Dans "L'Orme du Caucase", publié en 1993 au Japon, Jiro Tanigushi a adapté huit brefs récits de l'écrivain Ryuichiro Utsumi.
Ce sont de fines esquisses, des tableaux attachants, au sujet de liens brisés, on se sent remué en les parcourant. Il est question de ruptures muettes et cruelles, de familles séparées, de mésententes qu'on peinerait à première vue à s'expliquer. Il est question de souffrance intime et de larmes anciennes. Il est heureusement aussi question de cicatrisation et de reconnexion.
Les parents ont tendance à réprimander leurs enfants de manière déraisonnable. Ou à les abandonner pour des raisons difficiles à expliquer. Les enfants peuvent aussi se montrer cruels avec leurs parents, demander par exemple à un vieille veuve de vendre sa maison pour pouvoir en construire une neuve, dans laquelle on lui laisserait un tout petit espace à disposition. Ou évincer un père en le poussant à la retraite élégamment.
Ces histoires regorgent de cœurs lourds, de blessures jamais cicatrisées. Il n'y a jamais trop de mots, mais des regards qui en disent long. Heureusement, il y a aussi le travail patient du temps, le temps qui permet de comprendre et d'ouvrir des portes trop longtemps laissées fermées.
On l'aura compris : L'Orme du Caucase est un manga apte à vous embuer les yeux pour peu que l'on ait l'âme un brin sensible le jour où on le relit.
Le récit qui donne son titre au recueil a pour protagoniste un arbre, un arbre très vieux, dont tout le monde s'accorde à dire qu'il n'apporte que des embarras : ses feuilles, par exemple, à l'automne, sont une calamité contre laquelle les voisins ne cessent de se plaindre. L'arbre est devenu l'ennemi numéro un du quartier. Il n'est question que de l'abattre. Et pourtant, pourtant... quelque chose murmure à son nouveau propriétaire que l'arbre recèle des qualités précieuses. Le précédant occupant des lieux lui confie : "L'orme habitait ici bien avant moi. Puis, je me suis installé et ce n'est que bien plus tard que des maisons ont commencé à se construire à l'entour. Aujourd'hui, on va l'abattre parce qu'il perd ses feuilles. Mais le vrai problème, c'est l'égoïsme de ceux qui sont arrivés après lui."
L'arbre, un personnage imposant, métaphore de tout ce qui devient trop vieux et encombrant dans notre société, tout ce dont on ne veut plus, tout ce qui ne convient plus, la pesanteur du passé, l'esquive des obligations, tout ce qui fait oublier la beauté d'un orme en bourgeons quand arrive le printemps.
Casterman, Paris, nouvelle édition : 2019
Le vieil arbre… celui qui a vu passer des années, des dizaines d’années. Qui a vu passer les changements et qui d’abord protégeait du soleil lors des labours ou des récoltes, qui ensuite offrait son ombre aux premières maisons et gênait ensuite le quartier, avec ses feuilles, le bruit « insupportable » qu’elles faisaient lors des coups de vent, et qu’il fallait en plus ramasser en automne. Le symbole est magnifiquement choisi, en fait le double symbole, celui de la jeunesse, de l’âge adulte et de la vieillesse et celui de l’agrandissement tentaculaire des villes avec ses nouveaux quartiers et besoins. Je ne parle même pas de respect d’un automne (de vie), mais bien de la vitesse des changements. Aujourd’hui ils sont détectables sur une génération, hier même pas sur cinq ou dix. Ce que l’arbre a vécu ce qu’il a procuré ne sert plus, la société regarde ailleurs et court après un progrès de plus en plus douteux.
RépondreSupprimerGaspard
Oui. La nature qu'on utilise, qu'on exploite, et ces discours qui émergent soudain, maintenant que les dérèglements touchent nos sociétés occidentales : il faut agir, vite, prendre des mesures (tant que seuls les pays du Sud étaient concernés, c'était loin, très loin, on ne s'en inquiétait pas...) Ainsi va la vie... Oui. Les changements deviennent de plus en plus rapides, d'une décennie à une autre les manières de vivre se modifient tellement, à tous les niveaux, technologies, outils, besoins... Heureusement, il semble que de plus en plus de gens soient conscients de la nécessité d'un retour à des modes de consommation plus raisonnables et de la nécessité aussi de considérer l'être humain dans son ensemble, quel que soit son âge, avec le respect qu'il mérite. Oui : la notion de progrès doit être repensée.
SupprimerBelle soirée à vous.