Grand Canal / Venise
Nous connaissons depuis des années cet hôtel dédaigné par les agences touristiques, parce que trop petit, trop intime, dépourvu de bar, mal doté en matière de wifi et autres commodités. Le fidèle réceptionniste nous a remis nos clefs. Comme je m'étonnais de voir remonter vers les étages supérieurs tout un groupe armé de sacs à provisions, il a levé les yeux au ciel et prononcé d'un air peiné: airbnb... Il s'est ensuite épanché : la vieille dame du deuxième était décédée, en laissant des héritiers bien décidés à rentabiliser leurs avoirs. Puis, le propriétaire du dernier étage ayant vendu à des investisseurs étrangers, une bonne partie de ce magnifique palazzo du XVème siècle (donnant sur un adorable campo) venait d'être réaménagé en quatre immenses logements de vacances.
La ville entière, nous raconta-t-il, se transformait inexorablement en un vaste parc de locations airbnb. Lui-même avait galéré pour trouver un propriétaire au Lido disposé à lui louer un appartement à prix abordable. Il gagnait 1'300 euros par mois et son trois-pièces lui revenait à 1'000 euros. Il devait cumuler les petits boulots pour faire face. Tout le monde sait ici qu'en louant à la journée ou à la semaine, on gagne deux fois plus qu'avec un locataire fixe.
A Marghera, a-t-il ajouté, avec la bénédiction des autorités, on a donné l'autorisation de rénover d'anciens bâtiments industriels. Les promoteurs ont conçu des hôtels où l'on loue non pas des chambres, mais des lits pour 30 euros la nuit. En prime, le touriste reçoit un ticket pour faire un trajet sur le Grand canal (valeur : 7,50 euros).
Il relevait aussi que les touristes plus nombreux tendaient à être moins respectueux. Le mois précédent, assurant le service de nuit, il avait dû aller prier des jeunes hébergés dans les étages, de cesser leur raffut : ils avaient installé des amplis dehors sur le campo et, à trois heures du matin, diffusaient encore de la techno à toute berzingue.
(Oui, la ville change. Depuis mon enfance, j'y retourne régulièrement et bien sûr au fil du temps j'ai constaté des modifications progressives. Mais les changements semblent s'emballer depuis quelques années. Le turn over dans la gestion des commerces est impressionnant. Les magasins traditionnels ferment l'un après l'autre au profit de ceux qui proposent fast food et verroteries made in China. Ici, comme dans tant d'autres endroits du monde, les sauterelles ravageuses dévastent tout sur leur passage.)
Personne n'ose apparemment s'insurger contre les caprices du dieu tourisme en vertu de sa manne supposée (manne qui concerne en fait une minorité, puisque la plupart des jeunes familles locales sont expulsées vers les banlieues de l'entroterra). Depuis le vaporetto, un peu plus tard, nous avons découvert cette publicité recouvrant l'église de la Pietà, en réfection à deux pas de Saint-Marc. Dubai te laisse bouche bée, quel que soit ton point de vue. Je me suis demandé quel en était le sponsor, quel était l'auteur de ce message... somme toute assez malin... Et si une association de vieux et authentiques Vénitiens s'était cotisée pour parvenir à ses fins ?
Coucou Dad. Ah! La belle Venise. La grandissime. Qui subit le même sort que Barcelone, Dubrovnik, Porto et autres... Le tourisme est nécessaire pour faire vivre la population locale. Mais à quel prix? Quand une ville commence à perdre son âme, subit les assauts de hordes de touristes primaires qui ne songent qu'à prendre des selfies... on se demande vraiment jusqu'où va-t-on aller?
RépondreSupprimerC'est une vaste question il est temps que les Vénitiens se posent les bonnes questions. Bises de plaine et bel après-midi
Jusqu'où va-t-on aller ? Bonne question. Le tourisme est peut-être nécessaire, mais jusqu'à un certain point. Il y a des limites à ne pas dépasser. On ne peut pas laisser tout faire au nom des places de travail générées. Sinon, on verse dans la nuisance.
