mardi 28 décembre 2021

Vivre / voyager : en disponibilité

 

Besoin de changer d'air, besoin d'embarquer quelques affaires (et le chien et son maître)
Besoin de cette lumière venue à manquer, que seuls les ciels du Sud savent donner.
Veiller à suspendre sur les branches aux mésanges des graines en suffisance.
Oublier quelques tracasseries, les laisser se dessécher en broutilles sans consistance.
Oublier la technologie, oublier l'heure, oublier de lire et oublier naturellement de répondre.
Discerner tous les possibles, me rendre accessible, disponible à d'autres réalités.
Quitter le lac pour me baigner dans ce que l'ailleurs voudra bien m'accorder.

lundi 27 décembre 2021

Vivre : la transmission

 
Entrée du teatro olimpico / Vicenza

Une des choses les plus ardues : donner ce qu'on n'a pas reçu.

dimanche 26 décembre 2021

Lire : se laisser emporter

 

Quand on aime quelqu'un, ses défauts nous demeurent inconnus, comme s'ils étaient des pleins s'encastrant parfaitement dans nos creux, mais sans amour, tout le monde est invivable. [p.161]
 
- Exact, exact, Liv Maria. On ne devine rien. On finit simplement par comprendre. Mais ça nous demande un temps infini.
Il avait bu une gorgée de vin du gobelet en plastique qu'il tenait à la main, puis :
- Parce que les gens murmurent - les gens se trahissent, ils commettent des erreurs, ils croient dire que qu'ils disent et taire ce qu'ils taisent, mais bien sûr ils font l'inverse, à leur insu. Les gens murmurent, ils parlent avec leurs cils qui battent, avec leurs oreilles qui rougissent, avec leurs fautes de frappe, et nous les lisons à livre ouvert, à notre insu. Les gens murmurent, et nous les entendons, mais le message est parfois si clair que nous cherchons des complications. Pourtant, dans ce que nous taisons en croyant le dire, ce que nous disons en croyant le taire, nous sommes dans notre vérité, d'un coup. [p.183.184] 
 
 
Julia Kerninon est une conteuse. Elle a un réel talent pour embarquer ses lecteurs dans des aventures invraisemblables et les tenir en haleine jusqu'au bout de ses histoires. Ses romans ont quelque chose d'étrange : on y entre un peu à reculons, on se méfie de leurs trames mélodramatiques, aux accents lyriques et terriblement romantiques.  On se dit qu'on ne se laissera pas faire, qu'on restera critique et analytique. Mais... c'est compter sans le charme enveloppant de ces trajectoires incroyables. On commence et, très vite, on se retrouve en train de tourner avidement les pages. Comme on visionnerait une œuvre cinématographique, on imagine les paysages, les personnages, les décors (ici, on trouverait comme une analogie avec certains films de Jane Campion, une sorte de "Leçon de piano" contemporaine). Malgré des scénarios improbables, tout devient possible (les drames, les coïncidences, la fougue des sentiments, les passions inextinguibles, les conflits insolubles, l'argent qui s'amasse et la réussite facile, les fuites et les disparitions). 
 
Oui tous ces thèmes feraient aisément de Liv Maria une héroïne de roman de gare. Mais... attention : si les livres de J.K. font penser à des romans de gare, ils allient savamment le kitsch et le chic. L'auteure donne preuve de qualités indéniables. Elle est manifestement dotée d'une solide culture littéraire. Elle sait déployer de belles phrases, dans un style élégant et ciselé. Elle sait aussi mener ses narrations tambour battant. Les coups de théâtre arrivent régulièrement et le final n'est pas décevant.
A titre d'exemple, on constate l'usage répété du conditionnel pour indiquer le futur, les événements à venir : Toute sa vie, Liv Maria ne pourrait que formuler des suppositions à ce sujet, parce qu'elle n'avait pas posé la question à sa mère. Pourquoi Berlin ? Les années passant, une autre question, plus troublante encore, viendrait se superposer à la première jusqu'à l'oblitérer. [p.44]
Un peu plus tard, au cours de terribles nuits sans sommeil, Liv Maria se rappellerait cette conversation comme elle se rappellerait aussi tout le reste et elle penserait : Je ne savais pas ce que je disais. Je ne savais pas. Je ne saisissais pas la sagesse de mes propos. Je ne savais rien.[p.61-62]

