Pendant trente ans, il a vécu sur un réservoir souterrain, sur une grotte, en faisant tout pour ne pas voir le trou qui menaçait de l'engloutir. Au premier palier, il se dit qu'à partir de maintenant, tout va changer. L'abcès est crevé. La lumière est tombée dans les ténèbres, le monstre a fait ses valises et s'en est allé. Henning ne reverra jamais la Chose. Il se sent comblé. Il sera libre. Il aimera ses enfants, fera son travail, aura des bons et des mauvais jours. Il n'aura plus que des soucis normaux - coups de froid, problèmes d'argent, prises de bec avec sa femme. Parfois, il n'arrivera pas à dormir, pendant une nuit, et ça ne signifiera rien. [p.188-189]
Juli Zeh, ancienne juriste, écrivaine allemande rencontrant un grand succès dans son pays et traduite dans le monde entier, est formidablement douée pour décrire des phénomènes sociaux en tous genres, des pièges relationnels et collectifs dont il est difficile de s'extraire. Son mode narratif procède par touches progressives et efficaces, si bien que ses livres nous entraînent dans ce qui tient tout à la fois du thriller, du roman psychologique et de l'analyse sociologique fouillée. Elle sait dépeindre avec une férocité et une puissance rares l'être humain pris dans les innombrables séismes que peut lui réserver la vie contemporaine.
Dans Nouvel An, elle présente un homme apparemment sans histoires : trente-cinq ans, marié, deux jeunes enfants, parti passer les vacances de fin d'année sur l'île de Lanzarote (un décor que l'écrivaine connaît bien puisqu'elle partage sa vie entre le Brandebourg et les Canaries). Tout semble bien rouler pour cet homme que nous découvrons en train de grimper à vélo une montagne au lever du jour, un premier janvier : son couple dispose de moyens financiers relativement confortables, se partage les tâches et la charge de travail auprès des enfants, vit quelques tiraillements entre réalisation de soi et contribution à la vie familiale, gère de son mieux les tensions avec les familles d'origine. Une vie somme toute assez banale.
Mais avec Juli Zeh, les héros ordinaires ne le restent pas longtemps. Après quelques pages, tandis que la narration se focalise sur l'homme en train d'effectuer son ascension, de plus en plus ardue sous un soleil vif et face à un vent tenace, on découvre qu'il s'est mis en route mal équipé, sans ravitaillement et sans argent. On le perçoit fragile, livré à divers doutes et insécurités, obsédé par le fait que sa femme pourrait vouloir le quitter. On apprend aussi qu'il est en proie à des attaques de panique de plus en plus virulentes, qu'il tente de masquer de son mieux à son entourage.
Au bout de deux heures d'efforts intensifs, il parvient au sommet de la montagne, dépasse le dernier village et atteint une grande maison isolée, se retrouvant assoiffé, à bout de forces, et surtout : désorienté. La propriétaire l'accueille, lui offre l'hospitalité, propose de lui faire visiter les lieux.
C'est à ce point du récit, au milieu du livre très précisément, que commence l'histoire proprement dite. L'auteure nous entraîne avec son protagoniste dans l'exploration d'un passé qu'il avait totalement refoulé. Elle parvient avec maestria à conduire le récit dans ces zones à la fois angoissantes et libératrices où la vérité demande impérativement à refaire surface. Sans avoir recours à la moindre théorie psychanalytique, elle déroule le récit d'un retour à soi, grâce à un travail de mémoire apparemment dû au hasard.
Dans Nouvel An, elle présente un homme apparemment sans histoires : trente-cinq ans, marié, deux jeunes enfants, parti passer les vacances de fin d'année sur l'île de Lanzarote (un décor que l'écrivaine connaît bien puisqu'elle partage sa vie entre le Brandebourg et les Canaries). Tout semble bien rouler pour cet homme que nous découvrons en train de grimper à vélo une montagne au lever du jour, un premier janvier : son couple dispose de moyens financiers relativement confortables, se partage les tâches et la charge de travail auprès des enfants, vit quelques tiraillements entre réalisation de soi et contribution à la vie familiale, gère de son mieux les tensions avec les familles d'origine. Une vie somme toute assez banale.
