mardi 31 décembre 2024

Vivre : la renaissance

 


 M'illumino d'immenso
Je m'éblouis d'infini
 
Mattina / Giuseppe Ungaretti (traduction Philippe Jacottet)

Comme le monde était beau hier au bout du Léman !
Le meilleur de la lumière, c'est ce qu'on en attend.


Vivre : à l'infini, les branchages

 


L'année s'achève dans une froidure, 
qui, loin d'agresser ou d'exclure, 
diffuse un magique sentiment de sécurité. 
On quitte les feux, les artifices et les cafés.
On délaisse les mots, les cris, les huées.
On monte ici comme dans une cathédrale
pour élever son regard, deviner les étoiles.
Trouver la Beauté. Apprécier. Se recentrer.

Vivre : tri sélectif

 
 
Madone avec enfant entre deux saintes (détail) / Giovanni Bellini / Accademia / Venezia
 
 Le bonheur diffuse de bonnes ondes. L'aigreur irradie des charges négatives.
Porter toujours en soi des capteurs d'énergies, si salutaires.
(et ne pas oublier qu'un paratonnerre est parfois nécessaire)
 
 

lundi 30 décembre 2024

Voyager / Lire : le portrait d'un ami

 
Chambre 340
 
Notre ville ressemble, nous nous en apercevons maintenant, à l’ami que nous avons perdu et auquel elle était chère. Elle est, comme lui, laborieuse, renfrognée dans son activité fébrile et têtue, et en même temps elle est nonchalante et encline à l’oisiveté et au rêve. Dans cette ville qui lui ressemble, nous sentons revivre notre ami partout où nous allons ; à chaque coin de rue et à chaque tournant, il nous semble que puisse soudainement surgir sa haute silhouette, avec son manteau sombre à martingale, son visage enfoui dans le col, son chapeau rabattu sur les yeux. Notre ami arpentait la ville de sa longue foulée, têtue et solitaire;...

En 1957, Natalia Ginzburg publia un texte intitulé Ritratto di un amico (Portrait d'un ami) dans la revue Radiocorriere. Par la suite, ce texte fut rassemblé avec d'autres dans un recueil : Le piccole virtù. C'est un livre que j'adore lire et relire, sans doute le plus autobiographique de l'écrivaine disparue en 1991, dont j'avais déjà parlé ICI.
 
Ritratto di un amico est en réalité un double portrait : il évoque tout à la fois l'écrivain Cesare Pavese et la ville de Turin, où il a presque toujours vécu. Ils ne sont ni l'un ni l'autre expressément nommés dans ce texte sensible. L'autrice et son ami appartenaient au même groupe d'intellectuels turinois qui avaient lutté contre le fascisme et écrit sur des  thématiques essentielles, intimes, souvent mélancoliques portées par un style simple et imagé. De Cesare Pavese on connaît le plus souvent l'ensemble de poésies dénommé Lavorare stanca et son  journal posthume : Il Mestiere di vivere. 1935.1950. La dernière phrase de ce journal date du 18 août 1950. L'auteur y a noté : non scriverò più. Je n'écrirai plus.
L'écrivain s'est donné la mort le 27 août dans un hôtel turinois au cœur de l'été, quand la ville était déserte et que tous ses tourments avaient pris le dessus.

En réservant notre chambre, dernièrement, j'ai choisi quelque chose de confortable et de central et, en découvrant au fond d'un long corridor, notre suite immense nous nous sommes exclamés : "Quelle classe! L'endroit idéal pour se mettre au patin à roulettes!" C'était sobre, élégant, et le parquet craquait. Du dehors, sur la place devant la gare centrale, nous parvenaient tour à tour les sons amortis des klaxons et des voix qui se répondaient. En admirant ces lieux qui inspiraient une paix immuable, sans m'en rendre compte, je résistais à un petit message subconscient. Tout le long du séjour, j'ai réfuté la possibilité que le message deviennent une pensée. 

En rentrant, il me restait tout de même une chose à vérifier. Oui, mon intuition était juste : c'était dans la chambre 346, dont la porte s'est avérée être juste en face de celle de notre chambre, que Cesare Pavese " en un mois d'août torride" s'est allongé après avoir absorbé dix sachets de somnifères. La petite chambre (un lit individuel) a été gardée telle quelle, en sa mémoire. Quant à l'hôtel, il a changé entre temps de nom. Je suis restée émue et pensive.
 
L'esprit des lieux, je l'ai déjà écrit, ne cesse de me travailler. Je suis persuadée que les lieux renferment les empreintes de ce qui s'y est déroulé et que nous devrions être attentifs à tous les messages portés par nos sens à leur sujet. Durant tout mon séjour, l'hôtel m'a inspiré le plus grand respect par son élégance discrète et racée. Au petit-déjeuner, curieusement, j'avais trouvé que les clients manquaient de dignité et de maintien. C'était très inhabituel comme pensée, tellement étrange que je l'ai tout de suite - et pour quelques heures - refoulée.

Je viens de relire "Ritratto di un amico". Natalia Ginzburg cite à la fin du texte quelques vers de son ami :

Chaque regard retrouvé garde un goût
D’herbe et de choses imprégnées de soleil,
Au soir sur la plage. Garde une haleine de mer.
Cette ombre vague, de craintes et de frissons anciens,
Est comme une mer nocturne, que le ciel effleure,
Et qui, chaque soir, revient. Les voix mortes
Ressemblent à l’écume de cette mer.