Face à des impressions contradictoires, on reste longtemps perplexe : mais qu'est-ce qui nous subjugue dans cette écriture particulière? J'avais parlé ICI d'un précédent roman que le hasard avait mis sur mon chemin. Ce qui séduit chez cette auteure, c'est sans doute que ses histoires sont plus profondes qu'elles n'en ont l'air. Ou plus désinvoltes qu'on ne voudrait le croire. Elle nous offre de la légèreté grave. Ou une gravité invraisemblable. J.K. apparaît comme une créatrice à mi-chemin : elle a quelque chose de plus qu'une auteure banale, et, en même temps, quelque chose lui manque pour qu'on la considère comme une écrivaine affirmée (peut-être une certaine profondeur, une certaine maturité...) 
Dans tous les cas, avec ce livre elle nous entraîne dans une lecture délectable, qui permet d'oublier cet hiver et ses contrariétés innombrables (en conséquence, vu les temps qui courent, on prédit à l'éditeur des ventes non négligeables).
 
Nous avons si souvent l'impression que nos mots ne sont pas à la hauteur de ce que nous voulons vraiment dire, pensait Liv Maria, que nous oublions que c'est parfois exactement l'inverse qui se produit - que dans la multitude des phrases que nous prononçons, certaines son plus exactes, plus précises, plus judicieuses que nous ne pouvons le deviner. [p.130]

Ah! j'allais oublier ... un résumé, évidemment. Voici : Liv Maria est une jeune femme née sur une île au large de la Bretagne, d'un père norvégien et d'une mère îlienne pourvue de quatre frères célibataires. L'histoire commence au moment de sa conception et s'achève avec sa disparition. Entre deux : des voyages, des amours (au long cours ou de passage), des aventures, une librairie et des lectures, et puis un "lourd secret" (selon la formule consacrée) qui sert de clef de voûte au roman, un lourd secret à vrai dire pas vraiment convaincant, mais... il faut absolument se laisser convaincre, il s'agit d'y croire si l'on tient à savourer cette jolie lecture jusqu'à la fin...

samedi 25 décembre 2021

Vivre : les mots pour l'écrire

 

Les vœux : tout un poème. Il y a ceux écrits au kilomètre. Et ceux écrits avec le cœur. Et ils ont beau la plupart du temps ne pas contenir plus de quelques mots, une ou deux phrases, on saisit d'emblée ce qui les a motivés. Une routine, un sentiment d'obligation ou alors un désir profond de partager avec des êtres peut-être lointains mais auxquels nous nous  relions.
Sur la terrasse, les merles, le rouge-gorge et les mésanges se pressent autour de leur branche pesamment décorée (sur laquelle on veille tout au long de la journée). Devant mon objectif, les arbres cabotinent un peu. Dans son message, A.M. a écrit : "Si j’arrive à écarter le voile de confusion créé par mes émotions et mes pensées, je vais bien, quoi qu'il arrive dans le monde." Cela me parle profondément. Dès lors, je la plagie : Écarter le voile de confusion. Garder intact l'amour de la vie. En douze mots, tout est dit.

vendredi 24 décembre 2021

Vivre : monomaniaque

 



Oui, il est tout à fait possible que je sois affectée d'une manie, et complètement irrécupérable, mais moi, ce paysage hivernal, je ne m'en lasse pas. Il faut que j'y passe au moins une fois par jour (parfois deux, et ça peut même arriver trois fois). Je ne parviens pas à me trouver blasée de cette douceur. J'ai beau savoir que des démarches impérieuses m'attendent. Ou un rendez-vous inévitable. Ou une course urgente. J'arrive ici et je me sens bien. Dans mon axe. Je respire. Plus rien n'a vraiment d'importance, ou plutôt : tout retrouve l'importance qui lui revient. Parfois, je croise un renard. Ou une biche, ou un busard. Plus rarement : un humain, genre de spécimen assez rare. Parfois, je caresse un bois doré privé de son écorce, toujours surprise de sa douceur et de sa vulnérabilité infinie.
En bas, le monde s'agite et se presse, s'affronte et s'agace, s'envenime et s'entasse. Ici, le paysage s'élargit. On dirait qu'on vole, qu'on s'envole vers la Fête, ou du moins : vers son esprit.