Mais avec Juli Zeh, les héros ordinaires ne le restent pas longtemps. Après quelques pages, tandis que la narration se focalise sur l'homme en train d'effectuer son ascension, de plus en plus ardue sous un soleil vif et face à un vent tenace, on découvre qu'il s'est mis en route mal équipé, sans ravitaillement et sans argent. On le perçoit fragile, livré à divers doutes et insécurités, obsédé par le fait que sa femme pourrait vouloir le quitter. On apprend aussi qu'il est en proie à des attaques de panique de plus en plus virulentes, qu'il tente de masquer de son mieux à son entourage.
Au bout de deux heures d'efforts intensifs, il parvient au sommet de la montagne, dépasse le dernier village et atteint une grande maison isolée, se retrouvant assoiffé, à bout de forces, et surtout : désorienté. La propriétaire l'accueille, lui offre l'hospitalité, propose de lui faire visiter les lieux.
C'est à ce point du récit, au milieu du livre très précisément, que commence l'histoire proprement dite. L'auteure nous entraîne avec son protagoniste dans l'exploration d'un passé qu'il avait totalement refoulé. Elle parvient avec maestria à conduire le récit dans ces zones à la fois angoissantes et libératrices où la vérité demande impérativement à refaire surface. Sans avoir recours à la moindre théorie psychanalytique, elle déroule le récit d'un retour à soi, grâce à un travail de mémoire apparemment dû au hasard.
Le roman est à la fois l'histoire d'un effondrement et celle d'une résurrection après trente ans d'oubli forcé. Passionnant, émouvant, écrit sans une ombre de pathos, le livre donne envie d'oser s'envoler pour les Canaries, de braver toutes sortes de risques et de plonger au plus profond de ses ténèbres personnelles pour parvenir à se retrouver.
Une écrivaine dans la peau d'un homme et dans les méandres de son intériorité psychique. Cela peut toujours être intéressant.
RépondreSupprimerIl faudrait la critique d'un homme, selon moi, pour vérifier la crédibilité du contenu.
Vais-je investir dans ce livre par curiosité ?
J'ai l'expérience de l'effondrement et de la résurrection.
Peut-être pour voir comment cela se traite dans une fiction.
Réussite ? Ou échec ?
Mais je ne cacherai pas que dans ce genre je préfère le testimonial à l'inventé.
En matière d'art, de littérature (d'autres domaines encore, mais surtout en matière d'art et de littérature), je n'ai pas de vision "genrée". Pour moi, il est question de ce qui parle, de ce qui émeut, ce qui paraît de qualité. Les distinctions de genre, que ce soit chez la personne qui crée ou celle qui reçoit, ne me semblent pas d'un grand intérêt.
SupprimerEt puis, témoignage ou invention : l'important est que cela touche, non ?
Toute belle soirée!
La question que tu poses à la fin est intéressante, elle me donne à méditer.
SupprimerDans l'un et/ou l'autre cas, je ne suis pas touché de la même manière, ni surtout au même « endroit ».
Cependant je ne vais pas développer ce thème et sans doute que j'y reviendrai dans un billet chez moi sur les différentes formes de la sensibilité, ce fluide relationnel indispensable à l'existence.… mais pourquoi et comment ?
J'en profite pour souligner ce qu'indique Ghislaine à propos de la qualité de tes articles concernant tes lectures. La manière dont tu en rends compte est toujours intéressante et personnalisée.
N’est-ce pas ce que l’on pourrait appeler un effet catharsis?
RépondreSupprimerQuoi qu'il en soit, j’aime votre façon de résumer, de raconter, de mettre en valeur les livres et d’en percevoir toutes les composantes. Vous aimez les mots,les histoires, les livres et savez transmettre votre appétit de la lecture.
Merci pour cela.
Un effet de catharsis ? On pourrait le voir comme ça, oui. Cela fait penser aussi à certains films hitchcockiens, comme la Maison du Dr Edwardes, d'inspiration psychanalytique.
SupprimerMerci pour ce que vous dites sur ce billet.
Je serais tentée, si vous permettez, de vous conseiller la lecture de "Brandebourg", un pavé de J.Z. qui raconte le tsunami provoqué dans un village de l'ex-RDA quand on projette d'y installer des éoliennes en quantité. Combats féroces entre villageois du cru et bobos berlinois récemment installés. Un régal.
Belle et douce soirée à vous!
Merci pour le conseil. Je prends.
SupprimerEn ce moment, Javier CERCAS m'occupe.