lundi 28 octobre 2019

Vivre : le coeur chagrin


Annonciation (détail) / Ambrogio Lorenzetti / Pincothèque / Sienne

Le Tako-Tsubo, je n'en avais jamais entendu parler, je l'ai découvert l'autre jour lors d'une émission des Pieds sur terre. Ce terme japonais signifie "piège à poulpe" et il désigne une affection cardiaque peu connue : le ventricule gauche, sous l'effet d'un énorme stress, se gonfle et prend la forme d'un piège à poulpe (d'où le terme). Les symptômes sont les mêmes que ceux d'un infarctus, si ce n'est qu'il n'y a pas de caillot sanguin.

Les deux personnes qui témoignaient à l'antenne, malades de situations professionnelles malsaines, se sont retrouvées aux urgences, avec tous les signes d'une crise cardiaque, à tel point qu'elles croyaient être en train de mourir. Heureusement, une fois le mal identifié, le malade est rassuré, renvoyé à son domicile et les choses - du moins sur le plan somatique - retrouvent leur fonctionnement normal.

La journaliste Danièle Laufer, qui en a été affectée, a écrit un livre fouillé sur le sujet. Elle explique ce qui se passe quand le stress devient si important que le cœur est poussé à un burn-out. Sa propre histoire est douloureuse, mais malheureusement de plus en plus banale : le tako-tsubo s'est déclaré alors qu'elle travaillait depuis neuf ans dans une boîte où elle avait été reclassée, mais où on ne l'a jamais intégrée, jamais reconnue, jamais valorisée. Elle raconte les collègues qui s'en vont déjeuner ensemble sans proposer de les accompagner, la cheffe qui n'appuie jamais les demandes de promotion tout en admettant que les objectifs sont dépassés, les diverses attitudes hostiles à son égard. Jusqu'au jour où une collègue s'emporte contre elle sans raison, lui hurle des choses qu'elle ne comprend pas, déverse sur elle une rage qui ne se justifie pas. Le lendemain, son cœur a lâché.

Après un congé maladie de quelques semaines, Danièle Laufer a remis sa démission. Suite à cette épreuve affligeante, elle a fini par reprendre le dessus. Mais elle précise que le seul fait d'évoquer cette traversée fait encore battre la chamade à son cœur. Elle se demande si la maladie peut être vraiment bénigne, car elle doute qu'une telle expérience puisse ne laisser aucune trace dans l'organisme.

A-t-on toujours autant souffert du travail ? Ou bien la souffrance est-elle plus violente aujourd'hui ? En parle-t-on davantage, est-ce que le discours se libère sur ces maltraitances de la vie ? A écouter, on éprouve du chagrin pour tous ceux qui souffrent là où ils sont censés œuvrer. On leur souhaite de pouvoir trouver des présences attentives à leurs côtés, et on s'interroge encore et encore sur cette société qui provoque tant de tensions, particulièrement chez ceux qui aiment profondément leur métier.

5 commentaires:

  1. Coucou ma Dad. Ce billet m'est douloureux à lire. Tu t'en doutes. L'année passée, j'ai été prise de fortes douleurs pendant plusieurs jours. Quand je me suis enfin résolue à consulter, on a d'abord soupçonné une crise cardiaque, ensuite une embolie pulmonaire, puis la dame en blouse blanche s'est grattée la tête. J'ai donc été chez un gastro-entérologue qui a fait des hypothèses mais n'a rien trouvé. J'ai passé des radios, fait des analyses et un scanner. Personne n'a su ce que j'avais eu. N'empêche, la douleur, beaucoup moins forte certes, est toujours présente.
    La médecine n'a pas su répondre à mes questions et cela a rajouté à mes angoisses. On m'a simplement dit que si cela recommençait, c'était départ illico aux urgences. Je ne sais pas ce que j'ai eu. Et la médecine, au lieu de diminuer mes angoisses, n'a fait que les augmenter avec une prise en charge totalement surréaliste.

    Tu sais ce par quoi j'ai passé dans mon travail avant. Et tu sais aussi ce que je vis maintenant. Je sais que je ne pourrai pas changer cette somme d'incompétence crasse de mes supérieurs, cette nonchalance, cette non-reconnaissance, cette manipulation. C'est moi qui dois changer. Le problème, c'est que même mes valeurs de travail sont mises à mal et le métier que j'exerce (que j'aime), je me demande bien à quoi il sert quand je vois comment va le monde du travail. Comment dire à des personnes en recherche d'emploi qu'ils ont une place dans le monde du travail alors que je sais pertinemment que ce monde est hautement anxiogène aujourd'hui?