Ogni occhiata che torna, conserva un gusto
di erba e cose impregnate di sole a sera
sulla spiaggia. Conserva un fiato di mare.
Come un mare notturno è quest’ombra vaga
di ansie e brividi antichi, che il cielo sfiora
e ogni sera ritorna. Le voci morte
assomigliano al frangersi di quel mare.
 
Cesare Pavese / dernière strophe de "Paesaggio VIII" / "Poesie aggiunte / "Lavorare stanca " / Einaudi T Torino / 1998 
 
   
Merci aux éditions Ypsilon pour avoir publié l'intégralité du récit "Portrait d'un ami" de Natalia Ginzburg


dimanche 29 décembre 2024

Vivre : Still life / 159

 
 
Ce soir, ce sera pizza. La pâte si simple à préparer. La sauce tomate maison si belle à étaler. Sur cette base, être libre de disposer les garnitures désirées : mozzarella, gorgonzola, olives, câpres, artichauts, jambon, thon ou anchois. Sans oublier l'origan, l'oignon, le basilic ou l'ail. Napolitaine ou romaine, hérétique ou pas, qu'importe. Ce qui compte, c'est d'aimer la réaliser et la déguster avec joie. Je réalise que ma manière  de préparer ma pizza ressemble furieusement à ma manière de concevoir les fêtes de fin d'année, de les vivre et de les expérimenter. Quelque chose de personnel, aucune recette toute faite, un ou deux trucs picorés ça et là. L'essentiel est qu'elle soit réalisée avec des ingrédients de premier choix. Et s'il y a des restes, demain, c'est en apéritif qu'on les consommera.
 

samedi 28 décembre 2024

Voyager : la densité d'une ville

 


Dans la grande ville qu'on dirait dessinée à la règle par un géomètre appliqué, dont le centre s'appelle "quadrilatère" comme si rien ne pouvait consentir à la moindre courbe dans ce monde de rectitude et d'austérité, la foule allait et venait guidée par les lumières qui une à une s'allumaient, offraient aux places une perspective invitant à s'évader..


Dans une ville, il y a tant  de villes. Celles des pâtissiers éblouissants et des musées alléchants. Celles des  vitrines aguicheuses et glaçantes où l'on ne se sentira jamais autorisé à mettre les pieds. Celles des exposants de pacotilles qui ne tiendront pas jusqu'à l'été. Un funambule se tenait en équilibre au-dessus d'un croisement. On aurait dit qu'il veillait à rassembler tout ce qui n'était pas appelé à se ressembler. Difficile exercice que celui de faire entrer un cercle dans un carré, difficile dans un monde où tourner rond relève de la plus grande dextérité.

Le temps d'un bref aller-retour, une ville peut renfermer un concentré d'expériences. Nous l'avons parcourue en long et en large jusqu'à en avoir les membres fourbus. Nous avons sillonné sans parvenir à en faire le tour son immense marché avec sa clientèle bigarrée."Certains disent qu'on est à Marrakech. Ici, c'est un autre monde." a lancé une femme en nous indiquant l'arrêt du tram numéro 4, dont la ligne constitue une colonne vertébrale en traversant la ville de part en part. Nous nous sommes mêlés aux flots soutenus des habitués, des flots où s'entremêlaient toutes sortes d'attirances et de frustrations, où chacun revendiquait tant bien que mal son droit à consommer.

Dans les artères du centre relativement peu de gens se promenaient munis de sacs et de sachets, mais l'essentiel était sans doute d'y être, d'avoir l'illusion d'en faire partie et de pouvoir y accéder. Il y avait ceux qui faisaient la queue pour pouvoir prendre place dans d'historiques cafés, et ceux qui, ne pouvant pas se payer le moindre café, convoitaient un abri où s'installer.


C'est dur. C'est cruel une ville dans la nuit de décembre, quand la violence fait rimer Dior et Gucci avec sans-logis. Devant la cathédrale, un groupe évangélique jouait une musique entraînante, entonnait des chants qui appelaient à s'aimer. De bons musiciens, des chanteurs bien intentionnés. Un jeune homme - un gamin - m'a tendu un billet. Quelques mots sur l'espoir et la solidarité. Il a dit : "Que dieu vous bénisse" avec des yeux implorants qui demandaient à faire croire autant qu'ils croyaient. Tout le long des arcades, des hommes, des femmes, des chiens, quelques migrants s'étaient couchés. Ils s'enroulaient dans leurs couvertures entassées. Un couple dans un coin se  partageait une portion de cannelloni et ils souriaient d'un sourire édenté dans le bonheur d'être réunis et de pouvoir manger.


Il y a plusieurs villes dans une ville. Une ville est un être vivant, un monstre en constant mouvement. Une ville est un être vivant pourvu d'une personnalité : elle contient mille facettes qu'il s'agit d'apprivoiser sans jamais pouvoir être certain d'y arriver.
 
 

vendredi 27 décembre 2024

Vivre : au coeur de l'hiver

 

Tu ressens enfin le froid de l'hiver ?
un froid qui te paralyse les doigts ?
tiens-toi en éveil : le printemps se prépare déjà.
 


jeudi 26 décembre 2024

Vivre : pas compliqué

 
Ocean Drive West #1 /Helen Frankenhalter / Helen Frankenthaler Foundation /NY
 
 
Tu cherches encore et encore la solution ?
Sans hésitation: va vers la simplification.
 
