lundi 17 janvier 2022

Voyager : vois-tu, je sais que tu m'attends

 

Dans le matin glacé, elles se dressaient, impassibles, on eût dit qu'elles attendaient. La mémoire ne doit pas être un devoir, ne doit pas être. Mémoire et devoir n'ont rien à voir. La mémoire suit ses chemins intérieurs. On se rappelle, c'est tout. On a besoin de partir, de rejoindre, de revoir. C'est tout.


Depuis le temps... comment n'avais-je pas trouvé le temps ? Mais peu importe, les stèles se fichaient depuis longtemps des questions temporelles. Elles résistaient à l'hiver, au froid sibérien, au soleil vif de ce janvier alsacien. Elles résistaient aux siècles et  faisaient face, se révélaient bien au-delà de tout cela.


 
Tombes d'hier, tombes d'avant-hier, tombes quadricentenaires, marbre ou pierres grises ordinaires, tombes effondrées par les outrages des années ou effarées par ce qu'on appelle l'Humanité. J'aurais pu pleurer. Pleurer sur l'Histoire et sur toutes ces histoires rassemblées là. Mais il y avait dans tous ces monuments dressés une noblesse, quelque chose de digne qui se montrait plus insistant que les larmes et les gémissements. Par-delà les vrombissements, les aboiements, les sifflements, le silence prêtait toute sa prestance au lieu et à ses occupants.
 
 
On ne décide jamais quand partir. On choisit rarement comment. Selon les époques, on ne choisit ni quand, ni où et ni comment. Ni quelles traces laisser aux survivants. A nos martyrs, Drancy, Auschwitz, Weill, Levy, Bloch. 25, 54, ou 73 ans, plaque empreinte de dignité devant l'entrée. Ailleurs : des pierres discrètes ou élégantes, des petites, des grandes, et dans cet espace si dépouillé, celles qui comportaient quelque ornement semblaient faire preuve d'une légère frivolité.

C'était un lieu qui m'aimantait depuis longtemps. Un lieu de souvenir, mais aussi un lieu qui parlait du présent. Sourde banlieue, Z.I. ou Z.A., triste chemin, passages de trains (ces cris de chiens, cette misère des environs, ces convois qui faisaient grincer les rails, échos insultant les oreilles). Devant le portail, une voiture rouillée, cimetière de bagnoles juste à côté. La vie d'aujourd'hui étalait toute sa laideur et son accablement dans ces faubourgs privés de bienveillance.
 
 
Marcher sur les brindilles givrées un jour d'hiver, déambuler de pierre et pierre, les souliers frigorifiés chercher des traces, lire sur la mousse, dans le ciel une cigogne passe, feuilles givrées en guise de guirlandes, cailloux déposés en guise d'offrande, nous sommes entrés, nous ne pouvons vous oublier, poser ses pas dans le verglas, imaginer le passé, se sentir étrangement rassérénée, inventer les jours à venir devant la cigogne perchée, à Sélestat.



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