    Cette histoire de Mme Laufer se rajoute à tant d'autres histoires comparables. Il serait temps que les managers s'emparent du problème et réfléchissent sérieusement à la chose...Et nous, en "attendant", il nous faut nous protéger, coûte que coûte et voir la beauté et la joie là où elles se trouvent.

    Bises de plaine du lundi.

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    1. Oui, cette émission a été aussi pénible à écouter. Néanmoins, je crois qu'il est utile de parler de la souffrance au travail et je crois qu'il est positif que les langues se délient. Souffrir, c'est déjà dur, mais si en plus il faut le faire en silence, voire arriver à se reprocher de ne pas suffisamment "entrer dans le moule", alors, trop, c'est vraiment trop.
      La souffrance au travail est un des symptômes de notre société dysfonctionnante (et ce que tu racontes sur les prises en charges médicales montre à quel point la médecine même est dépassée). Je discutais hier soir avec quelqu'un qui souffre de stress et qui voit la solution à ses problèmes dans un changement de poste. Je lui disais que la solution ne se trouve pas forcément "dans le cadre". C'est un renversement de regard qu'il s'agit d'opérer, un élargissement de notre pensée. Ne plus considérer le travail comme le pivot autour duquel gravitent notre niveau de vie, notre identité, notre valeur sociale. Le travail est devenu un boulot, auquel on doit donner des énergies et qu'il s'agit de faire de son mieux, mais…ne pas trop en attendre. Nous tourner vers nos multiples intérêts et adopter un mode de vie minimaliste pour dépendre le moins possible du montant de notre salaire. Je ne connais pratiquement personne qui soit heureux de son travail, 1% des gens que je connais, et encore..Heureusement, il y a les sentiments, l'art, la beauté, la nature, il y a les valeurs sures, et sur celles-là, c'est important de pouvoir compter. Un sujet sur lequel on n'a pas fini de discuter.
      Te souhaite une bonne après-midi, chère Dédé (ici : brouillard et blancheur, le Jura est à nouveau porté disparu).

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  2. En février 2017, j'avais écrit un billet au sujet du Takotsubo (https://enviedenparler.blogspot.com/search/label/Coeur%20bris%C3%A9). Dans l'article que je mentionne, il est appelé "le syndrome du coeur brisé" : https://nospensees.fr/syndrome-coeur-brise-tres-habituel-chez-femme/. Un article simple, mais qui décrit très bien ce phénomène.
    C'est fou que des personnes puissent à ce point démolir quelqu'un. Cela est arrivé à la belle-mère de mon fils, elle est maintenant en arrêt maladie, est sous anti-dépresseurs, et s'approchant de la retraite, ne reprendra certainement pas son travail. Et pourtant, c'est une femme qui avait du caractère, une forte personnalité même. Mais on trouve encore pire : les personnes méchantes et destructrices... et contre cela, il est bien difficile de lutter...
    Bonne soirée, Dad. Bises à toi, et à Dédé.

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  3. Oui, le livre de D. Laufer est sorti en 2017. J'irai volontiers lire ton billet sur le cœur brisé. Ce phénomène doit concerner de plus en plus de gens et elle a réussi à faire de cette atroce expérience quelque chose d'utile pour elle et pour toutes les personnes concernées. Son témoignage est très clair.
    A propos de la belle-mère de ton fils, tu dis "pourtant" c'est une femme de caractère... Je crois, Françoise, que ce genre de mésaventure arrive "surtout" à des personnalités fortes, avec des compétences affirmées, enviables... On ne va que rarement s'en prendre aux gens dociles ou fades. Ceux-ci sont moins dérangeants. Le harcèlement touche en majorité des gens qui font bien leur travail, qui se donnent, mais qui ne se plient pas et ne rentrent pas forcément dans le moule. Ce qui déplait, naturellement.
    J'y ai repensé encore hier : que faire ? comment se défendre ? quand partir ? en a-t-on les moyens, selon son âge et sa situation familiale ? bref, comment sauver sa peau dans un univers toxique ? Comment sauver sa santé ? Est-ton obligé de passer par la case "maladie, certificat médical, congé" ? Ce n'est pas évident.
    Libérer la parole. Légitimer l'échange. Donner le droit de dire.
    Cela interroge aussi sur le fonctionnement des groupes sociaux. Sur le suivisme. Sur la peur de devenir à son tour harcelé qui rend certains collègues lâches. Quelle pitié!
    Merci pour ton passage et très douce automnale journée.

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