 

mercredi 25 décembre 2024

Ecouter : quand Barbara lit

 

 
Depuis la rentrée 2023, Marie Richeux a repris les rênes du Book Club et parmi la variété des propositions, la série Dans la bibliothèque de... me ravit. Le principe est simple : un ou une invité/e issu/e du monde de la culture ouvre les portes de sa bibliothèque (une bibliothèque réelle, qui se déploie dans plusieurs pièces, quand la personne reçoit chez elle ou parfois virtuelle, quand elle emmène quelques livres en studio). Pour cette occasion, elle choisit cinq livres qui l'ont particulièrement marquée au cours de sa vie.  
Ces émissions à thème permettent de découvrir une personnalité hors de son cadre habituel de représentation. Elles donnent aussi l'occasion d'appréhender des livres autrement car c'est une chose d'entendre un/e écrivain/e parler de son œuvre tandis qu'il en fait la promotion et une autre d'écouter une personne lectrice parler de ce qui a résonné en elle.
 
Dernièrement Barbara Pravi s'est livrée au jeu avec passion. Jusque là, cette chanteuse  avait toujours un peu tendance à m'agacer : elle me semblait parler vite, trop vite, elle utilisait trop de mots, elle avait d'insupportables tics de langages (sa manière de prononcer "hyper" à chaque détour de phrase!). L'autre jour, pourtant, elle a présenté des livres que j'aurais plébiscités (la Plus que vive, mon livre préféré de Christian Bobin; L'Arte della gioia, le livre que Goliarda Sapienza a mis plus de vingt ans à faire publier). 
 
Elle a aussi choisi un texte tiré de Sorcières, de Mona Chollet, une essayiste qui développe une œuvre en dehors des modes et des bien-pensances offrant des pistes pour réfléchir en toute liberté quel que soit le sujet. Pour l'invitée du jour, ce texte a été son "premier pas vers le féminisme". "Une proposition de pensée".
Quand un homme en milieu de vie échange sa compagne contre une plus jeune, cela peut jeter le doute, rétrospectivement, sur les motivations qui l'ont fait rester dans cette première relation. La femme quittée peut se demander s'il n'avait aimé en elle que sa jeunesse, s'il n'appréciait pas avant tout les services rendus, ainsi que le statut que lui donnait le couple et la paternité.
Mais surtout une question se pose : et s'il ne pouvait aimer qu'une femme qu'il domine ? Car ce schéma implique une double violence : à l'égard de l'épouse délaissée, mais aussi, de manière plus feutrée, à l'égard de la nouvelle compagne.
Lorsqu'il évoquait sa relation avec Soon-Yi Prévin, Woody Allen précisait ne pas considérer l'égalité comme un prérequis dans le couple." Parfois l'égalité dans une relation est formidable, mais parfois aussi c'est l'inégalité qui fait que ça marche."
Même si le déséquilibre n'est pas toujours massif et s'il n'est heureusement pas toujours recherché de manière délibérée, la différence d'âge augmente la probabilité que l'homme ait l'avantage sur au moins un de ces plans :  social, professionnel, financier, intellectuel. Dès lors ce que recherchent certains hommes, ce n'est pas tellement un corps féminin jeune, que ce qu'il dénote : un statut inférieur, une expérience moindre.
L'émission s'est terminée au son de la Pieva, chanson-titre du dernier album de Barbara Pravi, qui fait allusion aux migrations et aux histoires rocambolesques de sa famille.
 
C'est beau de se sentir en réelle proximité avec quelqu'un qu'on ne connait pas, qui vit à des années lumières de soi, par le simple fait que cette personne aime lire ce que l'on aime. Aimer les mêmes livres, c'est peut-être avoir la même vision fondamentale de l'existence. On devrait penser à faire parler les gens sur les livres qu'ils préfèrent à chaque fois qu'un ange passe (et en cette saison, les anges ne vont pas manquer de s'inviter...)
 

mardi 24 décembre 2024

Vivre : Rilke dans la ville

 

 
Noël est le jour le plus calme de l'année, Tu peux entendre tous les cœurs aller et battre comme des horloges qui indiquent les heures du soir  écrivait Rilke il y a plus d'un siècle. Hier la ville était belle sous le soleil, belle et remplie de gens qui se pressaient, sans se blesser, se réjouissaient, sans se bousculer. Des passants marchaient, se dirigeaient vers leurs maisons ou les maisons de ceux qui les attendaient. Ils portaient des sacs et on se demandait ce que ces sacs contenaient, de quoi ils étaient chargés, lesquels étaient lourds et lesquels étaient légers. Il y avait une multitude de visages, dont les lèvres se mouvaient, les yeux se plissaient. Parfois sur un visage la gravité ou la conscience d'une solitude s'affichait. Le mendiant  assis sous un porche protégeait son chat sous une couverture mitée. Une femme longue et maigre avec un enfant très maigre avait tiré d'un coup exaspéré la laisse de son chien aussi maigre qu'elle et son enfant et ils se dirigeaient à pas saccadés vers un quai impatient de les voir arriver. Certains portaient des habits tout neufs avec fierté, et certains autres marchaient dans des souliers usés. Sous des bâches blanches, les maraîchers vendaient leurs légumes, toujours les mêmes légumes, avec sérénité, hors de question de ne pas prendre tout le temps nécessaire pour échanger. Hier, la ville était belle, remplie de tous ces gens vivants qui vivaient, un samedi presque pareil à tous les samedis, mais c'était avéré : on pouvait entendre les cœurs battre comme des horloges tandis que midi sonnait.
 
 

Weihnachten ist der stillste Tag im Jahr,
da hörst Du alle Herzen gehn und schlagen
wie Uhren, welche Abendstunden sagen:
Weihnachten ist der stillste Tag im Jahr,
da werden alle Kinderaugen groß,
als ob die Dinge wüchsen die sie schauen,
und mütterlicher werden alle Frauen
und alle Kinderaugen werden groß.


