jeudi 21 novembre 2019

Regarder : se rendre visite


La Visitation / Giotto / capella degli Scrovegni / Padova

Le charme d'une vraie rencontre, c'est qu'elle a souvent lieu dans l'inattendu et l'inespéré. Elle est toujours fulgurante, unique, provoquant une émotion intense, illuminante.
Tout d'un coup on se retrouve comme ça, face à face devant un autre. Après quelques échanges, on se reconnaît. Le courant passe, comme on dit.

Et là, pendant qu'un rapport s'établit. Pendant que les esprits assurent la communication, les âmes créent déjà un état de communion. Moi, je distingue toujours ces deux degrés : la communication et la communion.
Et cette idée d'unicité de la rencontre, si je l'élargis,  je dirais que, sans parler des personnes, même pour un beau tableau, qui nous est familier : chaque fois que nous le regardons, il s'agit d'une rencontre unique. Et c'est comme ça qu'on avance peu à peu sur la voie de la vraie vie.

Cela dit, il faut admettre que les vraies rencontres sont rares. Ceux qui arrivent à saisir la valeur d'une vraie rencontre ne sont pas des gens trop sociables, pleins de relations. Pour moi, ce sont surtout des solitaires qui sont attentifs, et en attente, en quelque sorte. 

François Cheng / A voix nue / 2014 / France Culture
En écoutant ces mots, des représentations de la Visitation ont surgi, des fresques ou des tableaux, qui me réjouissent à chaque découverte ou retrouvaille.

La Visitation, c'est la rencontre par excellence. Deux femmes, séparées par l'âge, rassemblées par un même mystère, se rejoignent, tombent dans les bras l'une de l'autre, partagent leur secret et leur espérance. On assiste, comme le décrit F. Cheng, à une véritable communion. Quelque chose de rare qu'il s'agit de reconnaître. La possibilité de partager, de se confier. L'ouverture, l'autorisation à se laisser toucher. La confiance totale et le partage.

La Visitation, souvent présente dans les cycles illustrant le Nouveau Testament, a inspiré à elle seule plusieurs artistes, comme Raphaël ou le Pontormo. Quand les gens étaient illettrés, les images avaient pour but d'éduquer, d'enseigner. De nos jours, on en a toujours besoin, car elles parlent peut-être à l'illettré émotionnel que nous abritons tous au fond de nous. Elles nous guident, nous donnent accès à cette part d'inconnu qui se tient tapie et attend. Elles viennent nous parler du monde, de la vie, des autres et aussi nous dire que la véritable et première rencontre, c'est celle qui nous conduit à nous-même. Car, s'il arrive que les autres soient des mystères qui nous laissent perplexes, chacun est pour soi un puzzle inachevé, sans cesse remodelé, sans cesse complété.

F.C. dit que les véritables rencontres sont rares. C'est vrai. A l'époque du numérique, alors que se multiplient les clics et les contacts, l'authentique revêt un aspect unique. Quant à la nécessaire attention, la rencontre au sens large - personne, paysage, animal, arbre - a besoin de présence pour se manifester. Et, si souvent, nous sommes pressés. Si souvent, nous ne savons pas rencontrer. L'inattendu est toujours à portée, mais il passe trop souvent inaperçu.



11 commentaires:

  1. Coucou Dad. Quel magnifique détail de tableau! Marie et Elisabeth qui tressaillent, un cœur ouvert à Dieu mais une rencontre d'abord entre deux femmes, cousines, si proches et si lointaines.

    Quand je rencontre un assuré dans mon travail, je soigne toujours les premières minutes de la rencontre. C'est une poignée de main franche, c'est un sourire, c'est une attente que l'autre me dise quelque chose. C'est tellement important. J'ai appris cela avec mon ancien superviseur. Il expliquait que beaucoup de choses se passent dans les toutes premières minutes de la rencontre et que souvent, le contenu de l'entretien qui suit est tributaire de ces premières minutes.

    Quand on exerce un travail dans le monde du social, on est censé "rencontrer" les gens. Malheureusement, même dans ce genre de travail, on devient de plus en plus pressé, de moins en moins attentif à la rencontre. Il y a les contraintes de temps, les contraintes économiques...

