Lars Arrhenius / A-Z 2002 (détail) / Arken Museum
Impossible
de me fidéliser une coiffeuse : la dernière fois où j’avais cru pouvoir
confier ma chevelure sauvage à un salon pas loin de chez moi, la jeune femme
qui venait d’achever – plutôt bien – son travail me dit en m’époussetant les
épaules : « j’en suis à mon septième mois, j’arrête dans quelques
semaines ».
Je
suis donc condamnée à risquer ma tête toutes les six semaines environ, au
hasard des villes. Au fond, étant donné l’indiscipline fondamentale de ma tignasse, le danger
est limité et, de plus, l’expérience est intéressante : les salons et les
techniques varient passablement, les conversations aussi. Après Vienne, Padoue,Amsterdam, je suis entrée l’autre jour dans un sous-sol pas loin de la place des
Capucins, où la gérante était en train de finir son café. Ah ! Vous êtes juste de passage?
C’était
une belle femme d’une cinquantaine d’années, originaire d’une petite ville au
sud d’Alger. Fonctionnaire dans son pays, elle était arrivée en France il y a
quinze ans. Rapide, efficace, elle n’a pas mis plus de quinze minutes à
rafraîchir ma coupe. Entre temps, j’avais appris que le centre ville était en
train de changer énormément (on rénove passablement dans ce vieux quartier de
Saint-Michel, multiculturel et populaire) ; que « du travail en
France, il y en a, et que les SDF, ce sont des gens qui ne veulent pas
travailler » ; qu’il y en a « de plus en plus maintenant que
l’Europe a ouvert ses frontières à l’Est » ; qu’elle-même avait
beaucoup à faire et qu’elle « allait même pouvoir embaucher » ; que
Marine « elle va rien faire à ceux qui travaillent et qui cotisent ».
La dame avait obtenu sa naturalisation française et se trouvait donc en mesure
de voter. Je ne peux pas dire, vu leur nature, que j’ai senti mes cheveux se
dresser, mais ces propos avaient quelque chose de troublant.
A
propos de SDF, justement, dans la ville ce qui m'a frappée, c’est le nombre de
jeunes qui zonaient. Des tout jeunes, des tout français, livrés à la rue, en
bande ou pas, avec leurs chiens, leurs sacs, leurs canettes. En leur tendant
deux euros, je n’avais pas le sentiment que ce serait destiné à de la dope.
J’avais l’impression qu’ils avaient besoin de manger. Eux aussi de passage, d’où venaient-ils ? Où
s’en iraient-ils ? Quelle avait été leur trajectoire
pour qu’ils en arrivent à danser crânement sur ces trottoirs ? Combien de
temps allaient-ils tenir dans ce genre de vie ? Les destins sont si
fragiles, il suffit de si peu de choses, parfois, pour bifurquer, décrocher, ou
dégringoler. Il suffit parfois d’un regard, d’un mot pour tout faire basculer.
Dans
le taxi qui nous ramenait à l’aéroport, le conducteur pestait contre les
nuisances dues aux travaux de la nouvelle ligne de tram D, qui prévoit de
desservir les quartiers et communes du Nord-Ouest. « ça va encore amener
de la racaille au centre ville ». Moi, j’avais plutôt perçu les tramways comme
des fermetures éclairs qui recousaient la ville de part en part.
Prendre
une ligne au hasard et observer les passagers, tendre l’oreille aux
conversations, entendre des bribes de vie se dérouler avant la descente au
prochain arrêt. S’asseoir dans des bistrots de quartier, siroter sans rien
faire d’autre qu’observer. Détailler les contenus du tapis roulant à une caisse de supermarché, échanger quelques mots avec des commerçants. A nuit tombée, s’interroger sur ce qui se vit derrière les fenêtres illuminées. Monter dans un taxi épuisée et
regarder la ville, ses lumières se déployer.Bref, être touriste, être en voyage. Être juste de passage.
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