samedi 21 novembre 2020

Vivre : s'extraire de soi

 
Cappella del Manto (détail) / Domenico Beccafumi / Santa Maria della Scala / Sienne
 
La femme a dit : Penser à plus malheureux que soi. Facile à dire. Repris cent fois. 
Et pourtant, peut-on s'en sortir sans s'extraire de soi, sans voir ceux qui sont là,
les démunis, les chétifs, les oubliés, comment s'en sortir sans savoir se décentrer ?

 

 

4 commentaires:

  1. « La femme a dit : Penser à plus malheureux que soi. »
    Tu as donc connu ma mère ? Quand elle avait le temps de venir me voir à l'hôpital ?
    Tiens, la revoilà celle-là !
    (Curieux… parfois, elle croisait les bras comme ça…)
    selon moi : c'est le genre de phrase qui tue !
    Sauf bien entendu si il s'agit du drame absolu de s'être cassé un ongle !

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    1. Quand on est pris dans sa souffrance, ce genre de phrase est inopérante, voire contreproductive (ce genre de phrase du reste ne tue pas : elle donnerait plutôt envie de tuer). On a juste envie de hurler, comme quand on entend des choses du genre : "Tu as pourtant tout pour être heureux" ou "Ne te laisse pas aller". Ce message ne peut pas nous être imposé de l'extérieur. C'est quand on se le dit à soi-même, qu'on le prend pour soi que le message opère, parce qu'on le comprend comme une invite à observer ce que vivent d'autres gens, avec empathie, en s'incluant dans la communauté humaine.
      Penser à plus malheureux que soi, c'est se dire que d'autres souffrent, c'est être capable de relativiser en regardant autre chose que son propre malheur (c'est du reste la base d'associations comme Emmaüs : au fond du trou, tu agis pour d'autres, avec d'autres. Le principe de la solidarité, en somme). Il y a des personnes (on en connait tous) qui se mettent toujours au centre : leur souffrance est bien plus grande, elles ont terriblement souffert et elles sont en train d'endurer le pire, tout le monde est mieux loti qu'elles. Ces personnes-là ne s'en sortent pas. Elles attirent la compassion dans un premier temps, puis elles fatiguent, enfin elles suscitent l'éloignement. Et... elles ne s'en rendent même pas compte. Elles souffrent teeeeellement.
      Quant à ta mère, dont on peut supposer qu'elle n'était pas intentionnellement sadique, que cherchait-elle en te parlant ainsi ? voulait-elle te parler à demi-mots de sa propre souffrance ? ou te dire les mots qui elle-même la consolaient ? avait-elle l'intention (maladroitement) de t'encourager ? avait-elle eu à à craindre le pire pour ta vie ? Quand les gens nous irritent, se demander d'où ils parlent peut nous aider à mieux les comprendre et à nous délester de notre irritation.
      Belle soirée.

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    2. Comme tu le dis, c'est contre-productif. Se le dire à soi-même c'est tout autre chose. Un choix personnel qui s'inscrit généralement dans une démarche de remise en vie et de solidarité.
      Quant à celles et ceux qui ont besoin d'être en permanence dans la plainte pour survivre, c'est dramatique à tous égards. Chercher la compassion quand on cherche à être aimé est un chemin mortifère, hélas très fréquenté…

      J'ai toujours estimé que ma mère n'avait aucune intention mauvaise volontaire à mon égard. Au contraire. Mais le problème c'est qu'on n'a jamais le résultat de ses intentions, en revanche toujours celui de ses paroles ou ses actes. Et l'autre problème est lorsqu'on souffre d'une maladie mentale dévastatrice.
      J'aurais aimé ressentir un petit minimum « d'affection ajustée » plutôt que des leçons de morale sans cesse réitérées, ou des débordements affectifs étouffants qui n'étaient pas acceptables. Et comme on dit maintenant « inappropriés ».
      Ce qui est frappant dans ma relation à elle, c'est que j'ai le sentiment qu'elle mettait toujours « à côté de la plaque » dans tous les domaines du jeu relationnel. À 12 ans, douloureux dans le corps et dans l'âme, on ne peut que s'interroger. Mais trouver des réponses sur la raison de ces comportements inajustés, ça a pris plusieurs années… il convenait donc, entre-temps, de mettre cette personne à distance. J'ai tenté à l'époque de trouver mes « gestes barrières ». Cela n'a pas si mal fonctionné d'ailleurs.
      Mais l'opération « restauration de ce monument historique » est en cours…
      merci pour ton intérêt pour cette femme qui n'est plus. Elle le mérite.

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    3. :) « restauration de ce monument historique », l'expression est merveilleuse. Le monument, j'en suis persuadée, mériterait qu'on lui consacre un ouvrage, documenté, distancé. Il y aurait matière. "rien ne s'oppose à la nuit" de Delphine de Vigan a fait beaucoup, et pas que pour la littérature. Bon dimanche.

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