jeudi 23 décembre 2021

Vivre : sans rapport

 
Présentation de Jésus au temple (détail) / Giovanni Antonio Badile / coll. Prince Eugène /Venaria reale / Turin
 
 
 Trois phrases aujourd'hui ont capté mon attention :
 
La violence est le meilleur moyen pour faire perdre les causes les plus nobles. Boomerang / I Muvrini

Quelle place donnons-nous au déraisonnable dans notre vie ? Noburnout / Catherine Vasey

Parfois, il est préférable d'avoir de bonnes relations avec ses voisins que de défendre ses idées. Un paysan de la Drôme
 
Sans rapport entre elles, et la photographie non plus, mais l'ensemble m'a paru lumineux et stimulant.
 
 

Vivre : persévérer

 
La moissonneuse à la faucille / JBC Corot / MBA / Boston
 
"Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux." 
 S. Beckett 
 
Tout à fait normal de se tromper. 
Ne pas se décourager. Continuer.
Se tromper encore. Se tromper mieux. 
Céder à la crainte, voilà qui serait affreux. 


 

mercredi 22 décembre 2021

Vivre : en attendant l'omnibus de 16h59

 

L'hiver, l'été, aimer cette heure que l'on dit bleue. L'heure des plages qui se désertent. L'heure du chien qu'enfièvre le passage de renards. L'heure des silhouettes qui se pressent vers des portes prêtes à s'ouvrir quelque part. L'heure des désertions, l'heure des solitaires. L'heure des ballons abandonnés près des toboggans glacés. Sur le lac taiseux, un dernier oiseau prend son envol. Dans le noir, suivant sa voie, un train s'éloigne. Sur un quai, plus au nord, des gens scrutent, impatients de l'apercevoir.
C'est l'heure de la nostalgie. L'heure où l'on pense au temps qui s'enfuit. L'heure où l'on saisit l'importance déchirante d'être en vie. Aimer cette heure bleue, teintée de rose et de gris, empreinte de calme et de repli. S'élancer vers une ombre qui s'approche, des bras qui s'agitent.

mardi 21 décembre 2021

Vivre : still life / 108

 

Pas d'achat pour les emballages. On recycle. On rafistole. On fait avec des bouts de ficelle, des restes, des chutes, des papiers récupérés d'anciens Noëls. L'important : pendant qu'on colle, on pense très fort à celui ou à celle qui ouvrira le paquet (on est convaincue qu'un cadeau est une boule d'énergies positives, un conglomérat de joie et que cet élan surgira quand la personne ouvrira). Cette année : des chaussettes (pas vraiment excentriques, mais vivement colorées), des DVDs, un tablier, des bracelets, des thermos (terminées, les boissons confiées à du plastique, en hiver comme en été). En arrière-fond, une émission comme on les aime, qui parle de l'enfance avec intelligence et de l'importance de ne pas laisser la vie nous victimiser à vie. On se penche : encore quelques pièces à emballer. Tiens : quatre paires de chaussettes (aucune originalité, mais chaleur assurée).

lundi 20 décembre 2021

Vivre : éloge de la désinvolture

 
détail de la façade en front de mer / palais ducal / Venise
 
Curieux, comme, insouciants jusqu'à la négligence,  guère préoccupés par les résultats, pressés jusqu'à en être délurés, nous parvenons à réussir sans aucune difficulté. Nous admirons étonnés ce que nous avons fait avec légèreté.
(alors que, parfois, appliqués, soucieux au point d'en être anxieux, nous achevons péniblement notre tâche, mécontents d'un aboutissement paraissant au final décevant...)

