l'ensemble des planches contact (7'000), la plus grande partie des tirages vintages (2'700), la plus grande partie des tirages tardifs, dit modernes (2'000), les tirages de travail (3'500), environ 2'000 diapositives, et l'ensemble de la documentation, soit les archives presse, les critiques, les justificatifs, la correspondance, les films, les enregistrements. [extraits site musée]De quoi donner lieu à de multiples expositions. Pour l'instant, ce sont les débuts de la photographe artisane qui sont mis à l'honneur : son travail pour la mode et la publicité, ses premiers clichés dans les années 1950 à Paris et ailleurs. Une large place est laissée à ses témoignages. Outre des citations affichées sur les parois, on diffuse une vidéo réalisée durant ses dernières années où Sabine Weiss évoque le démarrage de sa carrière avec la simplicité et le naturel qui lui sont propres. Ça ne devait pas être simple pour une jeune femme (Suissesse de surcroit) d'arriver à cette époque dans le monde masculin de la photographie et de s'y faire une place. Mais la débutante avait un caractère bien trempé et une solide carapace et lors de l'interview, elle raconte ses anecdotes avec une belle vivacité.
cheval ruant porte de Vanvres / 1951
J'adore ces photographies. Elles ont le pouvoir de me mettre dans un drôle d'état : un mélange de nostalgie et de sérénité indéfinissable. Une envie de rire et de sourire. Un appel à la liberté vers toute sortes de possibles. La meilleure des thérapies en ces temps troubles.
Vendeurs de pain / Athènes / 1958
Terrain vague / Porte Saint-Cloud / 1950
"Je photographie pour fixer l'éphémère, fixer les hasards, garder en images ce qui va disparaître : gestes, attitudes, objets qui sont le témoignage de notre passage. L'appareil les ramasse, les fige au moment même où ils disparaissent. Ce sont quelques traces de ma vision sur notre époque."
autoportrait / 1953
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