dimanche 4 octobre 2020

Vivre : faux départ

 
Autoportrait / E. Delacroix / Musée des Beaux-Arts / Rouen
 
Il dit : On va faire avec. Y a pas mort d'homme. Il dit qu'il est fatigué, que ce voyage, il en avait grand besoin. Il dit d'un air découragé qu'il n'a plus envie de rien. Il dit qu'il s'est beaucoup donné, ces dernières semaines, ces derniers mois. Il dit qu'il aurait bien aimé retourner quelques jours là-bas.
La vie, c'est parfois comme on veut, c'est souvent comme on ne voudrait pas. Les pandémies, les intempéries, les routes coupées, les sens interdits. La vie, c'est parfois contrariant, c'est parfois du soleil ailleurs que là où l'on va, c'est comme un voile, gris et sale, qui empêche de voir tout ce qui marche autour de soi. 
Il se sent démuni, et même trahi. Il soupire, il raccroche. Demain, il suffira d'un rayon, d'un projet, d'une sollicitation, pour qu'il recommence de sourire à la vie. 
Parce que nous pouvons momentanément contrôler les choses, nous finissons subtilement par nous raconter des histoires sur la façon dont elles sont censées se passer. Les avions sont censés décoller et atterrir à l'heure, et mon vol n'est pas censé être annulé puisqu'il faut que je me rende là où je suis censé me trouver pour telle ou telle raison à un horaire précis (percevez-vous l'empressement et l'égocentrisme que traduit cette façon de penser ?). Les gens sont censés être fiables et respecter leur parole, en particulier avec moi. Les investissements sont censés être rentables. Les enfants sont censés être en sécurité. Nos corps sont censé rester en bonne santé si nous mangeons sainement et que nous faisons de l'exercice.
Plus les choses vont dans "notre sens", plus nous sommes enclins à penser que c'est le sens dans lequel elles sont censées aller. Et, quand elles ne vont pas dans "notre sens", ce qui arrive tôt ou tard, nous nous mettons en colère, nous sommes déçus, déprimés, anéantis, tout en oubliant qu'il n'était pas "censé" y avoir de sens du tout. Notre vie ne se déploie quasiment jamais exactement comme nous le pensons, le prévoyons ou le désirons.        John Kabat-Zinn, L'Eveil des Sens, p. 412



2 commentaires:

  1. Jon kabat-Zinn ne disait-il pas aussi:"vous ne pouvez pas arrêter les vagues mais vous pouvez apprendre à surfer".
    Et Seneque avant lui qu'il faut chaque jour apprendre à danser sous la pluie.
    Pas toujours facile cependant.
    Bon dimanche.

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    1. La citation choisie ici parle de l'imprévu, il me semble, des contrariétés, avec lesquelles il s'agit de composer. Elle met en relief le fait que les choses ne peuvent pas toujours se passer comme nous le souhaitons, contient une notion d'acceptation de ce qui est. Et il nous faut une sacrée santé mentale pour réaliser et accepter cela.
      Oui. J Kabat-Zinn parle dans son livre "Où tu vas, tu es" d'une affiche amusante représentant Swami Satchitananda, un yogi de 70 ans, debout sur une planche de surf, sur une plage d'Hawaï. La légende était : "On ne peut pas arrêter les vagues, mais on peut apprendre à surfer". Il explique que c'est humoristique et vrai en même temps, la vie n'étant pas un long fleuve tranquille.
      Quant à la citation de Sénèque, elle ajoute un élément : la danse quand il pleut. Aimer danser sous la pluie qui nous tombe dessus : une bonne citation pour bouquin de développement personnel! Assez complexe à atteindre, en effet, à moins d'avoir un bon parapluie, des bottes en caoutchouc et de s'appeler ... Fred Astaire!
      Cela dit, le soleil se met miraculeusement à briller ici : j'espère que chez vous aussi! vous souhaite une toute belle soirée!

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