dimanche 19 décembre 2021

Regarder : drôles de cocos

 
La prédication de Saint-François aux oiseaux (détail) / Giotto di Bondone / Le Louvre / Paris
 
Elle s'appelle Carla Rhodes. Initialement comédienne et ventriloque, elle s'est découvert une passion pour la photographie destinée à la protection de la vie sauvage. Elle livre sur son site de splendides images d'animaux pris sur le vif (elle utilise des pièges photographiques, entre autres sous son distributeur à nourriture, placé chez elle dans les Montagnes Catskill, dans l'Etat de New-York). 
Les oiseaux, les animaux captés, pleins de vivacité, font penser à des stars surprises par des paparazzi. Trop drôle! ICI 
 

Vivre : passages brouillés

 
Incoronazione di Santa Caterina e santi (dett.) / Jacopo di Mino del Pelliciao /pinacoteca / Siena
 
Il arrive toujours ce moment durant l'hiver, où celui-ci se fait rude, froid, hostile et charrie de conserve des flots de souvenirs désobligeants. Désirs de repli. Besoin du goût revigorant des bons sentiments. Importance des mots auxquels on devient particulièrement sensible. N'est pas synonyme qui veut. Ne prononce pas les justes termes qui croit. Les larmes montent, indociles, les explications fusent, malhabiles. Les mains se tendent, un peu partout, un peu trop, un peu trop souvent. Nécessité de se comprendre, de s'expliquer avant de pouvoir donner. Impression d'avoir égaré quelque chose de très important, qu'on ne saurait nommer, quelque part, il y a très longtemps. Il arrive toujours en hiver ce moment où quelqu'un s'exclame : "Tiens : sur ta joue, une larme de froid".
 

samedi 18 décembre 2021

Lire / Vivre : Un paysage d’hiver, quand le froid est extrême

 
 
Selon Sei Shonagon, les choses qui gagnaient à être peintes étaient :
 

Un pin // La lande en automne // Un village dans la montagne //
Un sentier dans la montagne // La grue // Le cerf //
Un paysage d’hiver, quand le froid est extrême //
Un paysage d’été, au plus fort de la chaleur
 

Pour les six autres sujets, je ne saurais dire. 
Mais pour le paysage d'hiver, et le froid qui mord,
ô vénérable dame, je suis entièrement d'accord.
 
 
 Les clochers des alentours sonnaient midi.
Je suis restée longtemps, les yeux ébahis,
les doigts engourdis, le chien abasourdi.



 
Je suis restée longtemps, face au paysage endormi
ses entrelacs et ses détails observés avec minutie
les pupilles envoûtées par tous ces précieux lacis.
 
 
 

Je n'avais rien, pas de pinceau, ni de crayon, ni d'encre de Chine
(laquelle eut vite fait de se transformer en bloc de charbon).
Je n'avais pas de carnet, ni le moindre feuillet à disposition. 

 
La forêt se taisait. On entendait seulement un claquement. 
C'étaient mes dents. Il m'a fallu alors me dépêcher,
dégainer mon appareil et prestement photographier....

... au risque de me retrouver, moi aussi, totalement givrée.


vendredi 17 décembre 2021

Vivre : insomnie

 
Buste de femme (ou de marin) / Pablo Picasso / Musée Picasso / Paris
 
Sa vie rime avec ennui. Elle le traine, se traine, se languit. Passe et repasse en mode miroir, se scrute, se selfie, se crucifie. Une vie, un regard vide, mais, de grâce, pas de rides, elle ne veut pas se trouver vieillie. Le matin, à midi, à minuit, elle lance comme des bouées ses émojis. Elle tapote, elle écrit, voudrait tant déployer de l'esprit en se cherchant désespérément des amis. Un de perdu, dix de repris et tant pis pour le suivi.
Sa vie rime avec ennui. Ses doigts glissent sur les touches. Touche à tout, touche à rien, envahie par le vain, vaines tentatives de liens. Triste femme ou triste fille, elle patauge, démunie. Enfin, un message dans le noir, oui : elle n'est pas tombée dans l'oubli. Trois symboles, deux smileys, elle s'agite, elle frétille, elle sourit : se voit enfin jolie, se retrouve gentille. Elle expire, elle finit par s'endormir, en pleine nuit, rassurée et ravie.

