Vicenza / Palazzo Leoni Montanari
En lisant les romans de Zeruya Shalev,
écrivaine israélienne, on se retrouve confrontée aux vérités intimes et peu
avouables qui se cachent derrière les apparences. On dirait qu’elle s’acharne à
extraire la vie de sa coque de bienséance. Elle brise le vernis social, pour
décrire de manière crue les territoires personnels, les tensions et les conflits, les déceptions vissées au corps, les refuges illusoires dans
des histoires idéalisées.
Vie de couple, difficultés
relationnelles entre proches, enfants, parents, frictions dans les fratries,
tout y passe. Ça pourrait sembler pessimiste. C'est peut être simplement
réaliste. Ça sonne juste. Ça invite à la franchise envers soi-même. On lève
les yeux du livre et on se met à considérer sa vie sans fard.
Puisqu'on n'en a qu'une, autant l'explorer avant qu'il ne soit trop tard, cette vie qui est là devant soi.
Puisqu'on n'en a qu'une, autant l'explorer avant qu'il ne soit trop tard, cette vie qui est là devant soi.
A l’époque où Nitzane avait encore besoin d’elle, elle respirait à pleins poumons, volait parfois l’oxygène de la bouche des passants croisés dans la rue, mais à présent que sa fille la repousse, la blesse volontairement, elle se fiche de l’oxygène, que les autres en prennent autant qu’ils veulent. Quel drôle d’âge, malaisé, soupire-t-elle, quarante-cinq ans, il fut un temps où les femmes mouraient à cet âge-là, elles terminaient d’élever les enfants et mouraient, délivraient le monde de la présence épineuse de celles qui étaient devenues stériles, enveloppes dont le charme s’était rompu.[Ce qu'il reste de nos vies, p.20]Elles sont toujours fatiguées, surtout le matin, à la première réunion de l’équipe enseignante. Elles bâillent, piquent du nez, petits oiseaux dépenaillés, qu’elles sont. Il y en a qui boivent café sur café pour se réveiller, il y en a qui se goinfrent. D’ici à midi, les différentes composantes de leur visage auront retrouvé un équilibre, mais tôt le matin, on dirait que l’une a un œil qui tombe, une autre la mâchoire. Plus elles sont jeunes, plus elles sont fatiguées. Elle était pareille, même si maintenant elle a du mal à se souvenir pourquoi. Quel gâchis, et au nom de quoi, en fait ? Ces bébés qui vous réveillent la nuit deviendront en un rien de temps des adolescents furieux, cet appartement que vous vous efforcez d’arranger joliment sera pour eux une prison, cette famille que vous faites tant d’efforts à fonder et à préserver deviendra pour eux un fardeau. Ce mari, pour qui vous sacrifiez votre temps afin qu’il termine ses études ou obtienne de l’avancement, vous quittera au bout de vingt ans pour une femme plus jeune ou, s’il ne vous quitte pas, vieillira sans doute en ingrat bougon, et vous vous retrouverez à aspirer à une autre vie, que quelques unes d’entre vous essaieront peut-être de concrétiser, mais peu réussiront à obtenir une deuxième chance, laquelle d’ailleurs ne vaudra pas mieux que la première.
Hé, les filles, aimerait-elle leur dire au moment où elles s’installent autour de la grande table ovale dans son bureau, moi aussi j’ai été jeune et fatiguée, ce qui a posteriori, me semble effroyablement injustifié. Nous ne cessons de nous mettre en situation d’échec pour savoir jusqu’où nous arriverons à faire face et à prendre sur nous, un enfant de plus, du travail et un crédit en plus, ridicules Sysiphes que nous sommes ! [Douleur, p.67, 68]
Quel gâchis, et au nom de quoi, en fait ? C'est
sans doute pour tourner autour de cette question qu'elle écrit, Zeruya, et
c'est sans doute pour cela qu'on ne peut s'empêcher de plonger dans ses récits, quoi qu'il en coûte.
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