vendredi 6 août 2021

Lire : se réjouir de découvrir

 

Je n'évoque jamais en principe des livres que je n'ai pas lus, mais à dire vrai, aujourd'hui, ce n'est pas tant du contenu de ce livre que j'ai envie de parler, mais plutôt de son histoire : Tout récemment, la sélection 2021 du très prestigieux Booker Prize a été révélée. Parmi les treize romans de langue anglaise retenus cette année, il y a An Island, de l'auteure sud-africaine Karen Jennings. Le livre raconte la relation entre un gardien de phare solitaire et un réfugié qui s'échoue sur le rivage de son île. 

Le plus fascinant - du moins pour l'instant - c'est la trajectoire du manuscrit pour parvenir à publication. Son auteure, qui travaille à mi-temps pour une petite ONG et mène une vie des plus modestes, explique à une journaliste du Guardian : "J'ai terminé le roman en 2017 grâce à une bourse octroyée par une fondation soutenant des écrivains africains et personne n'a été intéressé par le manuscrit. Je me suis heurtée à de nombreux refus. Je pense que personne ne pensait qu'un tel sujet pouvait amener à une publication rentable. Ce n'est pas le genre de bouquin qu'on emporte en vacances. Lorsque j'ai finalement obtenu la coédition d'un petit éditeur au Royaume-Uni et d'un petit éditeur en Afrique du Sud, ils n'ont pu convaincre personne de rédiger un compte-rendu du bouquin. Il nous a été impossible d'amener le moindre journaliste à écrire ne serait-ce qu'une brève présentation ou une citation." Finalement, en raison de la pandémie, la petite maison indépendante Holland House a décidé d'un tirage à seulement 500 exemplaires. Le livre n'a suscité aucun intérêt à sa sortie."

L'auteure ajoute : "J'avais très honte de moi, parce que mes éditeurs y avaient investi beaucoup de temps et, évidemment, d'argent. Et ce n'est pas que j'attendais de la gloire ou de la fortune ou quoi que ce soit de ce genre à titre personnel, mais je sentais que je les avais déçus."
"La chose la plus décourageante pour moi a été l'indifférence totale envers mon travail d'écriture, ou envers toute possibilité de publication en Afrique du Sud. Bien que, dans le roman, la nationalité du gardien du phare ne soit pas précisée, pas plus que la dictature contre laquelle le réfugié se rebelle, les préoccupations du roman – colonialisme, racisme, xénophobie, traumatisme, pauvreté et résistance – sont clairement enracinées dans l'histoire de ce pays." 
 
Quand on demande à la fascinante Karen Jennings où elle a trouvé la force de persévérer face à tant de rejets et face à un tel manque de reconnaissance, elle répond : "Je n'ai jamais été motivée par l'argent ou par le succès. J'ai toujours adoré écrire. J'ai continué tant que je croyais en ce que j'écrivais. Ce n'est donc pas forcément que je croyais en moi, mais plutôt que je croyais au travail auquel je me consacrais."

A présent, au vu de la récente sélection, l'éditeur a procédé à un nouveau tirage de 5'000 exemplaires. Il se dit ravi que de plus grandes maisons ne soient pas entrées en matière et est déjà en tractations pour une traduction en langue grecque. On se réjouit, on se réjouit vraiment pour l'auteure et sa ténacité, pour la littérature, pour ce Booker Prize qui assume ici le rôle véritable d'un prix littéraire  : permettre de découvrir des talents (et pas nécessairement consacrer ceux qui ont déjà été distingués). Et puis, naturellement, on suivra avec une attention toute particulière la décision du jury en novembre prochain.

Source : The Guardian // 05.08.2021 // article online de Lucy Rhiannon, très approfondi // ‘I’ve been poor for a long time’: after many rejections, Karen Jennings is up for the Booker" //
 


7 commentaires:

  1. Ce qui est dit d'une publication de 500 exemplaires pour un auteur inconnu qui doit parcourir les labyrinthes de la recherche d'un éditeur, est le minimum classique pour une rentabilité faible. Ne pas oublier qu'un éditeur est d'abord un commerçant même si par ailleurs une éthique noble l'anime. On ne vit pas de l'air du temps.
    Ensuite qu'un auteur inconnu ait un grand succès… combien d'éditeurs qui l'ont refusé s'en mordent les doigts jusqu'au coude…

    En revanche que des prix soient organisés pour découvrir de nouveaux talents est remarquable.
    Il y a aussi matière à méditer sur la phrase « ce n'est donc pas forcément que je croyais en moi, mais plutôt que je je croyais au travail auquel je me consacrais » cette dichotomie est passionnante à observer, en particulier dans ses potentiels effets bénéfiques pour l'œuvre produite, mais pas nécessairement pour la personne.