jeudi 16 décembre 2021

Vivre : prendre aux mots

 
"Ich möchte hier raus" / Birgit Jürgenssen / Werbung Sammlung / Vienna
 
Sur la terrasse ensoleillée, juste derrière moi, une voix de femme m'a tirée de ma rêverie :
"Si tu le dis, je te tue. Je te jure que je te tue. Il en va de ma réputation. Si tu en parles au comité, je te promets, je te tue."
J'ai gardé les yeux fermés face à l'intensité de la lumière, mais les propos avaient piqué ma curiosité. Impossible de me tourner sans me faire remarquer. Intriguée, j'aurais donné n'importe quoi pour savoir de quel comité il pouvait s'agir. Et, naturellement de quel inavouable secret. 
"Je divorce. Et puis après, je te tue. Pas un mot au comité. Tu jures ? Tu jures, hein, pas un mot ?"
Fichtre. ça avait l'air sérieux.
Quand mon café est arrivé, j'aurais volontiers échangé mon petit chocolat Cailler glissé dans la soucoupe contre le fin mot de l'histoire.
Hélas, il y a eu un bruit de chaises déplacées. En se dirigeant vers la sortie, ils ont frôlé ma table et la femme lançait encore ses mises en garde : "Tu le jures ? Tu le jures ou je te tue!". De dos, tandis qu'il s'éloignaient, ils ressemblaient pourtant à un banal couple sans histoires. Elle avait les cheveux grisonnants, une ménagère transparente dans la file d'un supermarché (mais qui eut été prête à tuer son époux lui aussi grisonnant, peut-être un peu bedonnant, s'il avait révélé son secret palpitant!)

mercredi 15 décembre 2021

Vivre : rester centré

 

 

  La Chambre des Epoux (détail) / Andrea Mantegna / Palazzo ducale / Mantova

Dans un monde détraqué, veiller à rester dans son axe.
Face à toutes sortes de débilités, s'efforcer de contrebalancer. 
Prendre de la hauteur, éviter d'entrer dans les mêlées. 

mardi 14 décembre 2021

Vivre : quelque chose de bien en 2021

 

On m'a demandé : que t'est-il arrivé de bien en 2021 ? J'avoue que j'ai hésité un instant. 2021, encore davantage que 2020, m'a paru une année porteuse de nouvelles plombantes et de contrariétés à la pelle. Tant de choses n'ont pas marché comme je l'aurais espéré...


J'ai régulièrement ressenti cette affreuse sensation de perdre infiniment plus que je ne pouvais récupérer (et j'ai réalisé que durant toute ma vie je n'avais fait que conquérir et élargir mes possibles). Dur à vivre, difficile à accepter. Parfois, je donnais des coups dans les portes qui se fermaient. Parfois, je glissais un pied dans l'entrebâillement. Parfois aussi, je les laissais claquer.

Bien sûr, il y a eu la santé. Et le bonheur de partager ma vie avec des êtres beaux et solaires. Et de vivre dans un lieu de sérénité, de véritable sérénité, de sourires, de présences éclatantes. Et d'évoluer dans un pays de liberté, de démocratie (ou du moins de quelque chose pouvant s'en rapprocher), où les gens trouvent à se nourrir, à se loger, où un homme couché dans la rue, à même le sol, ne laisse personne indifférent et appelle un élan de solidarité. Oui : tout cela mérite d'être relevé... Rien de cela ne doit être négligé. Mais... régulièrement les choses perdues généraient dans mon cœur de petites brisures difficiles à rafistoler. Comme ces divergences au cœur du monde ne cessant de diverger jusqu'à menacer de craquer. 