Da mußt du draußen gehn im weiten Land
willst du die Weihnacht sehn, die unversehrte
als ob dein Sinn der Städte nie begehrte,
so mußt du draußen gehn im weiten Land.
Dort dämmern große Himmel über dir
die auf entfernten weißen Wäldern ruhen,
die Wege wachsen unter deinen Schuhen
und große Himmel dämmern über dir.
Und in den großen Himmeln steht ein Stern
ganz aufgeblüht zu selten großer Helle,
die Fernen nähern sich wie eine Welle
und in den großen Himmeln steht ein Stern.

Für Clara Rilke, Weihnachten, 1901
(in : Weihnachten naht, Rainer Maria Rilke, Suhrkamp-Insel, Berlin, 09.2024 / précédemment : Insel, Berlin, 1902)
 
 
Noël est le jour le plus calme de l'année, 
Tu peux entendre tous les cœurs aller et battre
comme des horloges qui indiquent les heures du soir :
Noël est le jour le plus calme de l'année, 
les yeux de tous les enfants grandissent,
comme si les choses qu'ils regardent grandissaient,
et toutes les femmes deviennent plus maternelles
et les yeux de tous les enfants grandissent.

Tu dois t'élancer dans la vaste campagne
où tu verras Noël, demeuré intact
comme si ton esprit n'avait jamais désiré les villes,
alors tu devras t'élancer dans la vaste campagne.
Il y a un ciel immense qui s'élève au-dessus de toi
qui repose sur des forêts blanches lointaines,
les chemins s'étendent sous tes pas
et un ciel immense se lève au-dessus de toi.
Et dans le ciel immense il y a une étoile
pleinement épanouie avec une luminosité rare,
ce qui est éloigné se rapproche comme une vague
et dans le ciel immense se tient une étoile. 
(traduction personnelle et très approximative)

lundi 23 décembre 2024

Vivre : des heures et des heures de tempête

 

Firenze / ponte Santa Trinita


miraculeusement, c'est juste un peu avant, sur le chemin, tandis que, tentant tant bien que mal d'avancer à contre-vent, alors que mes pas inopérants me faisaient faire du surplace, comme un Charlot ridicule et impuissant, que j'avais pensé aux sculptures triomphantes sous un soleil florentin, sobres et tranquilles, impassibles et splendides, miraculeusement, deux minutes auparavant, face à la tempête, les images du ponte Santa Trinità avaient illuminé mon matin, et puis dans la foulée, à peine avions-nous franchi la porte de la maison, une déferlante de grêle féroce s'était abattue sur la région et toutes nos visions


dimanche 22 décembre 2024

Vivre : la bonne préposition

 
 
Elévation de Marie Madeleine / Maestro della Maddalena / Pinacothèque / Ferrare
 
Les jours bénis tout semble aller de soi.
Les jours pénibles tout semble aller contre soi.
Tout l'art des jours consiste à avancer pour soi.
 

samedi 21 décembre 2024

vendredi 20 décembre 2024

Vivre : l'hivernation

 
 
Ce matin à l'aube on a découvert une fine pellicule de neige sur la terrasse. Les toits étaient tout pâles, les arbres transis, le ciel indécis. 


Ici, contrairement aux villes, à mesure que les fêtes approchent, les rythmes s’affaiblissent, les sons s'amortissent, les échanges se rapetissent.


Les silhouettes se font de plus en plus discrètes. Souvent, un geste, un seul un signe de tête.



La forêt jubile à petits cris. Un oiseau croasse. Une branche se casse. Le chien hume et trace. 
 

 
Dans cet univers lent et figé survient, comme un envol, à contre-temps, la naissance d'une idée.
 

Vivre : les avancées souterraines

 
Firenze / ponte alla Carraia
 
Curieux, cette année, comme on a eu envie - ou besoin - d'arriver au solstice, comme si l'on était pressée de clore pour atteindre une trêve. On se surprend à entamer le bilan de façon prématurée et inhabituelle. Ce fut une année où l'on a cherché à opposer silence et authenticité à un monde ressenti comme sombre et ravagé. Ce faisant on réalise qu'on a accompli pas mal de choses durant les douze mois écoulés. Beaucoup de choses, mais aucune réalisation spectaculaire. Rien qui puisse apparaître comme remarquable ou conquérant. Des choses modestes, des choses si simples qu'on n'aurait même pas songé à les relever durant les précédentes années.
On a réaménagé une chambre, tout y a pris sa place avec évidence dans un mélange de lumière et de clarté. On s'est procuré le nécessaire, on a exclu le superflu, il en est ressorti toutes sortes d'énergies, des énergies qu'on fait circuler dans le sens de l'harmonie. On réalise qu'on n'a pas ouvert la plus petite boîte de conserve, et qu'on a dévissé un nombre vraiment dérisoire de bouteilles en polyester. On n'a connu aucun jour de maladie et très peu fréquenté les pharmacies. Et ainsi de suite, la feuille se remplit de multiples points lumineux et gagnants, qui tendent tous vers la même direction : une stabilité à laquelle on aspirait, un mental préservé, des refus d'entrer dans des danses où l'on n'a aucun goût à tourner. 
S'ajoutent la découverte miraculeuse de personnes inspirées, la compagnie des arbres et l'évitement des sentiers balisés, des moments où l'on s'est auto congratulée.
Parmi les cadeaux reçus : les luxes absolus de l'espace et de la lumière, le gazouillis d'une rivière, les notes de musiques souveraines, des textes et des mots qui nous étaient nécessaires. On a laissé partir ceux dont les présences ne faisaient plus sens, on a accepté les sourires qui remplaçaient ces absences. On a trouvé son port, que l'on regagne à chaque retour d'îles secrètes et florissantes, d'où l'on regarde (de très loin) les Costa Croisières en partance. 
Une année, on le sait, n'est ni bonne ni mauvaise. Une année est ce que l'on en fait, et c'est ce qu'on en fait qui lui donne sa consistance.
 

jeudi 19 décembre 2024

Vivre : tout ce que nous avons

 
annonciation / Simone Martini / Gallerie degli Uffizi / Florence
 
 
 Tendre vers la reconnaissance, savoir apprécier.
Sans intention, sans aucune attente de bienfaits.
Pas dans un rapport intéressé. Juste : savoir gré.


