mercredi 4 novembre 2020

Vivre : des journées comme ça

 

Jodhpur / India / 2007 / Steve Mc Curry / Castello Visconteo / 2018 /Pavie
 
R. s'est fait opérer sous anesthésie locale hier. La jeune chirurgienne - 90 minutes à combler, quand même - a eu le temps de lui raconter sa Covid en mars dernier : au fitness, ils étaient cinq à être infectés. Dans la foulée, elle a contaminé cinq collègues à l'hôpital. Elle parlait, elle parlait. Elle racontait tandis que ça dégoulinait. "Ne vous en faites pas, ces éclaboussures, c'est pas votre sang. C'est le liquide que j'injecte." "Une semaine plus tard, pas sûr qu'on aurait pu la garder au programme, cette intervention." Elle a ajouté : "Les infirmières, elles tombent comme des mouches en ce moment". 
 
Sur le marché, de plus en plus de masques.  Les yeux des gens : remplis de peur, d'effroi, parfois, et ce quelque chose qui a pris place, insidieusement, oui, peu à peu, à notre insu : une sourde méfiance. Des sourires, on pourrait en chercher longtemps. Seul le mendiant, avec ses deux chiens et son chapeau renversé, qui égraine sa chanson, Bob Dylan ou quelque chose d'approchant, un visage ouvert, presque réjoui, un regard direct en guise de remerciement.

Sur la place de la gare, des soldats. Autour du kiosque à musique, les camions, les jeeps. En ville, fusils en bandoulière, des soldats deux par deux, un peu partout. Un tel spectacle, en plein mois d'août, sous un soleil resplendissant, aurait déjà de quoi paraître alarmant. Là, en novembre, avec la pluie qui menace, et les mesures qui s'annoncent... On s'approche, on se renseigne. "Oh, c'est rien. On vient de commencer notre service. C'est juste un exercice, comme ça." L'armée, bien sûr, on ne s'attend pas à ce qu'elle fasse preuve de psychologie, mais d'un peu de discernement, peut-être que si.
 
Dans un grand pays où la démocratie chancelle, des gens sont en train de voter. Dans la capitale d'un pays voisin durant la nuit, plusieurs morts et une quinzaine de blessés. 
 
Courage, courage, fuyons. Il paraît qu'il y a des lieux où les oiseaux pépient, où les tracteurs soulèvent d'énormes mottes acajou, où les feuilles se lancent dans d'imperturbables valses parmi les troncs. Où les chamois sont certains que reviendra le printemps.
 

13 commentaires:

  1. Oui!courage fuyons à grandes enjambées!lors du premier confinement, il a beaucoup été question du monde d'après!Méfiance, défiance, égoïsmes et individualismes renforcés, réseaux sociaux,etc....
    Où est la solidarité envers les soignants cette fois, envers tous ceux qui contribuent au confort collectif et quotidien?
    Heureusement, oui, un généreux soleil aujourd'hui qui réchauffe corps et coeurs fragilisés.
    Bien belle fin de journée et merci pour ce billet qui appelle à la réfléxion et à l'espérance malgré tout.

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    1. Merci pour ce commentaire. Oui, hier, était une journée blindée. Tâcher de rester un petit lumignon allumé dans cet univers : pas évident devant le ciel couvert, les regards perdus, les nouvelles plus dépressionnaires que le temps. Il y a des jours qui exigent de diriger ses pensées vers les gens droits, la nature et les poètes pour parvenir à garder le cap. Tâcher de continuer à penser, à repenser sa vie, à débusquer la joie où elle se trouve, à poser le mot "fou" sur tout ce qui se révèle délirant. La réflexion et l'espérance malgré tout : c'est exactement ce vers quoi il s'agit de tendre.
      Oui, apparemment, la solidarité envers les soignants, ça n'est plus porteur, plus tendance. Les remises en question, non plus, plus vraiment. On aurait bien aimé un nouveau monde, meilleur, mais sans faire trop de vagues ni d'efforts. On voulait tourner la page Covid et voici qu'elle s'incruste. Et ça recommence, comme avant : les gens foncent et vident les étals des supermarchés. Ils veulent que ça s'arrête, ils veulent foncer vers Noël et dépenser tranquillement. Ils veulent retrouver leur vie d'avant. Et cependant il semble qu'ils vont devoir attendre encore un moment.
      Ici, aujourd'hui, ciel pluvieux et bruits de chantiers rassurants (c'est toujours bon de savoir à l'entrée de l'hiver qu'il se construit des maisons). Belle soirée, avec je l'espère plusieurs bougies qui s'allumeront.

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  2. Coucou. Une drôle de période dans laquelle il devient difficile de sourire derrière son masque. J'essaie pourtant mais quand je le fais, il me remonte presque dans les yeux et je ne vois plus où je vais...

    J'espère que tout ira bien pour R., toi et P. Une feuille morte m'a dit que tout ira bien et que le printemps doit fleurir chaque jour dans nos coeurs. Je te passe son message. Belle soirée.