Alors, quelque chose de bien en 2021 ? Tout bien pesé, deux choses : premièrement, les chambres. J'ai dormi durant cette année dans plusieurs chambres anciennes, noblement décorées, des cocons superbes qui pouvaient abriter des rêves apaisés (une grande chambre rouge au Sud avec laquelle j'ai entamé de profonds dialogues avant de plonger dans les bras de Morphée). Deuxième cadeau de l'année : les marchés, une multitude de marchés. Je m'y suis sentie d'autant plus heureuse qu'ils étaient restés trop longtemps fermés. J'ai adoré y retourner : déambuler longuement, observer  la belle énergie qui s'en dégageait, humer, écouter toutes les présences qui circulaient (même si l'autre soir, à nuit tombée, j'ai fui le Marché de la Kleine Tchanze, qui battait son plein, rempli d'épices, de chocolats, de vin chaud, de rires, de proximité - hum hum - je l'ai fui pour y retourner sagement durant la journée, quand il est nettement moins arpenté, mais que le traiteur grec s'active toujours à préparer ses irrésistibles pitas).
 
 Kleine Tchanze / récemment
 
En plongeant dans les souvenirs de cette année, de bien belles images ont émergé. Il fallait juste les tirer du brouillard morne, fine couche de poussière grisâtre qui les recouvrait. Moralité : une année consternante peut apporter quantité de choses bien. A condition de bien vouloir les repérer. 



lundi 13 décembre 2021

Vivre : l'importance des choses

 
Crucifixion (détail) / Ugolino di Nerio / Pinacoteca / Siena
 
Qu'est-ce qui est important ? Et qu'est-ce qui ne l'est pas vraiment ? On pourrait dire que tout est important (oh oui, la moindre coccinelle, le moindre sourire, le moindre incident). Et, en même temps, rien ne l'est véritablement (avec distance, les choses perdent vraiment de l'importance). Et c'est dans cette relativité que se joue notre vitalité, dans cette oscillation constante que fleurit notre bonheur d'être au monde.

dimanche 12 décembre 2021

Vivre : déphasages

 
Lo Zoppo / Le Louvre / Paris

Il y a des jours où l'on doit faire appel à une grosse dose d'imagination. Des jours où, levant les yeux de sa lecture, on est saisie par un curieux vertige : assise devant la forêt, observant les busards trembler et les rouge-gorges réclamer, emmitouflée dans un plaid de lainage épais, on vient de quitter un livre qui parle d'une écrivaine s'envolant vers Athènes en plein mois d'août et qui craint que son hôtel en ville ne bénéficie d'aucune brise marine, rien pour l'aider à affronter la canicule annoncée. 
Comme pour les vêtements, on devrait toujours veiller à emporter des romans de saison.

samedi 11 décembre 2021

Vivre : dermato logiques

 
Portrait d'homme / Fayoum / Kunsthistorisches Museum / Wien
 
Ce mec-là : franc, direct, avec un bel accent. Bourru, oui, certainement. Et taiseux, pas un mot de trop. Et pas franchement chaleureux, évidemment. Mais providentiel, assurément.
Alors que nombre de ses collègues, probablement attiré/es par la chirurgie dite esthétique, nez en trompette, et facturations adéquates, répondent que non, non désolé/es, ils ou elles sont surchargé/es, pas le temps pour ce genre de dysfonctionnement (entendez : ce cancer, mélanome ou carcinome, un de ces phénomènes fortement désappointants)
Alors que, dans certaines salles d'attentes, on se croirait dans des salons, avec promotion de produits au coût plutôt élevé, et, diffusées sur écrans plats, des propositions d'interventions ultra nécessaires (quoi ? vous ne saviez pas qu'avec ces rides d'expression-là le succès ne serait pas au rendez-vous ? que votre bonheur dépendait de votre lissage frontal ? qu'il y avait entre vous et la séduction un méchant sillon horizontal ?)
Alors qu'on a connu de ces docteurs et doctoresses spécialisé/es en dermatologie collaborant avec des palaces lémaniques (un séjour de quelques nuits, tout compris, et vous pouviez rentrer parfaitement transformé/e dans votre pays)
lui, sobrement, affirme : "On ne fait pas le même métier". Tout est dit.
Même cursus, même formation, même spécialisation. Mais certainement pas les mêmes revenus ni la même conception d'un fameux serment attribué à Hippocrate, pourtant prêté dans un même élan. C'est pourquoi à l'approche des Fêtes sa salle d'attente est pleine à craquer et il est inondé de chocolat, ce mec-là.

