mercredi 14 avril 2021

Vivre : présence

 
Sleep / Gottfried Helnwein / Albertina / Vienne

Qu'importe ma vie ! Je veux seulement qu'elle reste jusqu'au bout fidèle à l'enfant que je fus.
 Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la lune
 
L'enfance : constante présence, ressource où puiser, point de départ, point d'arrivée, seule véritable loyauté.
 
 

7 commentaires:

  1. Ai-je envie d'être fidèle à l'enfant que je fus ?
    Je préfère être fidèle à l'homme que je suis devenu.
    Parce que si j'étais demeuré fidèle au « sale gosse » que j'étais… je pense que j'aurais certainement fait un détour par la case prison, et, dans une version plus positive, tourné un film « le petit voleur ». Heureusement « je ne sais qui » a préféré me refiler le poliovirus… j'ai plutôt fait un long séjour dans un centre de rééducation… et finalement ce dernier qualificatif était le bon !
    Mon enfance ne fut que survivre, abandonné que je fus dans une ambiance du malheur.
    Cependant la photo choisie exprime bien ce qu'il en fut : l'enfance morte !

    Une autre de cet artiste est encore plus parlante pour me signifier enfant.

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    1. Le titre de l’œuvre est Sleep (sommeil). L'enfant n'est pas mort : il dort. L'enfant sommeille en nous. Toujours. Que nous l'ignorions ou pas. Il est là.
      Que l'enfance soit un lieu d'abus et de maltraitance, de vulnérabilité profonde, c'est fort possible. Cela arrive même souvent. Mais notre enfance est toujours là. Le passé est passé, mais jamais dépassé. Dans le fond, sans plaisanter, je dirais que le passé est toujours présent, quelque part en nous. Pourquoi seules les enfances choyées auraient-elles le droit d'être estimées ?
      Parler de lui pour dire qu'on l'a dépassé, qu'on l'a surmonté, n'est-ce pas encore lui accorder importance et attention ? Rejeter, est-ce se libérer ? Se construire contre ou se construire avec, c'est toujours se construire par rapport à (les adolescents en savent quelque chose avec toutes leurs tentatives malheureuses).
      Mon impression - je dis bien mon impression - c'est que l'enfance, qu'on le veuille ou pas, est toujours là. Une fondamentale présence. Qu'on l'ait chérie, ou pas, c'est à partir d'elle que nous nous sommes construits.

      PS1 : oui, les photos de Helnwein ont créé parfois un malaise profond, parce que créées dans une période où les langues se sont déliées. Pour ma part, j'aime regarder une œuvre en dehors de son contexte social, pour ce qu'elle me dit. Ici, j'aime la candeur de cette enfant et j'aime cette pureté qui émane d'elle.
      PS2 : Ayant subi des maltraitances durant mon enfance, je me permettrais de dire que si je rejetais l'enfant que j'ai été j'aurais le sentiment de m'infliger une double peine. Les mains qui me frappaient, ou qui se posaient sur mon cou pour m'étouffer étaient des mains de pauvres gens qui m'inspirent de la peine pour ce que leur comportement révélait. L'enfant, en revanche, vitale, curieuse, intelligente et créative qui a su s'inventer des cabanes et aller vers toutes sortes de connaissances m'inspire un très grand respect. C'est une ressource dans laquelle j'aime puiser.

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    2. Je ne m'attendais pas à une réponse aussi longue.
      Je commentais la citation. (Parce qu'en fait elle ne me plaît pas du tout)
      la fidélité à soi n'est pas la fidélité à l'enfant que l'on fut. Mais je ne vais pas développer, ça prendrai des pages et des pages. Que j'ai pu écrire par ailleurs…

      Je suis en accord avec tout ce que tu exprimes. Bien sûr que tout est présent en nous, rassemblé dans une sorte de « lieu intérieur hors du temps », et pas seulement nos histoires personnelles mais encore l'histoire proche ou lointaine de notre lignée, notre culture etc.
      le résultat d'un travail sur soi, mené suffisamment loin, fait que l'on ne rejette, ni ne vénère ce qu'on a pu être dans le passé. On intègre humblement peu à peu son histoire pour ce qu'elle fut. Nous nous sommes construits à partir du potentiel avec lequel nous sommes arrivés sur cette planète et qui s'est enrichi, développé, abîmé, piétiné, magnifié, etc. de jour en jour et d'année en année. Ce potentiel a fleuri comme il a pu dans « la terre » où il s'est trouvé plus ou moins bonnes, plus ou moins mauvaise. Et on a fait tout ce qu'on a pu sur ce terreau là.
      C'est pour ça que je préfère l'adulte que je suis devenu. (Et continue à devenir).
      Ce à quoi je rendrai le plus hommage, c'est l'extraordinaire aptitude qui existe en nous de préserver l'essentiel, le noyau central et solide de notre personnalité, contre vents et marées et quels que soit les circonstances vécues.
      Reste une certaine « roulette russe » qui fait que l'opportunité d'ouvrir le coffret contenant ce trésor de personnalité, on la saisit, plus ou moins pleinement, ou, hélas, on n'est pas en état de la saisir comme il serait potentiellement possible.
      Les réalités sont parfois très brutales.