 

mercredi 18 décembre 2024

Vivre : les besoins des gens

 
Scènes de la vie de Saint-Matthieu / prédelle / Orcagna / Galleria degli Uffizi / Firenze
 
En pénétrant dans ce débit de tabac pour se procurer quatre tickets d'autobus, on est frappée par le nombre de gens dans une si petite boutique : un couple assis dans un coin à une table ronde, trois clients debout, deux autres occupés avec la buraliste. Et toutes ces personnes comme aimantées par une télévision fixée à l'une de parois. On se demande quel match peut se dérouler en semaine à cette heure de la journée. Du football ? Une coupe de tennis qu'on aurait négligée ? Pas un couronnement, tout de même ? Ni l'enterrement d'une tête couronnée ? En attendant que les tickets soient imprimés, on lève la tête et l'on aperçoit le tirage silencieux d'une loterie. Difficile de décrire les visages scotchés au poste, porteurs d'espoir crispé et d'attente fébrile. Difficile d'imaginer combien de frustrations et de défaites tiennent au fil des numéros qui l'un après l'autre s'affichent en rouge à l'écran. 
Dans un même mouvement, et très très légèrement, les têtes s'abaissent, les épaules s'affaissent, comme une reddition, et sept silhouettes s'en vont l'une après l'autre retrouver la grisaille des jours ordinaires que le soleil criard ne sait défaire.
 
***
 
A la caisse de la librairie Feltrinelli, au cœur de la ville sertie de mille illuminations, le vendeur s'est mis à nous parler. Il nous a expliqué que son fils footballeur avait failli être engagé par un club de Lugano, lequel lui avait proposé 200'000 francs suisses par année, mais que le jeune a refusé le contrat parce qu'il exigeait aussi un appartement et une voiture de fonction et qu'on les lui avait refusés.
En sortant, R. m'a demandé : tu crois qu'il se moquait de nous ? J'ai hésité. Peut-être. Peut-être pas. Mais à vrai dire, je m'en fichais un peu, du type et de ce qu'il nous avait raconté. Les histoires de football ne sont pas ma tasse de thé. J'étais entrée pour un livre et je l'avais trouvé. En revanche, cette librairie est située au centre des rues marchandes les plus chics. C'est un lieu habituellement clinquant, mais encore plus clinquant à l'approche de Noël, quand, entre les berlines avec chauffeur et les enseignes de luxe, entre les chiffres annoncés et les cartes dégainées, on aurait aisément le sentiment d'être secoués comme dans une boule de neige et dans ces conditions il y avait probablement de quoi perdre tout sens de la mesure, perdre la tête, perdre ses facultés et perdre enfin toute notion des réalités.


mardi 17 décembre 2024

Voyager : à contre-courant

 
 via Santo Spirito / Florence
 
Tu non sei nel traffico. Tu sei il traffico. 
(Tu n'es pas pris dans le trafic. Tu ES le trafic) 
 
En découvrant ce graffiti sur un mur de la ville, tandis que les conducteurs de taxis, de trottinettes, de voitures et de bus klaxonnaient, s'invectivaient, s'impatientaient, se bloquaient les uns les autres avec une belle dextérité, je me suis dit que cette ville merveilleuse, crasseuse, chaotique, sublime, bruyante, vulgaire et classieuse, devait être l'antichambre de l'enfer pour ses habitants plusieurs mois par année. Le surtourisme y est régulièrement dénoncé et il l'a été encore avec force en novembre dernier. Les locaux n'en peuvent plus. Même la basse saison connaît des pics d'intensité. Le centre se vide de ses habitants. Les  étudiants natifs se découragent et partent poursuivre leur formation dans des centres urbains plus abordables, comme Padoue ou Turin. Il y a non seulement les nuisances sonores et atmosphériques, mais également les conséquences financières : le coût d'un sandwich atteint des montants que leurs bourses ne leur permettent pas. Mais apparemment ces ras-le-bol répétés restent lettre morte. On leur oppose à chaque fois le droit sacro-saint du libéralisme à se développer et on brandit la menace de places de travail supprimées. Il en va ainsi un peu partout en Europe, dont les "solutions" trouvées par les principales villes ressemblent davantage à des supra solutions qu'à des moyens efficaces de faire face, en ces places où les extrêmes se côtoient et où l'argent finit par exclure avec férocité. 
 