vendredi 10 décembre 2021

Vivre : priorité

 
Portrait d'Elisabeth Bellingshausen / Bartholomäus Bruyn / Mauritshus / Den Haag

Premier devoir :
douceur envers soi
et patience et indulgence
(le reste suivra)

jeudi 9 décembre 2021

Vivre : la forêt, un matin

 

Mettre mes pas dans les sillons suivis par le chien. Entendre les feuilles craquer à notre passage (étonnant comme la musique de nos pas peut être dissemblable). Joyeux tamtam à deux sous les flocons qui ébauchent, heureux, de folles cabrioles. Traces de renards, traces de gibier traqué, traces légères et perlées de quelques tourterelles esquissant une tarentelle. Trainées de larmes amères des feuillus que la nuit a malmenés. Lourdes gouttes blanches projetées par de vieilles branches. Mystérieux zigzags dans les étendues grisées.
 
 
 

La forêt impose son silence, c'est-à-dire qu'elle bruisse de mille babils, grésillements, battements, gazouillis. Claquements, écoulements, cliquetis. Benêt qui croit la forêt mutique, elle qui n'a cesse de scander qu'elle est en vie. L'essence même de la vie : pure énergie. Langoureux s.o.s de troncs malmenés. Cris stridents, longs avertissements, tous les habitants sont au courant de notre randonnée.

Suivant le sentier, nous parvenons au refuge, pauvre cabane résignée que les festivités ont abandonnée. Nous hésitons à quitter ce monde monochrome où nous nous sentons si bien, protégés de toutes sortes de folies. Nous temporisons : quoi déjà terminée, cette balade qu'il nous semble à peine avoir commencée ? Nous oscillons encore un moment. Enfin, la vision d'une table généreusement décorée parvient à nous raisonner. Avec un soupir, nous nous détournons de ce monde noir et blanc pour rejoindre notre déjeuner mandarine, orange, kaki, groseille et saumon.


mercredi 8 décembre 2021

Vivre : savoir gré

 
Annonciation / Francesco di Valdambrino / Rijksmuseum / Amsterdam
 
Rien de définitif, rien d'assuré.
Aucun dû. Dès lors...gratitude.


mardi 7 décembre 2021

Vivre : maladresses

 
Portrait de famille (détail) / Cesare Vecellio / env. 1540 / Musée Correr / Venise

Comme une pluie drue sur la neige à peine tombée, la parole imbécile sur la joie de l'enfant et sa belle ingénuité.

lundi 6 décembre 2021

Vivre : déclarations et autres obligations

 
 
Non, non, non, ciel, mon beau ciel, cesse tes pitreries - finies les facéties - arrête de faire ton intéressant : j'ai aujourd'hui une longue liste de choses à accomplir, qui ne peuvent pas attendre, des choses fastidieuses reportées depuis trop longtemps, qu'il s'agit de finir, qui t'ennuieraient à mourir, alors cesse de me distraire. Pas question de voltiges, ni de rêveries, pas question de vertiges et d'emportements, pas question d'être dans la lune ou dans le brouillard. Aujourd'hui, ô misère, il faut s'atteler à des démarches très terre à terre.