      Et merci pour le PS2.... qui confirme à sa manière ce que je dis de ce « trésor préservé ». Cela m'inspire le même respect que le tien. Et aussi pour ta personne en tant que telle. Alors merci encore.

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    3. Ah parce que toi, tu commentes les citations uniquement ? C'est bien la peine de chercher et de peser nos mots pour écrire! :)
      J'aurais pu... citer Rilke, mon cher Rilke à ce sujet, si vaste, mais je crains d'importuner à trop vouloir citer mon poète chouchou. Ou alors... Saint-Ex, dans sa dédicace à Leon Werth :
      "Je demande pardon aux enfants d'avoir dédié ce livre à une grande personne. J'ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j'ai au monde. J'ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfants. J'ai une troisième excuse : cette grande personne habite la France où elle a faim et froid. Elle a besoin d'être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l'enfant qu'a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants. (Mais peu d'entre elles s'en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace : À Léon Werth quand il était petit garçon ».
      Ou Andrée Chedid :
      Jusqu'aux bords de ta vie // Tu porteras ton enfance // Ses fables et ses larmes //Ses grelots et ses peurs
      Tout au long de tes jours // Te précède ton enfance // Entravant ta marche // Ou te frayant chemin
      Singulier et magique // L'œil de ton enfance // Qui détient à sa source // L'univers des regards.
      Mais... Bernanos m'allait bien.

      Sur le fond, nous voilà donc d'accord. Il reste que... j'ai une pensée pour l'enfant petit que tu étais... (qui s'occupe de lui et l'aime, si toi tu ne le fais pas ?) Mais ça, c'est une autre histoire, dans laquelle je n'entrerai pas... je ne me permettrais pas...
      Belle soirée à toi!

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    4. Eh bien j'ai la même pensée pour la petite fille qu'on voulait étouffer, peut-être parce qu'elle avait trop de paroles de justesse, de vérité et de délicatesse qu'on ne pouvait pas ou ne voulait pas entendre. J'y repense depuis que je t'ai lue.
      Quant à moi, cela fait une bonne vingtaine d'années que j'ai sur mon bureau dans un cadre, une photo de moi à 10 ans, noir et blanc format 10x15. Cette photo individuelle prise chaque année par le photographe de l'école. Je vois chaque jour ce petit garçon, et, en effet, ce que l'on se dit ne regarde que nous.
      Belle journée. Ici : soleil + froidure !

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  2. Ce fut ma première impression, ce matin. Cela demeure ce soir. Je n’ai vu dans cette photo qu’enfance et innocence, l’innocence de l’enfant qui s’abandonné en toute confiance.
    Ai-je été une enfant maltraitée? Je ne sais pas ou peut-être un peu. J’ai surtout été une enfant solitaire, quelque peu "abandonnée ". Les livres ont été mon refuge et m’ont aidée à grandir.
    Aujourd'hui, après l’avoir consolée, je chéris cette enfant. Si je ne le faisais pas, ce serait un nouvel abandon, je crois.
    C’est à la lecture d’Alice Miller et de bien d’autres que j’ai compris que mes parents avaient fait ce qu’ils avaient pu avec les moyens qui étaient les leurs.
    C’était là un bien joli billet.
    Belle soirée.

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    1. Ah les livres! Quelle échappatoire! que d'apprentissages! Des mondes dans lesquels nous lover, où personne ne pouvait nous retrouver. Des mondes à nous, rien qu'à nous.
      Oui, abandonner l'enfant que l'on a été, c'est selon moi un terrible abandon. Car (j'avoue ne pas avoir lu Alice Miller) il arrive un moment où nous devons prendre le relais de nos parents défaillants. Nous nous le devons. Et nous devons même faire le chemin de les comprendre, comprendre la réalité dans laquelle ils ont, nous avons baigné. Et après avoir fait tout cela il nous appartient de porter un regard maternant sur l'enfant. (Je ne sais plus qui, Marceline Loridan-Ivens, je crois, disait que nous sommes restés figés à l'âge de notre traumatisme, pour elle : le moment de sa déportation). On garde au fond de soi l'esprit de cet âge-là.
      Merci pour vos mots et lumineuse journée à vous!

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