jeudi 7 janvier 2021

Vivre : le courage ordinaire

 
Sybille / J.B. Corot /coll. H.O. Havemeyer / MET / New-York
 
 
C'est une femme sans âge, ou peut-être entre deux âges. On l'a croisée pendant quelques années sur le quai de la gare, en attendant le train qui menait à la ville internationale connue pour abriter une multitude de banques avec leur lot de clients importants. C'était justement dans l'une de ces banques qu'elle travaillait. Elle saluait toujours très aimablement, avec une certaine faconde, tout en précisant qu'elle ne pouvait révéler le nom de l'établissement qui l'occupait à plein temps ni en dire plus sur ce qu'elle y faisait exactement.
On ne savait rien vraiment sur elle, si ce n'est qu'elle vivait seule dans une belle maison en lisière des champs, qu'elle partait tôt le matin et qu'il lui arrivait de rentrer tard le soir. Sauf qu'un jour, à l'occasion d'un retard dû à des intempéries, devant un café, elle avait révélé qu'elle venait de se faire licencier après dix-sept ans de collaboration. "En quinze minutes" a-t-elle précisé sobrement. 
On l'a croisée l'autre jour se baladant sous la neige. Elle nous a interpelés et s'est hâtée de raconter qu'après deux ans de chômage, n'ayant pas retrouvé d'emploi (son statut de "senior", la conjoncture, toute la cruauté ordinaire de ce monde extraordinairement performant...), elle s'était résolue à se former comme thérapeute en chromothérapie quantique (on ne connaissait pas, on l'a écoutée, on n'est pas sûrs d'avoir compris toutes les subtilités de ce traitement).
Et voici qu'à présent son activité indépendante, qui commençait à être rentable, s'est ralentie au point d'être quasiment stoppée.
Ce qu'elle se souhaitait pour l'année 2021 ? "Des clients". Et puis naturellement : "La santé". Elle avait toujours le même sourire vaillant sur les lèvres, toujours la même amabilité, elle est repartie vers la forêt. 
En la regardant s'éloigner, lutin léger et solitaire disparaissant sous les flocons, on s'est dit qu'un bel exemple de courage, c'est peut-être ça : sauver la face, avancer coûte que coûte et garder les larmes au-dedans de soi.
 

6 commentaires:

  1. Oui. En dehors de l’héroïsme pur qui n’est pas donné à tout un chacun, il existe un courage ordinaire qui est de faire, d’agir et de vivre malgré l’adversité. Nous vivons ces situations chaque jour: accident, maladie, souffrance morale...., et ce, avec les ressources que nous avons en nous.Le courage à bas bruit dont parlait JLServan Shreiber en restant droit moralement et physiquement, en toute dignité. Ce courage d’être soi, d’endurer et de continuer jour après jour.
    Belle soirée.

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    1. J'aime beaucoup ce que vous dites (enfin : ce que vous écrivez). Vous résumez parfaitement cette manière d'être, souvent silencieuse, qu'est le courage ordinaire. On pourrait presque parler d'élégance morale, de politesse vis-à-vis de l'existence et des autres." à bas bruit" est une belle expression. Je suis très sensible à ces personnes quand j'en rencontre. Douce soirée à vous.

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  2. « La cruauté ordinaire » comme tu dis. Surtout dans le milieu bancaire (mais l'industrie et les services internationaux c'est pareil) où on sait très bien que « l'argent n'a pas de morale ». Trop vieille = dehors. Dans le meilleur des cas elle avait un poste à responsabilité, bien payé. Alors, le quart d'heure de licenciement, volontairement organisé pour créer le stress de la surprise et arracher une décision instantanée, on met sous les yeux un assez gros chèque. En déclarant : « vous n'avez plus qu'à signer l'accord transactionnel » par lequel on abandonne toute action et toute voie de recours. Ça marche toujours ! Sinon vous êtes viré sans argent. Faites donc un procès on sait faire durer des années…
    Alors bien entendu on s'empresse de prendre le chèque de signer et de se barrer car on ne pleure pas devant les autres.
    La cruauté très, très, ordinaire… cette méthode expéditive se répand dans le monde comme la vérole sur le bas clergé… il y a même des gens spécialement formés pour virer rapidement. On le fait même par SMS… ça évite un contact avec tous ces gens vraiment pénibles qui réagissent mal quand on les fout dehors…

