vendredi 11 décembre 2020

Vivre : les larmes écarlates de K.

 
 Avant la messe (détail) / Victor Leydet / Musée Calvet / Avignon
 
 
La femme pleure. Elle sanglote. Elle saigne.
Il est des phrases assassines qui peuvent vous laminer. Elles sont courtes, elles sont précises comme un stylet bien aiguisé. Il est des phrases qu'on ne peut laisser nous atteindre sans gilet pare-lame. Il est des phrases dont il faut retourner la honte à ceux qui les ont prononcées. 
Comment lui dire ? Comment lui exprimer qu'elle peut certes pleurer, que le chagrin est un droit. Mais que s'effondrer, c'est faire le jeu de l'assassin. Comment lui dire qu'on peut pleurer tout en se tenant droit ?
 

8 commentaires:

  1. On peut pleurer on s'écroulant. En s'effondrant. C'est même parfois un passage obligé. Parce qu'on a percé à un endroit si sensible, là où réside une blessure ancienne engrammée dans la sensibilité et qu'une lame est venue refaire saigner, par maladresse et parfois par volonté.
    Probablement qu'à cet instant là, il y a peu à dire si ce n'est être présent à la douleur intense.
    J'évoque là, indirectement, le souvenir personnel d'une lance qui me transperça et la blessure infligée mettra du temps à cicatriser. Plusieurs années de distance. Et puis l'amitié fraternelle brisée c'est retissée lentement, avec quelques fils du pardon et quelques fils du désir de reconstruire. C'était réciproque.
    À présent une tumeur au cerveau le fait dérailler. Elle est inopérable. La fin s'approche. Son épouse me disait il y a quelques temps « il a encore balbutié ton nom ».
    Je n'écris pas cela pour répondre à ta dernière phrase, parfaitement juste et signe de grandeur et de compassion pour la personne. C'est un peu pour souligner qu'il y a des étapes dans les soins des souffrances intérieures. Parfois on passe par « la réanimation » avant de reprendre pied. Et je crois beaucoup à la présence qui n'est que cela, rien que cela : Présence. Ensuite viendra ce que l'on peut faire pour concourir à la remise en vie et la bonne santé intérieure
    J'espère ne pas mettre trop « à côté de la plaque » en écrivant tout cela. Je prends mes risques.

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    1. Cher Alain,
      On n'est rarement ici à côté de la plaque, à moins de manquer cruellement d'égards (par maladresse ou par volonté, comme tu dis). En fait, non seulement tu n'es pas à côté de la plaque, mais tu vas bien au-delà dans ton commentaire de ce que je décrivais ici.
      Oui, on peut pleurer en s'écroulant, mais justement ça met en rage : voir la méchanceté, ou la distraction, ou l'imbécilité avoir de tels pouvoirs. On voudrait tenir toutes les lames à distance, être en mesure de protéger la blessure. On voudrait qu'elle soit épargnée et la tenir entre ses mains comme ces oiseaux blessés que recueillent les enfants avec mille précautions. C'est dans cette optique que j'ai écrit ceci : expérimenter la blessure (qui vient du passé) et en même temps ne pas donner prise aux mots blessants (qui arrivent au présent).
      Ton histoire... incroyable comme la roue peut tourner. Le temps passe, la roue tourne et il n'y a plus de place pour la rancune et la vengeance. De la place pour le pardon et la reconstruction.
      Oui, la présence, l'écoute dans cet instant-là sont hautement bienfaisantes (et il ne faut jamais négliger la capacité de notre être à la résilience. Comme une plaie cicatrise, une blessure de l'âme et du cœur peut aussi se refermer). On porte sans doute tous des blessures comme ça, qu'une lame affinée peut rouvrir en un instant. On est tous à la merci d'un scud ou d'un autre, qui peut arriver n'importe quand, de n'importe où. On ne peut pas vivre dans une tour ou être cuirassé en permanence. ET quand la blessure arrive, il s'agit de la vivre. Puis de se soigner (avec ou sans aide, en laissant faire le temps ou en soignant activement). Mais... si possible sans laisser les mots nous mettre KO.
      Toute belle fin de journée, Alain. Ici, la neige est tombée en abondance : un cadeau du ciel durant tout la journée et qui blanchit la nuit.