    Tiens, et cela me fait penser que demain, j'organise une journée "shooting": trois "couples mère-enfant". Je me réjouis, même si j'angoisse beaucoup pour les aspects techniques de la chose, de photographier et saisir la joie de la rencontre entre eux. J'aimerais arriver à faire passer, au travers de l'objectif, l'essentiel des liens tissés entre la maman et l'enfant.

    Voilà ma petite contribution du jour. Bises de plaine.

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  2. Merci pour cette contribution loin d'être petite, chère Dédé. J'aime bien quand tu parles de tes liens avec les assurés que tu rencontres. On sent que tu as à coeur de bien faire ton travail et, tu as mille fois raison, le premier regard échangé, les premières minutes sont capitales. Se montrer attentif à ce moment-là peut être décisif pour la suite. La confiance se joue durant la rencontre (et il est si facile, dans le mouvement du stress, de ne pas être "là", de se préoccuper de tous les papiers à remplir, d'être pris par des problèmes à régler. Je suis sûre que tu exerces avec passion et honnêteté ton métier et que les assurés le sentent bien.
    Demain, si tu permets que les personnes se sentent bien, en confiance, tout va bien se passer. Elles oublieront l'objectif, seront elles-mêmes, spontanées, et tu pourras capter ces micro-instants. Je me réjouis de voir le résultat (si tu es d'accord de les montrer, naturellement).
    Belle fin de semaine professionnelle. Bon début de WE!
    PS : L'oeuvre de Giotto ci-dessus n'est pas un tableau. C'est un cycle peint à fresque aux env. de 1305, commandé par un banquier qui s'appelait Scrovegni à Padoue et qui avait quelques petits péchés à se faire pardonner avant de monter au ciel (Dante avait eu le mauvais goût d'envoyer son père usurier dans les Enfers et il ne voulait pas finir comme lui). Ainsi, peut-être que la postérité pardonnera à quelques banquiers suisses leurs actions s'ils savent s'entourer d'artistes réputés...

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  3. Une rencontre Vraie
    une des plus belle chose
    à Vivre

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  4. Oui, sans frime et sans peurs, mais avec beaucoup de cœur. Belle soirée. Beau WE.

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    1. A te lire, je vois que tu as aussi vécu
      une telle de rencontre si exceptionnelle
      "une âme en deux corps" dit Aristote ;-)

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  5. N'avons-nous pas tous l'occasion de vivre, rarement, mais de vivre quand même quelques rencontres exceptionnelles dont celles-ci font partie, mais d'autres aussi, à condition d'avoir les yeux et le cœur grand ouverts ? Belle journée (sur les routes en ce qui me concerne)

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  6. Es tu parties sur la route de Madison ?
    :-)

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    1. Hélas, je fais partie des (rares) cœurs desséchés qui n'ont pas été sensibles à cette histoire. Honte sur moi!

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  7. Les véritables rencontres sont rares peut-être parce que nous ne sommes pas assez attentifs aux autres, parce que nous ne sommes pas dans le moment présent, l'esprit toujours ailleurs ? Que de rencontres qui ne se font pas à cause de tout cela...
    Je pense avoir fait de belles rencontres, et je pense en faire encore. J'aime trop les gens. :-)

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    1. Oui,Françoise, l'amour est important. L'amour donne l'élan nécessaire à la rencontre. L'attention est essentielle aussi, pour faire de cet élan quelque chose qui dure et qui marque, pour ne pas aimer en passant.
      (je fais cette remarque parce que F.C. parle de tableaux et que j'ai revu hier une œuvre magnifique, que j'avais vue et aimée, mais qui ne m'avait pas marquée, tout simplement parce que j'étais passée à la suivante sans vraiment prendre le temps de la contempler. Est-ce que ce phénomène ne pourrait pas s'appliquer aux personnes ?)
      Beau et doux dimanche à toi, Françoise.

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    2. Si, Dad, je pense que ce phénomène pourrait s'appliquer aux personnes. Par manque de temps, ou parce qu'on est pressé, on passe à côté de personnes sûrement très belles et intéressantes. Et on regrette après...
      Belle fin de dimanche, ma chère.

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