    Quant à la chromothérapie quantique c'est une méthode alternative estimée meilleure que la luminothérapie qui, elle, a démontrée une efficacité scientifique pour notre horloge biologique interne l'hiver et que je pratique en ce moment. (Meilleure régulation de la mélatonine avec effet positif sur les cycles circadiens). Mais on n'a besoin de personne pour cela… aussi on a inventé la chromothérapie, quantique ou non ! Au lieu d'une rampe lumineuse classique de luminothérapie, que l'on a chez soi et qui ne coûte pas très cher, on utilise un boîtier genre lampe de poche qui produit des rayons colorés, avec rayon laser inversé ( sinon ça te brûle la peau et même l'intérieur…) et il faut un thérapeute pour le diriger valablement sur le corps « du patient » à des endroits précis que seul le thérapeute spécialiste alternatif connaît au terme d'un enseignement réservé aux initiées. Le gros avantage c'est qu'on ne touche pas physiquement la personne et donc on n'est pas susceptible d'être condamné pour exercice illégal de la médecine.
    Cela a un certain succès. (à Lausanne notamment) C'est un nouveau type de placebo, comme il y en a tant. Donc ça peut marcher dès lors qu'on y croit. C'est bien connu il n'y a que la foi qui sauve… sinon… mieux vaut une bonne psychothérapie… car là on se fonde non pas sur la foi mais sur la confiance…

    Fin de la séquence : je vais mieux gérer mon sommeil qui va devenir quantique !

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    1. Ce que tu décris dans ton premier § se constate hélas de plus en plus, partout, dans tous les milieux (et y compris sur le plan personnel). L'individu devient une chose, à tous points de vues. Que dire de plus ?
      Pour le reste : la luminothérapie! j'avais complètement oublié de sortir ma lampe cet hiver (merci de me le rappeler). Des tas de gens autour de moi y recourent avec succès, qui, avant, souffraient de SAD (seasonal affective desorder). Merci aussi pour tes explications lumineuses : bref, cette chromothérapie, c'est comme notre lampe à 100 euros, sauf que là c'est 100 euros la séance ? Lourdes en technicolor d'une certaine manière ?
      Cela dit, l'effet placebo des traitements est une chose fascinante. Les pouvoirs d'autoguérison que nous possédons et que nous savons à peine explorer ont de quoi étonner. J'ai écouté l'an dernier Jérémy Howick parler de son livre " Docteur Vous" et je m'étais promis de lire ce bouquin.
      Quant à la psychothérapie, la confiance, bien sûr, dans l'accompagnant. Mais l'important, n'est-ce pas la capacité d'autoguérison intérieure qui se loge au fond de la personne intéressée ? Là aussi, il est question de mobiliser nos propres ressources, de croire en elles pour retrouver notre énergie vitale.
      Belle journée, Alain.

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  3. Que sont devenues les infirmières tant applaudies durant le premier confinement, que sont devenus « nos héros, les chauffeurs de poids lourds », que sont devenus les éboueurs que les médias interviewaient presque quotidiennement ? Le silence s’est à nouveau abattu sur eux, plus d’applaudissements, plus d’interviews, plus de messages de soutien sur les autoroutes. Et pourtant, le courage de tenir au quotidien, en face est encore plus louable aujourd’hui qu’hier.

    Oui, l’année 2021 s’annonce complexe et celles et ceux qui voyaient déjà « les lendemains qui chantent » devront encore attendre, voire attendre longtemps encore, donc mieux vaut prendre son avenir en main.

    Gaspard

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    1. Oh vous avez tellement raison, Gaspard, le courage qui nous avait semblé tellement admirable, que nous avons applaudi, encensé, il semble devenu à présent tellement ordinaire qu'il passe inaperçu. c'est devenu "normal". Ces travailleurs doivent aller au front, c'est leur job, on entend même à nouveau les gens râler quand ça ne va pas assez vite.
      Oui, ne pas oublier ce que c'est admirable, de se lever tous les matins pour aller faire son travail, au service des autres (alors qu'on a sans doute comme tous les autres ses problèmes personnels, financiers, de santé).
      c'est fou ce qu'on oublie vite, n'est-ce pas, ce qu'on s'habitue, ce qu'on trouve normal de recevoir. Comme un dû. Comme un dû.

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