dimanche 5 décembre 2021

Vivre : luxes

 
Peinture Pompei / Museo Archeologico Nazionale / Naples
 
La fille, une jeune femme peut-être, penchée, un genou à terre, s'était accroupie entre deux rayons. De son étrange bonnet en laine sortaient de longues mèches blondes, très blondes qui tambourinaient comme des baguettes sur ses épaules. Elle restait songeuse et absorbée, toute à son affaire, négligeant tout ce qui autour d'elle aurait pu la distraire. Elle avait rassemblé devant elle, dans un grand panier, des boules de toutes les couleurs. Elle les considérait, pensive, les comparait, manifestement désireuse de trouver un assemblage du meilleur effet. Dans son attitude, bambine un peu solitaire,  quelque chose de doux et de déterminé. Dans sa silhouette, rêveuse écolière, quelque chose évoquant des jeux perdus qu'on voudrait retrouver. 
Le magasin n'était pas bon marché : il devait y avoir l'équivalent d'une bonne journée de travail dans le panier. Mais le luxe de la fille ne résidait pas dans ces parements. Son luxe, c'était le temps qu'elle se donnait, cette présence à ce qu'elle faisait, cette attention à ce qu'elle voulait parfaire (une déco d'anniversaire ? un arbre de Noël ? une fête particulière ?). Son luxe résidait là, dans sa bulle de bonheur, dans ce moment tout à elle que rien ni personne ne pouvait lui soustraire.
 

samedi 4 décembre 2021

Voyager / Vivre : l'esprit d'un lieu

 

Il y a des lieux paisibles, des lieux où l'on revient, et on a besoin d'y revenir, c'est indispensable : on s'y sent terriblement bien. Comme une fracture dans la suite des jours, comme un interstice dans l'enfilade des moments ordinaires. Tout à coup, on respire autrement, profondément, à pleins poumons, une paix étrange nous envahit. On se demande : à quoi cela tient-il ? Quelque chose dans l'air ? Quelque chose que notre corps au travers de toutes ses fibres peut identifier, mais que notre mental balourd peine à expliquer ? Quelque chose qui peut remonter à des centaines, des milliers d'années. On reste pensif tout en admettant ce mystère. Dans ce lieu autrefois quelque chose a pu se dérouler, un fil invisible nous relie à une histoire que nous ne connaissons pas. Quelque chose nous dépasse et nous laisse sans voix. Nous restons en silence écouter les pulsions légères, de plus en plus légères de notre respiration. On ne sait pas pourquoi. On ne saura jamais. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on reviendra. On fera des kilomètres - peu importe - pour retrouver cet endroit.

vendredi 3 décembre 2021

Vivre : cueillir le jour

 

Se lever au matin après la tempête. Observer au loin les nuages épais. Entendre le vent hurler,
un oiseau se lamenter, un camion refusant de démarrer. Et le froid pénétrant le moindre interstice. 
Saisir la roseur d'un moment passager. Un seul instant, fugace, incontournable, à ne pas manquer.


 

jeudi 2 décembre 2021

Vivre : les conclusions de l'enquête

 

Levant les yeux, je repensais à ce que je lui avais dit : "Il croit qu'on a assassiné son fils, il voudrait tant que cela lui soit prouvé, parce que cela allègerait son immense sentiment de culpabilité". Toutes les morts de ceux qu'on aime sont cruelles et génèrent une sensation de responsabilité, mais celles que certains ont choisi de se donner déchirent et culpabilisent de manière décuplée.
Dans le silence qui a suivi, il y avait de la peine, une immense peine pour cet hiver si violent, pour ce père privé de son enfant, pour tous ceux qui perdent intensément et ne peuvent se résoudre au fait que plus rien, jamais, ne sera comme avant.  
 

mercredi 1 décembre 2021

Vivre : Still life / 107

 

Samedi dernier, l'émission 28 minutes sur Arte accueillait la nouvelle secrétaire générale d'Amnesty International, la tenace Agnès Callamard, nommée en mars dernier. Celle-ci a eu le mérite d'élever le débat, et dieu sait si la télévision en a besoin, même quand elle se veut consciencieuse dans sa mission d'informer. 
Quand on lui a demandé s'il lui arrivait d'avoir peur en recevant des menaces, A.C. a répondu : "Je n'ai pas peur. Je n'ai pas peur parce que je suis privilégiée. Je n'ai pas le droit d'avoir peur, quand on voit ce que d'autres font qui sont sur la ligne de front". L'ONG qu'elle dirige a le mérite de lutter, jour après jour, et en nous invitant à ne pas abandonner aux oubliettes une multitude de personnes profondément estimables, elle nous invite aussi à ne pas oublier nos privilèges, nos immenses privilèges, perçus trop souvent comme allant de soi. 
A l'approche de Noël, ces lumières : des présences toujours plus nécessaires.