samedi 4 décembre 2021

Voyager / Vivre : l'esprit d'un lieu

 

Il y a des lieux paisibles, des lieux où l'on revient, et on a besoin d'y revenir, c'est indispensable : on s'y sent terriblement bien. Comme une fracture dans la suite des jours, comme un interstice dans l'enfilade des moments ordinaires. Tout à coup, on respire autrement, profondément, à pleins poumons, une paix étrange nous envahit. On se demande : à quoi cela tient-il ? Quelque chose dans l'air ? Quelque chose que notre corps au travers de toutes ses fibres peut identifier, mais que notre mental balourd peine à expliquer ? Quelque chose qui peut remonter à des centaines, des milliers d'années. On reste pensif tout en admettant ce mystère. Dans ce lieu autrefois quelque chose a pu se dérouler, un fil invisible nous relie à une histoire que nous ne connaissons pas. Quelque chose nous dépasse et nous laisse sans voix. Nous restons en silence écouter les pulsions légères, de plus en plus légères de notre respiration. On ne sait pas pourquoi. On ne saura jamais. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on reviendra. On fera des kilomètres - peu importe - pour retrouver cet endroit.

8 commentaires:

  1. J’ai connu un tel moment, fugace, passager, mais très réel. Je ne suis pas sensible à des phénomènes d’ondes, de sensations lié à du surnaturel et pas du tout porté sur le mysticisme, mais là, à ce moment précis s’était impressionnant. Au milieu de l’île de Mljet en Croatie il y a un lac, et au milieu de ce lac une petite île, donc une île dans l’île. Un petit bateau à moteur nous emmena – nous les quelques touristes d’avant la vague touristique de l’été – en direction de l’ancien abbaye sur cette île. Brusquement, alors que l’abbaye était en vue, je ressenti un énorme apaisement, une paix intérieure, une détente. Le bateau continua sa route, et cette impression disparu, mais le charme du lieu demeura. Avant l’abbaye des bénédictins, il y avait certainement un temple grec et peut-être plus tard romain. Et quelqu’un m’a dit que Calypso y habitait en son temps. En tout cas, une force apaisante semble entourer le site. Oui, ces impressions existent, mais s’agit-il seulement d’impressions ?

    Gaspard

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    1. L'esprit des lieux est-il lié à leur histoire ? (que nous connaissons mal, ou pas du tout)
      Est-il lié aux activités et aux faits qui s'y produisirent ? (que nous connaissons parfois tout aussi peu)
      Est-ce aussi dû à notre état d'esprit, notre ouverture du moment qui nous permet d'être réceptif à toutes ces sensations ? Ou est-ce notre côté "animal", instinctif qui se révèle ainsi.
      En architecture, on parle de "genius loci". Beaucoup s'interrogent à propos de l'impact des lieux sur les gens (et de l'impact des gens sur les lieux). Un journaliste, Guillebaud a écrit un livre sur le sujet que je me réjouis de découvrir.
      Le mystère demeure. Certains parlent de "belle énergie" (quelle énergie ? de quelle provenance ?) Dans tous les cas, je trouve bienfaisant de vivre de tels moments...

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  2. Il est des endroits apaisants, réconfortants,magiques comme une respiration nous reliant au monde et à l’humanité. Un lien universel.
    L’on ressent cela, pour moi et je ne suis pas croyante, notamment dans certaines abbayes comme Solesmes,Fontevraud ou encore Lagrasse. Un lien universel.
    Et le charme est là à chaque fois.

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    1. Lagrasse, Solesmes, je ne connaissais pas (Fontrevaud, vous m'en aviez déjà parlé). Des lieux magnifiques d'après les photographies. Oui, les lieux de spiritualité, les cathédrales, les mosquées... La dernière fois que j'ai expérimenté cela, c'était au château Lacoste tout dernièrement. Au centre du domaine, j'avais été importunée par le nombre de visiteurs (des restaurants supplémentaires, des gens pressés d'acheter du vin). Mais... pénétrant le parc (peu de gens près des œuvres d'art) j'ai ressenti toujours la même inspirante énergie, comme un souffle provenant des vignobles et des collines alentour, le même qu'il y a dix ans. Tout en haut, l'architecte Tadao Ando a rénové une petite chapelle qui devait être au centre d'un ancien hameau. ET là, là, j'ai retrouvé un calme et une paisibilité sans pareil. Vous le dites : "le charme est là à chaque fois".
      Belle soirée.