    Enfin, l'illustration du livre m'a scotché. J'y vois l'île comme un visage de profil émergeant des eaux et je me suis demandé s'il s'agissait d'une photo d'un endroit existant, ou d'un bidouillage avec Photoshop très réussi…

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    1. Je ne l'ai pas dit, mais Karen Jennings n'est pas une inconnue. Elle a déjà publié, mais son auteur précédent a refusé de publier ce livre, ne voulant pas prendre ce risque financier. tu as raison : les éditeurs doivent vivre eux aussi. Ils doivent naviguer entre risques et survie.
      La fondation qui a octroyé la bourse (la Miles Morland Fond.) a fait qqch de très intéressant : selon le contrat, l'auteure devra lui reverser 20% de ses droits d'auteurs (ce qu'elle fait très volontiers) pour continuer d'alimenter le fonds et de soutenir des écrivains africains.
      Je suis d'accord avec toi, sa phrase dénote d'une forte personnalité. Elle s'est obstinée non pas pour elle, mais pour quelque chose de plus grand, je crois qu'on pourrait appeler ça : "des valeurs"?
      Oui, la couverture est très réussie. (Ajoutons :Migration. Ile. Pas étonnant que la Grèce soit intéressée à acquérir des droits. Tous les pays particulièrement impliqués par les phénomènes migratoires vont être intéressés, tu ne crois pas ?)Bonne soirée à toi!

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    2. Merci pour les précisions que tu apportes. Elles sont très intéressantes. Il y a quelque chose d'un engagement qui dépasse les seuls enjeux d'une publication « ordinaire » et le débat entre auteurs et éditeurs…

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  2. "Se réjouir de découvrir! Oui. J’ai hâte.
    Je suis admirative de tant d’honnêteté (dans une société régie par l’argent) et de tant de pugnacité.Dans un article sur France 24, l’auteur dit "ne pas avoir de vêtements chics, pas de voiture, pas de maison....."Son livre se veut un portrait du traumatisme et de la xénophobie. Une tentative de comprendre ce qui mène à la violence.....
    Elle travaille dans une ONG pour le droit à l’eau et à l’assainissement de personnes pauvres et espère par le Booker attirer l’attention sur l Afrique et ses populations.
    L’article de France 24 met en lumière une personne vraiment hors du commun.
    Merci pour cette mise en lumière.

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    1. Oui, cette jeune femme outsider doit avoir un sacréef orce intérieure et surtout : elle doit aimer écrire, vivre pour cela. On a envie de la soutenir, non ? En écrivant cela, je pense à toutes les personnes qui s'adonnent à l'écriture, véritables écrivains qu'on ne connaîtra peut-être jamais, mais qui persistent par... vocation.
      Suis allée lire l'article sur France24 et j'ai constaté avec surprise qu'il reprend mot pour mot l'article écrit par Lucy Rhiannon, qui collabore au Guardian, mais... sans la citer, et sans citer le journal, ce qui me semble un peu cavalier. Ils ont peut-être des arrangements financiers eux-aussi, entre sites d'information, mais ça semble un peu malhonnête de procéder ainsi : ne devrait-on pas rendre à César...? L'argent, encore, et encore... ! C'est amusant de voir comment l'information se diffuse de nos jours...(J'avoue que ça me laisse songeuse, alors que cette question se pose constamment et je m'efforce de soutenir par abonnement la presse indépendante... mais, c'est bien connu : on assiste actuellement à toutes sortes de pillages, sur lesquels on a peu de prise )
      Merci de m'avoir rendue attentive à ce phénomène. Belle soirée à vous, précieuse Ghislaine!

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    2. Je me permets d'intervenir ici, car je connais ce problème de plagiat et du pillage.
      Je l'ai vécu moi-même sur le net, ainsi qu'une de mes amies il y a quelques années. Une internaute recopiait sans vergogne tout ou partie de billets qu'elle et moi nous publiions chacun de notre côté. Elle poussait le bouchon jusqu'à « féminiser » mes propres billets, étant donné que jusqu'à présent… je suis un garçon !
      Je n'ai pas hésité à la menacer de poursuites judiciaires… et elle a disparu dans la nature…
      Par ailleurs, dans beaucoup de recherches, on retrouve mot à mot les mêmes textes (les mêmes erreurs !) d'un site à un autre… de plus en plus on considère que l'Internet c'est open bar !
      Cela me rappelle mon prof de philosophie sur les bancs de l'école : — je vous voulez des informations fiables, lisez autre chose que les journaux.
      Certes c'était dans un contexte particulier, et je n'absolutise pas le propos, mais quand même, combien de fois ai-je vu des articles erronés dans un domaine juridique où j'étais spécialisé et acteur.
      Un journaliste m'avait dit : — mais Monsieur on est obligé de simplifier à l'extrême sinon le lecteur ne comprend pas.
      (De l'art journalistique de prendre ses lecteurs pour des cons !)

      Ça me rappelle aussi l'interview d'un auteur dont j'ai oublié le nom : « Ce que j'affirme est la vérité, puisque je j'ai écrit dans mon livre ! »
      Bon, trêve de plaisanterie… je vous laisse…

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    3. J'imagine que le plagiat a toujours existé et qu'il est d'autant plus étendu aujourd'hui qu'internet amplifie les diffusions. Le plagiat est certes une affaire de malhonnêteté, mais par-dessus tout il me semble relever de l'incapacité, de la médiocrité et de l'impuissance : si l'on est capable, pourquoi aller pomper ailleurs ce dont on a besoin ? pourquoi ne pas puiser à ses propres ressources ?
      A propos de cette internaute, sans doute voulait.elle faire "aussi bien que vous" sans s'en croire capable ?
      Comme toi, je suis surprise de toutes les reprises qu'on trouve sur internet, les mêmes fautes de frappe dues à des copiés-collés non vérifiés. Les sites se créent, sans spécialistes, et ceux qui les alimentent doivent juste adapter des traductions Google et aller pomper ce qui leur semble le plus adéquat pour obtenir des visites. Résultat : beaucoup de mots, peu de réelle information.

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