 
Giuseppe presenta al faraone il padre e i fratelli / Francesco Granacci / Gallerie degli Uffizi
 
Et pourtant... l'éblouissante galerie des Offices... les églises de la Renaissance... Giotto, Masaccio, Botticelli...l'art sous toutes ses formes... les échos de l'Histoire... l'éclat de la lune taquinant l'Arno dans le noir... Car c'est le soir - pas la nuit - le soir quand la plupart des gens s'apprêtent à s'attabler que la ville s'apaise, acquiert une épaisseur et une présence particulières. C'est le soir que s'allument mille lumières. Les carrousels s'immobilisent. Les gens fatigués s'empressent de rentrer. Alors des musiciens s'installent et entament leurs mélodies. Ainsi la piazza Santa Trinità devient un lieu où se donnent des concerts à ciel ouvert. Les passants ralentissent, les conversations se suspendent tandis que leur parviennent des notes de Verdi, Haendel ou de Morricone. Un apaisement recueilli occupe peu à peu l'espace, déferle sur les façades, pleut sur les statues, ruisselle sur les pavés. On dirait que la ville redevient elle-même, hors du temps, des modes et des saccages.
 



Ponte Santa Trinità
 
Avec le temps, on finit par tirer des leçons. On met au point une méthode destinée à survivre aux marées et aux débordements. On contourne. On esquive. On zigzague. On va à contre-courant. On se met à contre-temps. On opère des détours. On repère les lieux magiques que les guides ignorent. On s'en va débusquer le calme là où il a su se terrer. Enfin... enfin... grâce à ces techniques, on jouit  avec délices de la ville des Médicis.

Giuseppe presenta al faraone il padre e i fratelli / Francesco Granacci / Gallerie degli Uffizi (détail)

lundi 16 décembre 2024

Voyager / Manger : comme là-bas, cuire et recuire

 
  Photo tirée du net

Il me serait impossible je crois de partir en Toscane (sept heures de route sans imprévus), de marcher là-bas  tout au long de la journée en visitant villes et musées, de m'adapter à des chambres et à des rythmes inhabituels si je ne pouvais compter sur une nourriture de qualité, à la fois digeste et roborative. Parmi tous les trésors de la tradition culinaire toscane, essentiellement paysanne, les soupes jouent un rôle de premier plan. Il y a la panzanella, la pappa al pomodoro (toutes deux plutôt estivales) et il y a surtout la ribollita. C'est une soupe assez similaire au minestrone, sauf que dans ce dernier on tendrait à mettre des pâtes à la place du pain rassis et des légumes tels que courgette, choux-fleur ou petits-pois à la place du chou noir toscan et du chou frisé. 
Ces soupes épaisses mangées en entrée, mais qui peuvent tenir lieu de plat unique, enchantent le palais. On en trouve dans tout restaurant ou osteria qui se respecte et elles offrent le double avantage d'être saines et bon marché. Un de mes blogs de cuisine préférés, Un déjeuner de soleil, animé par la dynamique Edda, en présente une version très convaincante.
Durant tout l'hiver, il m'arrive d'en consommer quotidiennement en appliquant ma recette personnelle, qui n'a rien de vraiment orthodoxe, mais présente l'atout majeur de se préparer rapidement et de recycler tous les légumes à disposition dans la cuisine. 
A une base de haricots blancs ou roses précuits la veille, j'ajoute de l'oignon, de l'ail, des patates, des carottes, du cavolo nero, de la verza (achetés en  quantité sur un marché de Florence avant-hier), un peu de tomates, du bouillon, du sel, du poivre et je complète avec tout ce qui peut traîner comme légumes au fond du bac (de la courge, par exemple). J'y associe même une croûte de parmesan s'il y en a et je laisse cuire et recuire ce mets simplissime. Comme une grosse casserole peut m'assurer un certain nombre de repas, l’investissement en temps de préparation est vite amorti. Cette potée se consomme normalement avec du pain rassis (mais le pain ici n'a jamais le temps de rassir et je finis par le toaster). Naturellement, sur la table trône toujours une bouteille d'huile d'olive, or vert de première qualité.
Enfin, avant de partir en voyage, je m'arrange toujours pour en laisser une ou deux portions dans le congélateur : rien de meilleur quand on rentre à la maison à nuit tombée que de pouvoir se préparer un bon bol de soupe fumante. Après un long trajet, hors de question de manger froid ou de se mettre aux fourneaux. Suffit de laisser la ribollita dégeler à feu doux tandis qu'on range les trésors rapportés ou qu'on passe en revue quelques photos.


dimanche 15 décembre 2024

Vivre : Still life / 158

 

“If you ever want something badly, let it go. If it comes back
to you, then its yours forever. If it doesnt, then it was never
yours to begin with.”

 Probablement tiré de : Indecent Proposal / Jack Engelhard
 
Une petite statuette, une tête en stuc produite par une artisane à Arezzo, offerte à R. en avril dernier et malencontreusement oubliée au moment du départ dans le hameau isolé du Casentino où nous venions de passer quelques jours. L'envoyer par la poste paraissait problématique au propriétaire : la lenteur des Postes italiennes, la difficulté à l'emballer... nous avons fini par abandonner l'idée de la revoir un jour. Par la suite, en septembre, nous avons voulu en racheter une copie et avons fait un détour jusqu'au magasin, mais il était fermé. Sans numéro de téléphone sur la vitrine. Apparemment l'activité avait cessé. C'était une petite statuette de rien du tout. Mais R. l'aimait bien. Alors on a encore fait une dernière tentative cet automne : on a rappelé le noble propriétaire (un véritable noble propriétaire de plusieurs biens que nous avions à chaque fois le sentiment d'importuner dans ses honorables activités) et il se trouvait qu'il devait se rendre à Florence courant décembre. Il a donc proposé de venir déposer à notre hôtel la petite tête, laquelle nous attendait sagement à notre arrivée. Maintenant R. cherche où la suspendre. Pour moi, elle est le symbole de la ténacité récompensée, de ce qui se passe quand on accepte de lâcher-prise, Inch'allah, ne rien attendre, tout espérer.

