samedi 28 décembre 2024

Voyager : la densité d'une ville

 


Dans la grande ville qu'on dirait dessinée à la règle par un géomètre appliqué, dont le centre s'appelle "quadrilatère" comme si rien ne pouvait consentir à la moindre courbe dans ce monde de rectitude et d'austérité, la foule allait et venait guidée par les lumières qui une à une s'allumaient, offraient aux places une perspective invitant à s'évader..


Dans une ville, il y a tant  de villes. Celles des pâtissiers éblouissants et des musées alléchants. Celles des  vitrines aguicheuses et glaçantes où l'on ne se sentira jamais autorisé à mettre les pieds. Celles des exposants de pacotilles qui ne tiendront pas jusqu'à l'été. Un funambule se tenait en équilibre au-dessus d'un croisement. On aurait dit qu'il veillait à rassembler tout ce qui n'était pas appelé à se ressembler. Difficile exercice que celui de faire entrer un cercle dans un carré, difficile dans un monde où tourner rond relève de la plus grande dextérité.

Le temps d'un bref aller-retour, une ville peut renfermer un concentré d'expériences. Nous l'avons parcourue en long et en large jusqu'à en avoir les membres fourbus. Nous avons sillonné sans parvenir à en faire le tour son immense marché avec sa clientèle bigarrée."Certains disent qu'on est à Marrakech. Ici, c'est un autre monde." a lancé une femme en nous indiquant l'arrêt du tram numéro 4, dont la ligne constitue une colonne vertébrale en traversant la ville de part en part. Nous nous sommes mêlés aux flots soutenus des habitués, des flots où s'entremêlaient toutes sortes d'attirances et de frustrations, où chacun revendiquait tant bien que mal son droit à consommer.

Dans les artères du centre relativement peu de gens se promenaient munis de sacs et de sachets, mais l'essentiel était sans doute d'y être, d'avoir l'illusion d'en faire partie et de pouvoir y accéder. Il y avait ceux qui faisaient la queue pour pouvoir prendre place dans d'historiques cafés, et ceux qui, ne pouvant pas se payer le moindre café, convoitaient un abri où s'installer.


C'est dur. C'est cruel une ville dans la nuit de décembre, quand la violence fait rimer Dior et Gucci avec sans-logis. Devant la cathédrale, un groupe évangélique jouait une musique entraînante, entonnait des chants qui appelaient à s'aimer. De bons musiciens, des chanteurs bien intentionnés. Un jeune homme - un gamin - m'a tendu un billet. Quelques mots sur l'espoir et la solidarité. Il a dit : "Que dieu vous bénisse" avec des yeux implorants qui demandaient à faire croire autant qu'ils croyaient. Tout le long des arcades, des hommes, des femmes, des chiens, quelques migrants s'étaient couchés. Ils s'enroulaient dans leurs couvertures entassées. Un couple dans un coin se  partageait une portion de cannelloni et ils souriaient d'un sourire édenté dans le bonheur d'être réunis et de pouvoir manger.


Il y a plusieurs villes dans une ville. Une ville est un être vivant, un monstre en constant mouvement. Une ville est un être vivant pourvu d'une personnalité : elle contient mille facettes qu'il s'agit d'apprivoiser sans jamais pouvoir être certain d'y arriver.
 
 

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