SupprimerLe tourisme en tant que tel n'est pas une nuisance. Ce sont les excès et les abus en tous genres qui le sont. Quelques pistes de réflexion : Respect de part et d'autre. Abandon du profit à tout prix. Vision à long terme. Préservation du bien commun en pensant aux générations futures.
Quant aux Vénitiens... je crois qu'il y en a de moins en moins... La ville devient trop chère pour des salaires italiens moyens. Dans les vaporetti, on voit de moins en moins d'enfants et de plus en plus de personnes âgées.
Vaste question, en effet, que celle du tourisme, on pourrait y passer la soirée ...je te souhaite une belle fin de semaine, ma chère Dédé (j'espère que ton rhube est passé!)
Connaissez vous le blog de Lorenzo, tramezzinimag? C'est assez demoralisant pour des amoureux de Venise comme nous, mais j'ai peur qu'il n'ait raison. Et pourtant, les jeunes vénitiens se rebellent. Nous louons maintenant, nous faisons donc partie des envahisseurs, mais que j'aime cette ville malgré tout !
RépondreSupprimerOui, je lis Tramezzinimag depuis des années (à vrai dire, je le lisais davantage quand il avait son précédant look, avant les déboires vécus sur l’ancien site). J’apprécie l’amour que Lorenzo porte à cette ville et le soin avec lequel il la décrit.
RépondreSupprimerEtant née non loin de cette ville, je la connais depuis mon enfance et « démoralisant » est un adjectif assez adéquat pour qualifier la tristesse qui me saisit par moments quand j’y retourne. Cela n’a rien à voir avec de la nostalgie. La nostalgie, c’est le désir de ce qui n’est plus. Ma tristesse provient du constat de ce qui est (c’est-à-dire la dévastation progressive d’un lieu au nom d’un tourisme incontrôlé). Cette tristesse ne m’atteint pas seulement à Venise. Je la ressens dans tout lieu qui est submergé par une invasion irrespectueuse, par une volonté de profit à court terme (Barcelone, par exemple ou certaines villes croates).
Je réfléchis souvent à ce qui serait pour moi une possible solution face à ces déferlantes. Il me semble 1/ que les touristes de plus en plus nombreux devraient se montrer éduqués et respectueux. On voit trop de gens avoir à l’étranger des comportements qu’ils n’oseraient pas adopter chez eux. Pourquoi ne pas amender, après avertissement, des gens étrangers irrespectueux pour tapage nocturne ? Au nom de quel principe de tolérance ?
2/ que les autorités locales devraient légiférer avec sagesse et objectivité (limiter la proportion de logements de vacances, par exemple, pour assurer aux locaux la possibilité de rester vivre sur place)
3/ je me demande même s’il ne faudrait pas instaurer un numerus clausus, à propos du nombre d’hôtels et de places d’hébergements. Aux grands maux, les grands remèdes …
Mais, pour prendre des mesures efficaces, il faut du courage. Le courage de déplaire, d’être taxé d’élitisme, de risquer une non réélection. Et il faudrait aussi que les bénéficiaires des profits et les décideurs soient des entités séparées…
Il y aurait bien des choses à dire sur le sujet. Quant au fait de louer un logement pour résider à Venise, pourquoi pas ? Il faut bien dormir quelque part et y manger quand on se rend là-bas. J’en ai fait l’expérience, une ou deux fois, et puis quand j’ai effectué un séjour Erasmus en histoire de l’art. Le problème n’est pas dans le type de séjour, mais dans la gestion du nombre d’étrangers de passage et dans leur comportement.
Dans le fond, un touriste ne devrait-il pas se comporter en hôte bienveillant là où il est accueilli et pas en conquérant barbare? Peut-on s’étonner sinon que les « indigènes » se montrent parfois indélicats et abusent à leur tour de la situation ?
Merci pour votre passage et belle soirée à vous ! D.