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    1. Deux choses horriblement difficiles en cette époque masquée : lire les quatrièmes de couverture dans les librairies en dépit de la buée sur les lunettes et sourire sous son masque en faisant en sorte que le sourire soit capté... Difficile, mais pas impossible : on a encore quelques semaines pour s'entraîner! (essaie quand même de ne pas sourire dans les carrefours aux heures de pointe...)
      R. est de nouveau sur pieds (sa chirurgienne n'était pas que bavarde : elle s'est montrée redoutablement efficace) et P. continue de harceler les taupes et les campagnols (je crains toujours que nous soyons convoqués à la gendarmerie pour x mains courantes déposées). Bonne soirée.

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  3. Comme dit ton titre, il y a des jours comme ça, où rien ne va vraiment.
    Toutes ces accumulations qui s'empilent depuis le début du covid, comme on dit dans mon patois local : « cha quin'minche, pi y a tout qui fait mont ! » [Ça commence puis tout s'accumule].
    J'ai reçu un coup de barre il y a 48 heures : un médicament qui m'est indispensable est en rupture de stock partout. Effet tardif du premier confinement. Manque de certains ingrédients pour sa composition. Probablement plusieurs mois d'attente… j'ai de quoi tenir encore un petit mois. Faudra revoir tout ça avec mon médecin.
    Il est vrai que si c'était facile la vie, je finis par croire que ça se saurait…

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    1. Voici un site qui pourrait te dépanner... https://pillintrip.com/fr/

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  4. Avec le Covid, c'est certain, tout est complexifié.
    J'ai un autre proverbe qui me vient à l'esprit : "Il pleut toujours où c'est mouillé."
    Pour ton médoc, une suggestion (c'est ce qu'on pratique ici tout naturellement quand un médicament n'est plus disponible en CH) : on commande dans un autre pays, très souvent l'Allemagne. Généralement, il existe, avec la même composition mais sous un autre nom. Il est expédié dans les trois jours.
    C'est peut-être trop facile... mais pourquoi ne pas chercher dans ce sens demain ? En attendant, passe une douce soirée et fais de beaux rêves...

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  5. Il y a des journées comme ça, oui, qui nous donnent l'envie de fuir vers un monde meilleur.
    Les gens veulent un changement mais lorsque celui-ci se présente (contraint et forcé il faut bien le dire), ils ont besoin de se raccrocher à l'avant, mais l'avant n'existe plus, et il faudra désormais composer avec le présent.
    Bonne fin de journée, Dad.

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    1. Et contente bien sûr que R. soit de nouveau sur pieds ! :-)

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    2. Tout à fait d'accord : On ne peut "que" composer avec le présent. Et précisons que le présent offre et continue d'offrir tout un lot de défis, de difficultés et de belles surprises. A nous d'être présents et de faire face.
      Oui, R. est sur pieds, heureusement! Merci de penser à lui! Toute belle soirée, Françoise.

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  6. Ces signes d’angoisse sont toujours visibles dans une population, ou groupe d’individus, lorsqu’ils ne savent plus en quoi avoir confiance. Lorsqu’ils ne comprennent plus ce que les dirigeants, le gouvernement, les personnes autorisées, leur communiquent ou veulent leur faire faire pour des raisons qui apparaissent floues, voire même contradictoires. Ces signes, qui peuvent se muter en défiance, en hargne, ou même en colère non maitrisée apparaissent en temps de crise, crise politique, économique, ou comme ces jours-ci crise sanitaire. Cette colère rentrée se déverse alors, la plus part du temps, sur leurs semblables : « eux ne font pas comme il faut, comme il faudrait, comme il a été dit qu’il fallait faire », même si ce « comment il fallait faire » est variable dans le temps et dans l’espace. Cette colère ne se déverse pas sur n’importe quels semblables, mais les « autres » : les jeunes, les vieux, les étrangers, bref sur des individus ou des couches sociales envers lesquelles un ressentiment préexistait déjà. Cette colère d’impuissance peut encore se développer en dénonciation aux autorités : « il ne portait pas de masque alors que… ».

    Dans ce cas de figure, soit la situation se calme en se stabilisant ou, si tel n’est pas le cas, l’incertitude de couches de la population persiste et peut dériver de manière incontrôlable : rejet, violence individuelle ou collective. Alors oui, ces mouvements de colère, ces effets de meutes sont à éviter et invitent à faire un tour chez Madame nature, dans la contemplation de sa beauté.

    Gaspard

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    1. Oui, la pandémie exacerbe les tensions sociales et les préjugés, amplifie les conflits préexistants, génère une couche supplémentaire d'angoisse. Je me demande à ce propos si les élections qui viennent de se tenir aux États désunis n'ont pas été particulièrement difficiles également à cause de cela (bien sûr le président sortant est un phénomène préexistant, attisant les braises et provoquant de vains conflits, mais... c'est sur fond d'insécurités dues à la pandémie que tout cela s'est déroulé).
      Que faire en tant qu'individu face à tout cela ? Se protéger (la nature, et maints évitements...). Protéger les autres (sans donner prise aux diverses anxiétés que l'on peut constater, en suivant les règles imposées par les autorités, même quand certaines apparaissent comme incohérentes. Et garder confiance par tous les moyens possibles.
      Merci pour ce précieux commentaire, Gaspard, et beau dimanche à vous.

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