mardi 17 mars 2020

Vivre : langages corporels


 
Vierge entourée de six anges (détail) / Francescuccio Ghissi / Musée du Petit-Palais / Avignon

"Moderne". C'est marrant, cet adjectif. Cinéma Moderne. Hôtel Moderne. Et même, l'autre jour sur le bord de la route : une gainerie Moderne (créée en 1960). Il y a des mots à qui l'usage attribue une fonction tout opposée à leur définition.On entend "moderne" et on sent le moisi. On ressent d'emblée au fond de soi une résistance, assortie de vague répugnance.

"ma chère", "je vais être franc avec vous", "eh bien... bonne chance!". Il existe ainsi toute une série de paroles (ou d'expressions) en apparence adéquates et adaptées à la situation, mais qui mettent notre corps si sage en mode alerte, dès qu'il les entend. Ma préférée : "j'aime beaucoup X, mais...". Dites "j'aime beaucoup" avant (et surtout "mais" après) et vous aurez le droit de dégommer X en toute sérénité. Et que dire de ces "bisous" qui donnent envie de s'essuyer le visage à peine les a-t-on lus ?

Parfois, c'est nous-mêmes qui nous surprenons à utiliser ces expressions toutes faites et, en les prononçant, nous comprenons que nous les utilisons à notre corps défendant. Ou plutôt : notre corps nous indique que quelque chose cloche. Être sincèrement désolé. Formuler ses vœux les plus sincères. Adresser de sincères condoléances (il y en aurait donc qui ne le sont pas ?). Quant à partager le chagrin d'une personne en deuil, de grâce, n'exagérons pas !

Le corps, avec ses sensations, bien plus que notre intellect, est décidément un fort bon décodeur. Il n'est pas dupe des décalages et des formules d'usage. Il connecte les mots avec leur véritable réalité. Il a ses raisons (que la raison ne connaît pas en corps).

2 commentaires:

  1. Tiens c'est vrai, le concept « moderne », un peu tombé en désuétude. Vers la fin des années 60 tout était « moderne » je me souviens du « confort moderne » qui a remplacé « gaz à tous les étages » ! Aujourd'hui il convient d'être « tendance » : « c'est très tendance ! ».
    Dans l'ordinaire d'une certaine convivialité peut-on éviter les formules toutes faites ? Il y a le classique — « Bonjour ! Ça va ? » On se contrefout de la réponse et puis de toute façon l'autre doit répondre — « oui, ça va ! Et toi ? » Faudrait quand même pas avoir le mauvais goût de commencer à raconter ses misères !
    Quant aux envois de condoléances ou de félicitations, j'ai toujours à cœur d'exprimer un ressenti personnel authentique. Je suis incapable d'écrire « sincères condoléances ».

    Pour le langage du corps, je me suis arrêté à l'ange du tableau, en regardant l'ensemble de l'œuvre. J'ignore s'il y a une signification dans l'iconographie religieuse à ces bras croisés. Mais c'est quand même amusant d'y aller de son interprétation personnelle : « alors ! T'es contente hein ! Tu l'as eu ton fils de Dieu ! Si tu savais à quel point je suis jalouse ! Et puis arrête de frimer, de toute façon on a toujours la monnaie de sa pièce, crois-moi ça va mal finir ! »
    Bon, je ne voudrais pas choquer les croyants. Je ne bosse pas à Charlie hebdo !
    C'est parce que je trouve qu'il y a un grand contraste avec les deux anges du dessus qui symbolisent plus le respect pour la divinité, l'admiration et l'adoration et/ou l'affection. Tandis que le détail que tu as choisi ne me donne pas la même impression… mais je suis sûr que je fais un contresens !

    Mais quoi qu'il en soit, tu me donnes l'occasion de découvrir un certain nombre d'œuvres d'art dont j'ignorais tout… c'est intéressant…

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    1. Tu as raison : mon billet invite à interpeler les formules toutes faites. A trop les employer, certaines ne veulent plus rien dire. Ce sont des coquilles vides, que nous sortons d'office, sans plus savoir exactement ce qu'elles contiennent. Juste pour garder le contact. "Comment ça va?". "Bon courage" (y a-t-il un mauvais courage ?). "Joyeux Noël" (joyeux Noël, selon moi, sachant ce que cette fête peut comporter d'émotions diverses, ou de solitude, ou d'angoisse pour tant de gens, c'est presque la plus cynique, je préfère demander à la personne comment elle vivra ce jour-là et ensuite, éventuellement émettre un souhait avec un adjectif adapté) etc etc.
      Coquilles vides, oui mais vides de quoi ? Elles expriment je crois ce que la relation ne contient pas et c'est souvent du sentiment, du cœur qui manque. Si j'écris une carte de voeux ou de condoléances à un ami, à une personne chère, les mots viennent spontanément du coeur et trouvent tout leur sens. Je peux utiliser des mots simples, tout simples, mais qui se connectent, se rassemblent pour aller droit au cœur de l'autre. Si j'écris juste par devoir, parce que cela "se fait", alors je recours aux formules toutes faites et ça donnera une carte qui ira rejoindre d'autres cartes sur une pile de courriers indifférents.
      ça me fait plaisir de voir que tu fais l'effort d'aller à l'oeuvre d'origine pour mieux la connaître. En fait, face à un tableau, je regarde souvent d'abord l'ensemble, et puis je photographie des détails qui me frappent ou me plaisent. Le talent d'un peintre tient souvent à son sens des détails à mon avis. Ici, j'aimais bien le côté "moi, on ne me la fait pas" de l'ange, très dubitatif.
      Le langage du corps auquel je fais référence, mais peut-être est-ce très personnel, ce sont ces manifestations corporelles (recul, tremblements, malaise ou autres) par lesquelles mon corps exprime que quelque chose ne lui semble pas cohérent dans la relation. Par exemple, quand quelqu'un dit quelque chose d'aimable avec une posture rigide, forcée ou bien sourit mais pas avec les yeux. Le corps sent cela avant notre raison, je crois. Il sent le décalage et nous donne assez rapidement des signaux. Nous gagnerions à savoir l'écouter, à percevoir les signaux qu'il nous donne, au lieu de trop chercher à rationaliser, car au final le corps a très souvent raison.
      Merci pour tes fines observations, cher Alain, et très belle soirée.

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