mercredi 6 mars 2019

Lire : la défaite d'Attila




Le problème, c'est qu'il faut être au moins deux pour se faire la guerre, et qu'il est extrêmement difficile et épuisant de se battre contre un adversaire qui ignore qu'il en est un. Attila avait la sensation douloureuse de l'attaquer en traître quand il la voyait allongée et paisible sur son lit et qu'il la détestait de toutes ses forces, il n'était plus sûr d'avoir raison, il y avait une inadéquation entre sa fureur et elle, comme s'il avait essayé de s'emparer d'une émotion avec des tenailles, avec un outil inadapté, sa méthode ne donnait aucun bon résultat.

Il avait pensé, peut-être, qu'après s'être dévoilée elle allait aussi montrer des signes indéniables de son arrogance, il se tenait armé jusqu'aux dents pour riposter, mais rien n'avait changé en réalité. Il la connaissait simplement un peu mieux, il connaissait ses préférences, mais rien de tout cela ne semblait correspondre à ce que pendant des années il avait classé sous le nom d'Autriche.

Théodora parlait de musique, mais jamais d'argent, elle lui avait offert des vêtements, et il les aimait, ils étaient à sa taille, ils étaient parfaits, il aurait voulu pouvoir les refuser, les boycotter avec dignité, mais en vérité il adorait l'idée qu'elle avait fait ça pour lui et les jours de lessive il parvenait à peine à attendre qu'ils soient secs pour les enfiler.

Il était complètement désorienté comme quelqu'un parti pour un raid aérien qui ne reconnaît nulle part la topographie qu'on lui avait décrite et cherche en vain le paysage la colline qu'il doit viser et détruire. Il s'épuisait dans sa tentative de la haïr parce que la colère demande une énergie continue, qu'on ne peut fournir que dans l'aveuglement le plus total.  [p.97-98]

Dans le brouhaha des aéroports, au milieu des émanations de malbouffe et de sueur, difficile de se concentrer sur un écrit complexe. C'est avec soulagement que je me suis retrouvée avec ce léger bouquin, apte à me tenir absorbée à l'aller et éveillée au retour. 
Jamais je ne me serais risquée à l'acheter. C'est le hasard qui l'a glissé entre mes mains. Une histoire d'amour, entre un homme et une femme que rien ne destinait à se rencontrer, ça ne tient pas la route, c'est beaucoup trop banal.
Eh bien, de cette banalité, Julia Kerninon a réussi un sacré pari : écrire un roman baroque et palpitant, qui se livre comme une bataille, qui se parcourt comme une déclaration. Une déclaration de guerre, une guerre invraisemblable entre un trieur de poussins peintre à ses heures et une richissime Autrichienne, une guerre suave, vivace, bariolée, étincelante et douce-amère, au bout de laquelle se scelle le tout dernier amour du héros. 
Soulagement sur le tarmac de Genève :  il y a parfois des êtres qui finissent par se rencontrer, contre toute attente, contre toute logique, dans leur absolue vérité, dans leur impérieuse soif de reconnaissance.
 

10 commentaires:

  1. Ne pas penser au dernier, mais plutôt garder l'espoir :D
    Le bel extrait choisi et ton magnifique texte, donnent envie de lire ce roman d'amour.
    Merci Dad pour la découverte.

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  2. et en plus, le bouquin n'est pas cher! Je viens d'aller m'en procurer un exemplaire pour l'offrir à une copine. Belle après-midi, chère Julie!

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    1. Par simple curiosité :) pourquoi "défaite" ? Attila serait bien difficile de ne pas succomber à une jeune femme de 25 ans, amoureuse de lui, belle, intelligente, riche de surcroit :D

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  3. Défaite, parce que toute l'histoire d'amour est racontée dans un langage guerrier (cf. l'extrait). Attila résiste, résiste, face à l'ennemi autrichien, enfahisseur. Et... à la fin... il doit rendre les armes...

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  4. Je n'en dirais pas plus : il faut lire le livre!!!

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  5. Je note cette référence. Merci Dad!

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  6. De rien et excellent jeudi à toi, chère Dédé, qu'il te porte avec ménagement au WE!

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  7. Je note moi aussi ce titre de livre, il devrait me plaire. :-)
    L'amour est un sentiment complexe. On refuse parfois l'évidence, on résiste, mais on est bien parfois obligé d'accepter ce sentiment qui nous envahit et on arrête de lutter...

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  8. C'est vrai... refuser, résister, se faire envahir, arrêter de lutter... tes mots, chère Françoise, reprennent la thématique chère à l'auteure. L'amour est ce merveilleux et terrible séisme auquel il est si douloureux d'échapper.
    Et quel que soit notre âge, on n'est jamais jamais immunisé! (une amie me parlait d'une vieille tante célibataire, qui était tombée amoureuse à... 82 ans, dans un champ de fleurs - le soupirant était à peine plus jeune qu'elle - n'est-ce pas extraordinaire ? J'imagine que pour les deux tourtereaux, vivre cette histoire n'a pas dû être une affaire de tout repos! Belle soirée, et bon WE!

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