vendredi 13 décembre 2019

Vivre : portrait d'un homme allemand


Portrait de gentilhomme / Michelangelo Anselmi / Museo Capodimonte / Napoli


Je me souviens avoir lu il y a très très longtemps un roman d'Alain de Botton qui s'intitulait "Portrait d'une jeune fille anglaise" dans lequel il s'appliquait à dépeindre une fille de vingt-cinq ans, avec laquelle il entretenait une relation qu'il espérait destinée à durer. Ce qui m'avait frappée alors, c'était sa faculté d'observer un sujet tout à fait ordinaire pour en faire un livre qui, dans mes souvenirs, tenait assez bien la route, dans le sens où le lecteur finissait par s'intéresser vraiment à cette jeune femme sans qualités particulières (il m'est impossible de vérifier, de savoir ce que je penserais maintenant du livre, car il a un jour inopinément pris l'eau et, s'il se trouve encore dans ma cave, il doit être tout gondolé).
Je n'ai jamais oublié ce bouquin : il me paraît extraordinaire qu'on puisse s'intéresser à une personne à tel point qu'on en arrive à observer ses faits et gestes les plus ordinaires et qu'on réussisse à en faire toute une histoire .
Parfois, quand je regarde R., je me dis que j'aimerais avoir le talent de ce philosophe écrivain, pour parvenir à transformer l'homme qui partage mon quotidien en héros d'un roman. Ce serait le roman d'un homme né à Berlin, qui raffole du chocolat noir mais picore ses légumes (particulièrement les épinards), qui se montre à la fois fasciné et préoccupé par tous les fascismes passés ou en potentielle montée, à qui il arrive souvent de pleurer au cinéma (alors, sa main se tend dans le noir pour quémander un mouchoir) et qui est porté à surprotéger ceux qu'il aime. Un homme bourré de qualités et pourvu de quelques défauts : entre autres, une déplorable tendance à quitter des pièces en oubliant des lumières allumées. Régulièrement, dans la rue, des gens s'arrêtent pour le saluer, lui demandent comment il va et il échange avec eux quelques propos souriants. Une fois qu'il les a quittés, il me confie : "J'ai mis un bon moment avant de trouver où j'avais bien pu le rencontrer..."
Faute d'avoir le talent d'Alain de Botton, je ne ferai jamais de R. le protagoniste d'un roman. Mais je lui attribue chaque jour un rôle somme toute important, que lui seul est en mesure de tenir aussi vaillamment : être mon compagnon de route et de vie depuis près de trente ans.

9 commentaires:

  1. Ah! Ma chère Dad! Et bien même si tu ne vas pas en faire le héros d'un roman, tu en fais le héros de ton billet du jour, et je suis contente d'en apprendre encore un peu plus sur lui. Combien de fois nous as-tu écrit sa patience, ses intérêts, et le fait qu'il t'accompagne et veille sur toi, mais toujours par touches très sensibles et pudiques. Aujourd'hui, tu fais de même mais avec des éléments plus appuyés. Et ce qu'on soupçonnait déjà mais qui se confirme aujourd'hui, c'est que R. est un homme bien-heureux avec sa Dad... quelque part ici en Suisse et qu'à eux deux, ils forment un beau couple.

    Que c'est beau un beau couple. Alors je lui souhaite, encore et encore, tout le bonheur du monde!

    Bises alpines très très enneigées... heureusement que je ne travaille pas aujourd'hui car c'est dantesque dehors. Mes oiseaux se battent pour aller dans la mangeoire pendant que la neige continue de tomber.

    P.S.: Mon bonhomme bleu, lui aussi, oublie toujours d'éteindre les lumières... :-))Mais lui, c'est le chocolat blanc son préféré.

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  2. Et quelle élégance dans le portrait du gentilhomme allemand. ;-)

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    1. Hej, Dédé, comme tu dois te sentir bien aujourd'hui, malgré la tempête qui fait rage. Sou-la-gée.
      Oui, M. Anselmi a réalisé avec ce gentilhomme un très beau portrait. J'aime beaucoup découvrir ces peintres "secondaires" (terme affreux) qui ont réalisé des œuvres splendides, méconnues, parce que dans un musée, on a tendance à aller vers les toiles des peintres connus, au lieu d'ouvrir les yeux et de les diriger selon son coeur.
      Je ne sais pas si R. et moi formons un beau couple (peut-être qu'une personne qui m'entendrait pester en éteignant une à une les lumières en douterait...), mais dans un monde où tant de choses bougent, ou partent, ou se délitent, il est bon de pouvoir compter sur un socle. Quelqu'un qui connaît toute votre histoire, ou en tous cas, une grande partie, et peut vous comprendre, et ne juge pas, et ouvre juste grand les bras.
      Profite bien de ton nid douillet, chère Dédé, la tourmente est aussi un temps idéal pour décompresser. Belle aprèm.

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  3. I y a quelques années, j’ai décidé de trier tous ces livres que j’avais tant aimés. J’en pris un et commençai à relire quelques pages par-ci par-là, très vite je le dépose dans le carton. Ce carton qui j’espère lui permettra de trouver de nouveaux lecteurs, me demandant comment un tel livre avait pu me plaire. J’en pris un deuxième, un troisième, un quatrième… Ils ont tous rejoint le carton… Finalement, je n’ai conservé que quelques livres multicolores ceux que j’avais annotés d’une couleur différente à chaque relecture.

    À 18 ans, j’ai rencontré la femme de ma vie, nous avons traversé ensemble toutes les tempêtes, de ce roman qu’est la vie et maintenant encore, chaque jour, elle ne cesse de m’étonner et de m’émouvoir.
    Mais nous faisons chocolat noir à part 95 % pour elle 85 % pour moi.

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    1. Ce que tu raconte sur le tri des livres me rappelle un déménagement durant lequel j'ai dû opérer des choix drastiques faute de place : passer de centaines de livres à un nombre restreint, qui fasse sens. Eh bien,j'ai trié sévèrement et je ne l'ai jamais regretté. En fait, j'ai réalisé que les livres qui comptent vraiment pour moi (ceux que je relis) il n'y en a pas tellement, quelques dizaines tout au plus. Depuis, j'emprunte, je donne, je fais circuler. Comme pour tout autre domaine, le "peu, mais bien" s'applique aussi aux bouquins.
      Oui, face à l'Autre, on ne cesse jamais de découvrir et de s'émouvoir, car si on aime, on est sans cesse rempli de curiosité.
      Quant au chocolat, noir évidemment, c'est peut-être bien d'avoir ses domaines réservés ? Toute belle soirée.

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  4. J'ai voulu faire de-même avec ma discothéque,mais à chaque morceau de musique écouté une tranche de vie me sautait au visage. Alors je remettais soigneusement le disque dans sa boite ou sa pochette et le rangeais à sa place ;-)

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    1. On peut être très attaché aux choses, en tant que supports de nos émotions (car, tous ces disques, ils peuvent facilement compactés et être transférés sur des clefs usb ?). Il est parfois difficile de lâcher les objets, parce qu'on pense qu'en les lâchant, on va perdre l'émotion avec leur pouvoir d'évocation…

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  5. Il y a des personnes (c'est encore mieux si l'on vit avec :-)) qui sont nos piliers, nos ports d'attache. Elles seront toujours là, quoiqu'il arrive, elles nous aiment, nous sécurisent, nous comprennent. C'est une chance que nous avons (sourire). Belle après-midi, ma chère Dad.

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    1. Piliers, ports d'attache, et même je dirais : terre, point d'ancrage, surtout pour moi qui suis quelque part déracinée, malgré mes deux passeports! Une chance, oui!

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