mardi 10 décembre 2024

Vivre : still life / 157

 

Ces bottines sont des miraculées. Elles doivent avoir quelque milliers de kilomètres à leur actif et en âge chaussures ce sont assurément des arrière-grands-mères. Ressemelées plusieurs fois, recollées, rafistolées, fidèles clientes de leur cordonnier, il était question il y a quelques années déjà de les balancer. Oui mais voilà : aucune des paires rachetées depuis n'a atteint leur niveau de confort. Je peux toujours compter sur elles quand mes élégantes chelsea boots n'hésitent pas à me laisser en cloques. Avec elles, je peux partir sillonner n'importe quelle ville, traverser n'importe quelle forêt, m'embourber, me détremper, elles sauront toujours résister sans me causer aucune douleur. Et puis, comme dit R., c'est la mode du vintage et du durable, on dirait que tu les as dénichées dans une friperie, elles font totalement tendance. Du coup, pas l'ombre d'une hésitation : elles partiront avec moi en vacances.

lundi 9 décembre 2024

Vivre : pour qui, les biscuits, cette année ?

 
Femme en bleu lisant une lettre / J. Vermeer / Rijksmuseum / Amsterdam
 
 
Ai croisé sur le chemin la lumineuse postière dont le sourire rayonnant dans tout le village commençait à nous manquer : ça faisait longtemps, comment ça va ? Elle, elle allait bien. Enfin : plutôt bien. Parce qu'apparemment sa hiérarchie a décidé de prioriser la flexibilité. Les employés doivent pouvoir intervenir n'importe où, n'importe quand dans la région, être interchangeables, malléables, ne jamais s'habituer à la moindre routine, et surtout : éviter d'être sociables (c'est-à-dire reconnaître les gens, sourire aux passants, rendre de menus services, bref être liants). Résultat : le courrier arrive souvent en retard, des inconnus stressés par les cadences passent distribuer en coup de vent, ne connaissent aucun nom et perdent un temps  précieux à prendre leurs repères, lesquels une fois pris seront obsolètes puisqu'ils seront vite déplacés. Résultat collatéral : moins de sourires, évidemment, plus d'absentéisme, naturellement.
Qui, mais qui a donc décidé de ce management désolant, censé être performant, et qui coûte en réalité un maximum à la société ? Qui décrète que plus c'est compliqué mieux c'est organisé ? Sans doute quelques tristes diplômés en costard cravate, applicatifs et dévitalisés, déjà grignotés par le burnout qu'ils contribuent à diffuser, soucieux de leur prime en fin d'année...
 

dimanche 8 décembre 2024

Vivre : la quadrature du cercle

 
Fragments retable de Sainte-Ursule (détail) / Maître de Monte-Sion / Musée de Majorque / Palma
 
Comme chaque année en décembre, une pluie de factures semble se déverser dans mon courrier à tel point que mes finances m'apparaissent comme un frêle esquif près de chavirer.
En toute logique - et comme un mantra mille fois ressassé -  je me répète qu'il faut IMPÉRATIVEMENT faire passer en premier les dépenses incompressibles : loyer, impôts, assurances, électricité. 
Mais hier, dehors, il pleuvait des cordes et, dedans, je me voyais face à un véritable déluge de paiements. Très vite l'averse a menacé de tourner à la tempête. Dehors comme dedans.
C'est alors que j'ai impulsivement décidé d'inverser les priorités : mes priorités du jour, ce seraient les diverses associations qui me tiennent à cœur. D'abord m'occuper de ce qui à mes yeux compte vraiment et la série de versements de rigueur dans un second temps.
Or, il se trouve que la question de l'argent n'échappe pas aux divers paradoxes de l'existence. Elle inclut une bonne part d’irrationalité. Je me suis sentie tellement enrichie par les montants que j'avais donnés que j'ai pu affronter ensuite mes obligations avec un esprit allégé. J'ai fini par liquider les paiements obligatoires avec une belle sérénité. En un tour de main, mes affaires étaient réglées.
Peut-être qu'il en va de l'argent comme de toute forme d'énergie : il s'agit de trouver le bon élan, éviter les blocages et la circulation se fait tout naturellement. 
 

samedi 7 décembre 2024

Regarder : gestes, attitudes, objets qui sont le témoignage de notre passage

 

 
Plateforme10, le quartier des Arts lausannois à deux pas de la gare ferroviaire, a été inauguré il y a pas mal de temps déjà. Je me souviens que durant toutes les années où les travaux battaient leur plein, arrivant en ville, je lançais un regard dubitatif depuis mon wagon sur ces constructions qui semblaient devoir s'agglutiner le long des voies et dont les façades austères paraissaient vouées à s'écraser contre les élégants immeubles tout proches.
Pourquoi vouloir rassembler trois musées - Beaux-Arts, photographie et design - en un seul lieu ? me demandais-je. Pourquoi ne pas leur laisser à chacun leur individualité ? Il faut dire que j'avais entretenu un rapport affectueux avec l'ancienne demeure qui abritait le musée de l’Élysée, consacré à la photographie depuis 1985. Elle dominait un parc superbe qui descendait en pente douce vers le Léman. C'était un lieu paisible, inondé de lumière, sur lequel veillaient des arbres centenaires, un lieu où il faisait bon passer quelques heures en compagnie de tirages et d'artistes très divers.
Bref, je nourrissais de sérieux préjugés contre ce projet de plateforme trop uniformisateur à mon goût et il m'a fallu un temps fou pour accepter d'y mettre les pieds. Mais... sitôt que je suis arrivée sur le site la traditionnelle expression vaudoise m'est venue à l'esprit : j'ai été déçue en bien. L'esplanade était vaste. Les architectures épurées et les espaces convaincants. Les temps changent. La roue tourne. Je me suis laissée emporter et maintenant je m'y rends volontiers.
 