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  3. L'être humain a sans doute toujours le défaut de ses qualités. Le désir légitime de tout comprendre, la volonté d'explorer le plus loin possible, se heurte aux limites des questions sans réponse, surtout celles qu'il faut probablement ne pas chercher. L'invisible inconnu et cependant perceptible, qui se manifeste nous dérange tellement.
    Comme d'autres j'ai l'expérience que tu partages de « l'étrange paix », ici et par ailleurs, et on ne peut s'empêcher de se laisser envahir par le pourquoi ? Le mental avide de tout comprendre pour tout digérer, s'interpose pour nous dévier du pur ressenti.
    Chut ! Va voir ailleurs cher mental ! Laisse-moi jouir de cette paix pour l'instant éphémère et tu verras comment elle gagne du terrain peu à peu quand tu me laisses tranquille, d'autant que le phénomène ne vient nullement de toi.

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    1. Oui, le mental n'a rien à voir dans ce phénomène. Tout cela lui échappe. C'est d'autre chose qu'il s'agit.
      Quand ça m'arrive, je me sens extrêmement apaisée, à ma juste place, tous sens aiguisés et en harmonie totale avec ce qui m'entoure. Un sentiment d'unité. Et cela perdure une fois la "civilisation" retrouvée : envie de ralentir, de sourire, de tenir la porte, etc etc.
      Quant à la recherche des raisons, elle me paraît légitime. Qu'est-ce qui fait qu'en me trouvant en tel endroit (à Lacoste, ça se passe à deux ou trois mètres près) le phénomène apparaît ?
      Selon moi, il s'agit d'admettre les questions et il s'agit d'admettre le mystère. Ces choses ne sont pas incompatibles, plutôt complémentaires (pas de mystère sans questions, et inversement).
      Belle soirée à toi.

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    2. Je suis d'accord avec toi sur la légitimité des questions. L'accent que je mettais étais surtout de ne pas se laisser parasiter par elles au moment de l'événement. De se laisser descendre dans les profondeurs de soi pour goûter pleinement et éventuellement recevoir « quelque chose ».
      Quant au « mystère », plus j'avance en âge (dit l'ancêtre !) plus je ressens l'attirance irrésistible et une forme de puissance de vie (qui n'a rien à voir avec pouvoir ou domination) à raison même de cette Présence en tant que Mystère.
      Quant à Lacoste que tu évoques, j'y ai passé une journée en 2017. C'était en juin. Il n'y avait quasiment personne. Et j'ai vécu quelque chose de très comparable à ce que tu évoques. Souvent je vais revoir les photos que j'ai prises. Non pas que le phénomène se reproduise, mais regarder ces photos à toujours quelque chose d'apaisant.
      J'ai aussi un autre lieu très « ordinaire », au cœur de la campagne poitevine, des champs, une route, un virage, un banc sous un arbre, où je suis resté assis longuement à ressentir cette densité intérieure qui se manifestait étonnamment. À un moment donné une pensée s'est imposée : « je suis sur mes terres ». Pourtant je suis un « gars du Nord » sans attache poitevine particulière. Et l'endroit est d'une grande banalité. Je n'ai pas de photos, mais il suffit que je ferme les yeux et j'y suis.
      Alors j'ai beaucoup apprécié ton texte ainsi que les commentaires.

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    3. Je te rejoins : quand on est dans l'expérience, il n'y a pas de place pour le questionnement.
      J'aime beaucoup ton histoire de banc poitevin. Tout ce que tu en dis me parle infiniment : ça ne s'explique pas!
      PS : moi aussi, même si j'écris dans un élan d'inspiration, j'aime quand les commentaires éclairants me donnent ensuite du...grain à moudre.

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