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  2. Blessantes comme des coups de poignard, les paroles assassines sont autant de petites phrases apparemment anodines mais durablement assassines. De celles qui peuvent remonter en surface bien des années après depuis l'enfance ou l'adolescence. Autant de réflexions bêtes ou méchantes, à l'âge adulte elles marquent dans la chair ceux qui les reçoivent surtout prononcées par des proches, à fortiori quand elles se répètent.
    Pleurer, être blessé sont des réactions si humaines mais il est tout aussi humain, voire fondamental de ne pas se soumettre, de rester droit effectivement.
    Qui plus est, lorsque les blessures sont trop, "tirer un trait:un geste radical pour mieux recommencer."
    Comme le dit la philosophe Claire Marin, il faut parfois rompre pour se sauver".
    Merci pour ce billet et pour le tableau si parlant.

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    1. Merci (vous lisez et écoutez aussi Claire Marin ? je la trouve intéressante dans la mesure où elle s'intéresse à des sujets passionnants sous des angles que peu ont examinés). En vous lisant, je me suis demandé quelle est la différence entre "bête" et "méchante". Est-ce que le premier terme se réfère à une sorte d'étourderie, un manque de délicatesse ? Est-ce que le second comporte une part de volonté et d'intelligence maligne ayant la ferme intention de blesser ?
      Toujours est-il que nous avons tous des fragilités avec lesquelles nous avançons. Parfois, nous croyons les avoir dépassées, mais il suffit d'un coup (bas, ou pas) pour nous montrer que nous ne sommes jamais définitivement guéris. Nous avons appris à nous protéger, à éviter, mais nous n'y parvenons pas toujours. Quand cela arrive, nous devons alors nous recentrer sur nos blessures, les chérir et les soigner de notre mieux. Pour moi - et c'est ce que j'ai tenté de dire à K. - il est important de rester droit pour que ce qui blesse au présent n'entre pas dans la sphère intime, le noyau où se trouvent nos trésors et nos secrets, tout ce à quoi nous tenons, que cela soit source de douleur ou de joie.
      Belle et rassérénante soirée, Ghislaine.

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  3. Parfois, sans le vouloir
    nous sortons aussi des phrases assassines
    mais certaines savent bien sortir la hache
    pour nous fendre en deux
    :-)

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    1. Nous sommes des être sociaux, en constante interaction avec les autres. Nous sommes tous potentiellement en mesure de dire des mots blessants. Parfois par distraction ou par négligence, par "bêtise". Parfois les propos blessants sont prononcés par "méchanceté", par désir de blesser intentionnel, et ça, c'est terrible. Qu'y a-t-il dans le cœur des gens qui veulent blesser ? Qu'est-ce qui les motive ? Ont-ils eux-mêmes la réponse ?
      Quoi qu'il en soit, je me dis régulièrement que nous aurions avantage, pour les autres mais aussi pour nous, à rester attentifs et présents à ce qui se passe quand nous sommes en relation (c'est si difficile parfois, d'être "toujours" présents, mais la vie demande d'y revenir, sans cesse). On éviterait bien des griffures. J'ai l'impression - c'est seulement une intuition - que plus on sait prendre soin de soi, et plus on est attentif à ne pas blesser les autres. Oui, que l'attention à soi et aux autres vont de pair.
      Bonne soirée, Pascal.

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  4. Bonsoir Dad.
    A propos de se "tenir droit.".. j'admire la dignité des Japonais (et autres asiatiques en général), face au malheur.
    Autrement, tout est dit.
    Bon weekend !

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    1. Tout est dit ? Si tu le dis... :) Bon WE, Julie!
      PS : à rester trop digne face au malheur, je me demande si on ne risque pas un ulcère ? ou une autre somatisation. J'espère que les Japonais se donnent le droit de pleurer, même silencieusement.

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