patins à glace / Bois de Boulogne / 1956


En ce moment, parallèlement à la rétrospective exceptionnelle consacrée au japonais Daido Moriyama (dont je n'ai pas encore parlé, mais ça viendra) un espace est dédié à Sabine Weiss. J'ai déjà parlé ICI  et ICI de cette étonnante photographe, décédée en 2021 à l'âge de 97 ans. Peu avant sa mort, elle a décidé de remettre ses archives au musée Photo Élysée, qui en assume l'imposant héritage :
Le fonds d'archives de Sabine Weiss comprend l'ensemble de ses négatifs (200'000), l'ensemble des planches contact (7'000), la plus grande partie des tirages vintages (2'700), la plus grande partie des tirages tardifs, dit modernes (2'000), les tirages de travail (3'500), environ 2'000 diapositives, et l'ensemble de la documentation, soit les archives presse, les critiques, les justificatifs, la correspondance, les films, les enregistrements. [extraits site musée]
De quoi donner lieu à de multiples expositions. Pour l'instant, ce sont les débuts de la photographe artisane qui sont mis à l'honneur : son travail pour la mode et la publicité, ses premiers clichés dans les années 1950 à Paris et ailleurs. Une large place est laissée à ses  témoignages. Outre des citations affichées sur les parois, on diffuse une vidéo réalisée durant ses dernières années où Sabine Weiss évoque le démarrage de sa carrière  avec la simplicité et le naturel qui lui sont propres. Ça ne devait pas être simple pour une jeune femme (Suissesse de surcroit) d'arriver à cette époque dans le monde masculin de la photographie et de s'y faire une place. Mais la débutante avait un caractère bien trempé et une solide carapace et lors de l'interview, elle raconte ses anecdotes avec une belle vivacité.

cheval ruant porte de Vanvres / 1951

J'adore ces photographies. Elles ont le pouvoir de me mettre dans un drôle d'état : un mélange de nostalgie et de sérénité indéfinissable. Une envie de rire et de sourire. Un appel à la liberté vers toute sortes de possibles. La meilleure des thérapies en ces temps troubles.

Vendeurs de pain / Athènes / 1958

Terrain vague / Porte Saint-Cloud / 1950
"Je photographie pour fixer l'éphémère, fixer les hasards, garder en images ce qui va disparaître : gestes, attitudes, objets qui sont le témoignage de notre passage. L'appareil les ramasse, les fige au moment même où ils disparaissent. Ce sont quelques traces de ma vision sur notre époque."
autoportrait / 1953

vendredi 6 décembre 2024

Vivre : cette chose si légère

 

 
Y a-t-il un mot plus vide, plus exaspérant, plus inutile que le mot "bonheur" quand on cherche à l'encager? Il appartient tellement à l'expérience - et à l'expérience seule - qu'il ne supporte aucune définition. "A la recherche du bonheur" apparaît comme la plus vaine des expressions. "Comment faire pour être heureux" la plus inféconde des questions.
 
Un soir, tout récemment, j'avais écrit dans mon journal ces quelques lignes. Mais pourquoi donc avais-je pris la peine d'écrire à ce sujet, à quoi bon ? Tout simplement parce que ce jour-là, j'avais été heureuse, apparemment sans raison. Un bonheur inattendu, léger, souverain s'était emparé de moi depuis le matin et n'entendait pas me lâcher. J'aimais tout de cette - pourtant banale - journée : la ronde des nuages, la manière désinvolte qu'avait le ciel de rosir par moments de ça de là en suivant les crêtes du Jura, le clapotis du Léman sur ses rives délaissées, la vitalité du chien et même la légère douleur que me procurait ma chaussure gauche en comprimant l'un de mes orteils. J'aimais être présente à la vie, à ma vie. Tout ce qui la veille pouvait m'avoir contrariée - telle facture inopinée, tel souvenir surgi et pas vraiment agréable à considérer - tout cela m'était apparu d'une terrible insignifiance. Il n'existait au monde que mon plaisir de sentir tous les os de mon squelette miraculeusement accordés, de découvrir la buée de mon souffle s'évaporer en direction des cumulus pervenche et la suite des instants déroulés l'un après l'autre qui m'enchantaient.

Le bonheur appelle à être ressenti, jamais à être défini. Le bonheur est un oiseau qui ne se laisse pas attraper. Une bulle légère qu'un rien peut faire éclater. Dès lors... ne restait qu'à vivre et savourer...




jeudi 5 décembre 2024

Vivre : éloge de l'inactivité

 

 
Face à ce carrousel qui tourne toujours plus vite, toujours trop vite, face à ces élans désordonnés, 
le plus important est de savoir quand faire le pas de côté, ne pas ajouter de la complexité à la complexité.
 
 

mercredi 4 décembre 2024

Vivre : le présent du passé

 


Certains jours, les paysages, miroirs de nos états d'âme, nous rendent notre mémoire. 
Peu à peu se redessinent des fragments de notre histoire. Ne reste plus qu'à écrire.
 

mardi 3 décembre 2024

Vivre : craquer

 
Femme de Majorque / Pablo Picasso / Musée Pouchkine / Moscou


Parfois la chose la plus raisonnable à admettre 
c'est la nécessité impérative de faire une folie